Le premier tour de l’élection présidentielle a bel et bien eu lieu hier, dimanche 28 juillet 2013, sur toute l’étendue du territoire. Nos équipes de reportage se sont rendus dans certains bureaux de vote des six communes du District de Bamako. Reportage.
A 12 heures, quand nous nous sommes présentés à l’école fondamentale de Doumanzana, on se serait cru à une fête foraine. Un monde fou se pressait dans la cour de l’établissement, débordant le maigre service de sécurité posté devant le portail. Devant le bureau n°5, c’est un attroupement, au bas des escaliers, qui a attiré notre attention. La majorité, à travers des gestes de dépit, n’ont pas manqué de nous interpeller.
Comme Minata Sissoko, une jeune étudiante, arrivée sur les lieux depuis 8 heures 30: «On nous demande de sacrifier à notre devoir de citoyen. Mais les organisateurs ont apparemment d’autres chats à fouetter. Comment peut-ont faire attendre les gens sous le soleil pendant plus de 3 heures et prétendre que l’organisation est bien faite?».
Chiaka Diarra, entrepreneur, vient d’écouter la déclaration du Président de la République par intérim, Dioncounda Traoré, sur une station de radio de la place. Il en sourit et, d’un air un peu moqueur, nous livre ses sentiments: «je vais voter pour mon candidat, mais je sais qu’ils mentent tous. Le Président ne sait pas que nous faisons le pied de grue ici depuis plusieurs heures pour voter. Il feint d’ignorer certainement que plusieurs de nos compatriotes ont le cœur serré de ne pas pouvoir voter comme tout le monde. Mais que voulez-vous? Nous aimons ce pays et, pour certains d’entre nous, il faut faire l’aveugle et le sourd pour que le Mali sorte de l’enfer».
Trois heures auparavant, le Premier ministre, Diango Sissoko, venait de voter dans le bureau de vote n°1 du centre de Korofina. A sa sortie, il a, naturellement, déclaré «être satisfait de l’organisation de ce scrutin». «J’étais convaincu que l’élection pouvait avoir lieu. C’est pourquoi j’ai proposé au Président de la République cette date du 28 juillet et nous y sommes. Cela fait plusieurs années que je vote, dans ce même bureau et dans ce même centre. J’avoue que j’ai rarement vu une telle affluence. Cela prouve que les Maliens étaient prêts à tourner la page de la transition, puisqu’elle devait prendre fin à un certain moment». Ce que le PM ne savait pas ou que les organisateurs ont superbement masqué, c’est que, quelques minutes avant son arrivée, aucune liste d’émargement ne se trouvait dans le bureau de vote. Il a fallu l’établir à la main.
A l’école fondamentale de Djélibougou, vers 9 heures 10, c’est plutôt la recherche des bureaux de vote qui était le sujet du jour. Assise à même le sol, Fatoumata Sidibé, 50 ans, n’en pouvait plus: «je suis ici depuis 7 heures 30 pour trouver le bureau dans lequel je vote. Je suis fatiguée et j’ai fait appel à mon fils afin qu’il procède à la recherche. C’est fatiguant. Je suis même passée par le procédé des opérateurs de téléphonie et on me dit que c’est saturé. Allah Ka’awn dèmè! (qu’Allah nous vienne en aide!». A cette heure de la matinée, impossible de rencontrer le Président du centre. Il était afféré à mettre le dispositif en place.
Au moment où nous quittions la Commune I, les électeurs venaient toujours en grand nombre, transportés par les Sotramas louées par les différents candidats. En plus, l’argent circulait. «Votez pour le mieux offrant», tel était la devise.
Commune II: malheur aux analphabètes
Dire que les électeurs se sont déplacés, hier matin, pour se rendre au centre de vote de Quinzambougou est une litote. En effet, dès 7 heures 30, on avait déjà du mal à se frayer le chemin dans la grande cour de l’établissement. Mais un hic: la majorité des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus ne savaient plus où donner de la tête, après avoir usé de toute leur patience. Daouda Traoré, mécanicien et analphabète, a failli rendre le tablier avant que nous ne venions à son secours: «je suis ouvrier et je dois travailler tous les jours pour gagner ma vie. Si je dois venir ici chercher, pendant des heures, mon nom sur la liste, il vaut mieux que je retourne au travail. Je ne sais ni lire ni écrire. On me parle de message sur le téléphone ou de lettre alphabétique. Cà, c’est pour ceux qui ont fréquenté l’école des Blancs». Désemparé, Daouda nous a priés de l’aider. En moins de 15 minutes, nous avons retrouvé le bureau n°21 où il a accompli son devoir de citoyen.
Aissata Sangaré, ménagère, est venue aux environ de 7 heures 45. Elle affirme avoir fait «la tournée des bureaux de vote de ce centre». Sa carte NINA en main, elle nous raconte son périple: «au moment où j’ai été enrôlée, j’habitais à Faladié. Quatre mois après, j’ai déménagé avec mon mari à Bagadadji. J’ai alors été à la mairie pour demander le transfert. Toutes les démarches que je devais faire pour cela ont été faites. Aujourd’hui, je ne retrouve pas mon nom sur la liste. Je ne sais pas lire et mes enfants ne sont pas assez grands pour venir m’aider à retrouver mon nom. Je dois appeler des proches à Faladié pour vérifier si on a transféré mon nom ou pas». Après quelques coups de fil, Aissata n’a pas eu gain de cause. Nous l’avons quittée, la laissant dans une colère noire. Mais, en bonne Malienne, elle n’a pas manqué de nous lancer une blague: «je voterai peut être au deuxième tour».
Paul Mben