À quelques heures de la clôture de la campagne électorale de second tour, qui n’aura duré que 48 heures, les deux candidats sont décidément bien discrets. Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla Cissé n’ont organisé aucun meeting et les Maliens ne les verront pas débattre à la télévision. Drôle d’élection…
Curieuse, cette campagne d’entre-deux tours au Mali. C’est comme si le temps s’était arrêté le 28 juillet, jour du premier tour de l’élection présidentielle. Comme si le succès inattendu de cette première étape vers la fin de la période d’exception qui avait débutée en mars 2012 avec le coup d’État des hommes de Kati avait annihilé toutes velléités. Comme si le fait qu’il n’y ait eu ni attentat ni fraude d’envergure, était une fin en soi.
Entre le 28 juillet et le 9 août, il n’y aura eu aucun meeting, aucune caravane digne de ce nom, aucune confrontation entre les deux candidats, Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »), arrivé en tête lors du premier tour (39,7% des voix) et donné favori pour le second, et Soumaïla Cissé (19,7%). Le premier s’est contenté d’une courte déclaration publique devant la presse et ses partisans, le 4 août, puis d’une interview sur les ondes de RFI, le 8. Le second a accordé un plus grand nombre d’entretiens (à RFI, le 7 août, et à la presse écrite, dont Jeune Afrique, le 3 août) et a tenu une conférence de presse minimaliste le 2 août. Voilà tout ! L’offre d’un débat télévisé lancée par Cissé a été évacuée par Keïta. Explication de son directeur de campagne, Mahamadou Camara : « Un débat, ça prend du temps à se préparer, et nous préférons privilégier le terrain et la rencontre avec les Maliens. » Sauf qu’IBK n’en a pas rencontré beaucoup, des Maliens, ces derniers jours.
Cette inertie s’explique en grande partie par le calendrier électoral : deux semaines entre les deux tours, dans un pays aussi vaste que le Mali – un pays qui plus est dévasté par une guerre -, cela laisse peu de temps pour se retourner. De fait, les résultats provisoires, que l’on attendait autour du 31 juillet, n’ont été rendus publics que le 2 août par le ministre de l’Administration territoriale, après bien des soubresauts. Et ils n’ont été validés par la Cour constitutionnelle que cinq jours plus tard, le 7 août en fin de journée.
Cela laissait donc deux jours aux candidats pour faire campagne. Sauf que la lune y a mis son grain de sel. La fin du mois de Ramadan a été proclamée le 7 août au soir. Il était impossible, le lendemain, jour de la fête de l’Aïd, d’organiser des meetings. Tout le monde s’attendait tout de même à ce que les candidats draguent les électeurs le 9 août (un jour férié au Mali), dernier jour de la campagne officielle. En vain…
Mété capricieuse, Aïd… Toutes les raisons sont bonnes pour ne pas faire de meeting
Du côté d’IBK, on a pensé organiser un meeting à Bamako, avant de changer d’avis. Motif invoqué : la météo capricieuse. Un orage risquait de gâcher la fête. Les partisans de l’ancien Premier ministre devront donc se contenter, ce soir, d’un concert sans IBK. Du côté de Cissé, il était prévu une sortie publique du candidat en fin de journée, mais seulement au niveau de son quartier général dans le quartier d’ACI 2000, devant quelques centaines de partisans… « Je n’ai jamais vu ça, souffle un observateur électoral européen, un vétéran des élections africaines. Il n’y a pas eu de campagne. Comme si le soufflé de celle du premier tour était retombé aussi sec. » Un autre observateur s’interroge : « Dans ce contexte, je vois mal les Maliens se mobiliser dimanche. On a l’impression qu’il n’y a pas d’élection ! »
Il faut dire que les candidats eux-mêmes n’ont rien fait pour faire la une. IBK, dans la position du favori, n’avait pas vraiment intérêt à sortir de sa tanière. Il a d’ailleurs profité de la deuxième semaine de l’entre-deux tours pour rendre visite à ses plus ardents soutiens dans la région, au Niger et en Côte d’Ivoire. Mais comment expliquer le silence de Cissé et son absence de combativité ?
Amorphe, cette campagne n’a finalement été animée que par la communication hasardeuse du ministre de l’Administration territoriale, qui a déclaré le 30 juillet qu’il était fort possible qu’un second tour n’ait pas lieu alors que seulement 12% des votes avaient été recueillis, et par les nombreuses rumeurs qui ont agité Bamako et sur lesquelles n’ont pas manqué de réagir les camps des deux candidats. Il a d’abord été question de fraudes organisées pour permettre à IBK de passer dès le premier tour. Puis d’une entourloupe de la Cour constitutionnelle, dont le président est un proche de Cissé, visant à réduire considérablement le score de Keïta et à gonfler celui de Cissé. Il n’en a rien été, mais cela a accaparé les états-majors des deux adversaires.
L’entre-deux tours a également été marqué par les grandes manœuvres politiciennes. Au jeu des ralliements, IBK l’emporte de loin. Sur 27 candidats sur la ligne de départ au premier tour, une vingtaine le soutiennent, dont Dramane Dembélé, le candidat de l’Adema arrivé en troisième position le 28 juillet et qui, soutenu par les jeunes et une partie des cadres, est allé à l’encontre du bureau politique du parti, qui soutient Cissé. Ce dernier peut également compter sur Modibo Sidibé, arrivé en quatrième position lors du premier tour.
Pour les débats d’idées, les grandes engueulades et les attaques personnelles que l’on a coutume d’observer en période électorale, il faudra attendre 2018.
Rémi Carayol, envoyé spécial
jeuneafrique.com