Autopsie des élections présidentielles maliennes: Idées reçues et attentes invariables

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Le Mali vient de connaître sa 5ème élection présidentielle de l’ère démocratique. Depuis 1992, notre pays a vécu avec ferveur ces consultations populaires, qui sont censés remettre le pouvoir au peuple, afin de choisir celui qui devra diriger le pays pendant 5 ans. Un Président accepté par tous et jouissant de la légitimité nécessaire pour commander le destin de la Nation. A ce jour Alpha Omar Konaré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keïta sont les trois personnalités ayant remporté les suffrages des électeurs, à la suite des scrutins qui se suivent et se ressemblent quasiment.

 

 

Avant chaque élection présidentielle, l’on a l’impression que quelque chose d’inédit se passera. A l’issue du vote, l’enthousiasme des gagnants et les envolées des commentateurs nous entraînent et font croire que des faits grandioses et des exploits uniques viennent d’être réalisés dans le pays. En l’occurrence, pour cette dernière élection de 2013, certains s’apprêtent à tresser des lauriers au gouvernement de transition, qui aurait réussi une mission herculéenne historique : l’organisation du scrutin le mieux réussi depuis l’avènement de la démocratie pluraliste au Mali. Qu’en est-il réellement?  Quid des attentes du peuple, des faits et gestes des vainqueurs et/ou des vaincus.

 

 
Seule une certaine analyse de l’ensemble des scrutins organisés au Mali, permettrait de relativiser ces commentaires et aider à la compréhension du phénomène.

 

 

Scrutins aux entrées distinctes
De 1992 à 2013, sur les cinq scrutins organisés, deux d’entre eux ont été remportés dès le premier tour : ceux de 1997 et 2007. Respectivement, les Présidents Alpha Omar Konaré et Amadou Toumani Touré, qui en sont les gagnants, ont vu renouveler leur mandat suite à des élections controversées et surtout sans éclats particuliers. Le désenchantement des Maliens était total eu égard au contexte socio-politique chargé de crise de confiance entre les acteurs politiques et les citoyens, sans compter que chaque fois le président sortant avait érigé la défiance en méthode de gouvernance.

 

 
Les 3 autres élections n’ont pu départager les candidats qu’à l’issue de scrutins à deux tours. Le premier tour de chacune des élections 1992, 2002 et 2013 a été marqué par l’engouement populaire et l’espoir de changements importants suscités par la perspective de l’alternance au sommet de l’Etat. Chaque fois les Maliens ont cru à la fin de leur calvaire et n’ont pas ménagé leur énergie pour participer à l’élection avec la ferme conviction que les jeux étant ouverts, leur candidat dispose de toutes ses chances pour gagner la compétition. La baisse du taux de participation du second tour par rapport au premier lors de chacune de ces élections prouve à souhait la fin de cet engouement avant la fin du scrutin.

 

 

Scrutins régulièrement contestés, mais valides

Les 5 scrutins de 1992 à 2013 ont tous été contestés dans leur organisation. Les récriminations sont toutes identiques : problèmes de cartes d’électeurs (non distribuées, non confectionnées, utilisées frauduleusement) ; bureaux de vote (parallèles, mal tenus, inexistants) ; bourrage des urnes ; partialité de l’administration (influence des votes, transmission de faux résultats, centralisation douteuse, méthode de calcul opaque) ; observateurs complaisants et inefficaces.

 

 
Une autre constante est que ces réclamations font toutes l’objet de la saisine de la Cour Constitutionnelle, qui sans surprise les rejette en bloc et valide l’élection présidentielle. A ce jour, le seul scrutin invalidé par cette institution reste les législatives du 13 avril 1997.

 

 
Scrutins excessivement coûteux
Depuis l’avènement de la démocratie au Mali, le coût des scrutins poursuit inexorablement son ascension fulgurante. De moins de 3 milliards en 1992, le budget de l’élection présidentielle au Mali connaît un niveau effrayant en 2013, soit 65 milliards CFA, dont 25 au compte du contribuable malien. D’autant plus inquiétant que les précédents scrutins ont coûté : 7 milliards en 1997 ; 20 milliards en 2002 ; et 16 milliards en 2007. Le contexte de crise seul ne saurait expliquer cette inflation que nos gouvernants devraient justifier davantage, car cette énorme manne n’a pas impacté les résultats de manière significative.
Scrutins avecun taux de participation en croissance,

 

 
En 1992, le peuple malien, après avoir mis fin à 23 années de dictature militaro-politique, a boudé sérieusement les urnes ; du moins les électeurs ne se sont pas mobilisés comme on s’y attendait. Avec 23,6 % suivi de 20,9% au second tour, l’élection de 1992 a enregistré le plus faible taux de participation de tous les temps. Celle de 2013 avec 48,98% et 45,78% est le plus fort taux jamais réalisé de l’ère démocratique malienne.

