On y est presque. La Transition qui boucle un parcours plus constellé de plaies et de bosses que tapissé de roses, s’apprête à proclamer « mission accomplie » … sans arrêter de toucher du bois. En attendant, toutes les forces politiques, publiques, citoyennes et sociales sont bandées pour passer le cap des présidentielles dans un chenal étroit bordé d’un côté par de multiples imperfections techniques, des frustrations et périls potentiels que plus personne ne nie et de l’autre par les particularités d’un terrain où flotte encore l’odeur de la poudre des combats et où rôdent toujours les tensions communautaires, les fractures politiques, les divisions sécuritaires, les interférences religieuses, la menace irrédentiste et terroriste …
La peur aurait dominé sans la lassitude inspirée par les épreuves subies et si l’espoir n’était si fort que l’élection de dimanche permette d’échapper pour de bon au destin contraire. Un espoir généralement démesuré car le scrutin, pour important qu’il soit, ne saurait constituer la panacée à tous nos problèmes, juste une marche vers l’ordre institutionnel, ou plus poétiquement, vers des lendemains meilleurs. Ce sera surtout une marche essentielle car l’homme ou la femme que nous allons élire, représentera un exécutif légitime. Comme ses prédécesseurs, il sera à la fois président de la République et chef de l’Etat, à la différence qu’aujourd’hui ces deux fonctions sont particulièrement lourdes de sens dans un pays qui a vécu l’effondrement de ses institutions et le coma de l’Etat.
Les épreuves passées et présentes fixent donc à elles seules les attentes pesant sur l’Elu. Sous son bonnet de président de la République, il va devoir restaurer le respect de la Constitution, des institutions, des libertés publiques et du processus démocratique. Dans son rôle de chef de l’Etat, c’est un casque de chantier qu’il coiffera pour s’attaquer à un champ de ruines où s’empilent les urgences : nord, armée, reconstruction, réconciliation, école, économie, emploi …
Au cœur du relèvement de l’Etat : la gouvernance. Une notion que l’on retrouve à la confluence de toutes les analyses sur la crise malienne et qui pourrait apparaître à la longue comme un commode fourre-tout de lieux communs. A tort. Nous le savons, a contrario, après avoir durement payé pour vérifier les méfaits d’une mauvaise gouvernance qui a miné la structure étatique, facilité sa dislocation jusqu’à menacer l’existence du pays. Du coup, nous avons appris (ou le devrions) les fautes à ne plus reproduire. De ce point de vue – et pour faire simple -, nous pouvons aujourd’hui souhaiter une gouvernance qui alliera, autant que possible, l’efficacité et la moralité publiques adossées à un système institutionnel exerçant pleinement ses prérogatives sous la vigilante surveillance des contre-pouvoirs et de la société civile.
Dans le système présidentiel qui est le nôtre, le locataire de Koulouba possède un pouvoir considérable. Notre responsabilité d’électeur est de confier la charge au candidat qui nous apparaît le mieux à même de l’exercer avec compétence, courage, discernement et conscience, à la tête d’un exécutif efficace et honnête et en bonne intelligence avec les autres institutions.
Cet enjeu, déjà important en lui même, gagne encore en envergure une fois replacé dans le marathon électoral qui démarre avec la présidentielle. Les législatives devraient, en effet, suivre rapidement pour élire une nouvelle Assemblée nationale et définir la majorité parlementaire sur laquelle le président de la République et le gouvernement vont s’appuyer. Les communales, elles, s’annoncent pour le premier semestre de l’année prochaine dans le contexte d’une décentralisation appelée (enfin) à décoller grâce à des transferts de ressources financières et humaines.
La présidentielle ouvrant la série de scrutins, sa bonne tenue va influencer, sinon conditionner, la suite des événements et le rétablissement de la légitimité démocratique. Si des tensions s’installent, elles contamineront inévitablement les législatives et freineront le rebond général. Si, comme il faut le souhaiter, le sang-froid et le fair-play l’emportent, la suite sera bien engagée.
Tout a été dit. Nous voici devant nos responsabilités et nos devoirs citoyens. Dimanche, nous ne voterons pas seulement pour élire un président de la République, nous le ferons aussi