 

 
Toutefois, c’est là qu’il faut faire un effort pour comprendre et relativiser la prouesse que semble constituer le soit disant « taux de participation historique». Les conditions d’évolution de notre processus démocratique, voudraient que ce taux se trouve à son niveau actuel:

 

 

1-    Depuis 1992, la participation à l’élection du Président de la république connaît une croissance régulière. Les taux des premiers tours ont bondi successivement de 23,60% (1992) à 29,20% (1997) puis 29,99% (2002) ensuite 36,24% (2007) et enfin 48,98% (2013). Lors des seconds tours, ces taux baissent chaque fois, mais ils sont dans la même fourchette de croissance par rapport à la précédente élection. Cette progression peut être évaluée à une moyenne  d’environ 7%, d’une élection à l’autre. L’année 2013 connaît cette croissance régulière et donc normale. On ne pouvait pas faire moins !

 

 
2-    Les budgets consacrés aux différentes élections sont complètement disproportionnés par rapport aux taux de participation. Par exemple, lorsqu’en 2002 on obtient un taux de 36,80% pour un scrutin évalué à 20 milliards CFA, en 2013 le taux de 48,98% caracole à 65 milliards CFA soit 3 fois plus qu’en 2002. Avec 3 fois plus de moyens, le taux de participation de 2013 n’est pas optimal. Car 1% de participation coûte 543 millions en 2002 contre 1327 millions en 2013 !

 

 
3-    La crise profonde que connaît le Mali a contribué très largement à une prise de conscience, chez tous les Maliens, de l’importance du vote et de la valeur de la démocratie pour refonder la Nation. L’élection présidentielle 2013 constituait aussi  un défi pour l’avenir du Mali.
Au risque d’aller à rebours de l’opinion communément répandue, au Mali, le processus démocratique se poursuit normalement et l’élection présidentielle suscite toujours beaucoup d’engouements chez les électeurs de plus en plus nombreux. Le taux de l’année 2013 n’est nullement lié à un effort particulier du gouvernement.

 

 
Scrutins largement remportés par les vainqueurs
Lors des 3 scrutins qui ont été organisés à deux tours, le vainqueur a toujours obtenu une avance confortable sur son adversaire. En 1992, Alpha Omar Konaré obtiendra 38% de plus que Tiéoulé Mamadou Konaté ; puis en 2002, Amadou Toumani Touré surclassera Soumaïla Cissé de 30% ; enfin en 2013, Ibrahim Boubacar Keïta gagnera avec 55% de plus que Soumaïla Cissé.

 

 
Des avances sur leurs adversaires qui rendraient jaloux les présidents des anciennes démocraties pluralistes ; et qui pourraient surtout expliquer partiellement le dénouement paisible des cinq scrutins que le Mali a connus.

 

 
Scrutins finalement acceptés par les tous
Depuis 1992 on a assisté à l’acceptation des résultats de l’élection du Président proclamée par la Cour Constitutionnelle. Après chaque scrutin, tous les acteurs se retrouvent autour de l’essentiel : le Mali. Ils se serrent les coudes autour du Président élu pour construire le pays. On n’a jamais assisté à un refus de reconnaissance de la légitimité du Président élu durant tout son mandat ; même si certains contestent la régularité et la crédibilité du scrutin et préconisent une meilleure organisation lors de la prochaine élection.

 
En lisant d’ailleurs les termes des contestations et réclamations des vaincus on retrouve toujours les mêmes propos et la même sagesse au final. En 2013, la crise postélectorale tant redoutée, à l’instar d’autres pays africains n’a pas lieu. La situation apocalyptique que l’on nous avait dessinée est loin de la culture de paix et de solidarité du peuple malien.

 

 
Le geste de Soumaïla Cissé, parti en famille pour féliciter le vainqueur de 2013, Ibrahim Boubacar Keïta à son domicile, ne peut faire oublier celui de 1992, qui a vu le gagnant Alpha Omar Konaré, se rendre à pied chez son grand-frère Mamadou Tiéoulé Konaté son challenger vaincu, pour le remercier et demander son soutien.

 

 
Les deux démarches ont en commun le contexte difficile du pays. A un moment où la Nation est fortement menacée dans son existence, et ses fils ont besoin de réconciliation et de renforcement de leurs liens au sein de la République, on ne peut se permettre de jouer avec le feu des manifestations de rue. C’est dire que l’histoire se répète souvent, si on n’y prête attention, on pourrait exagérer la portée de certains actes.
Au-delà de ces deux cas, certes très fortement symboliques, à l’issue des 3 autres scrutins, ceux de 1997, 2002 et 2007, les candidats malheureux n’ont jamais eu de velléités pour mettre en péril la République, par des contestations violentes ou par la remise en cause du statut du Président élu tant bien que mal.

 
Le Mali de 2013 ressemble à celui de 1992 ou 2002, années de sortie de crises graves, avec l’élection du Président de la République, seul espoir d’un Peuple ayant des attentes infinies.

M. Cissé, Paris

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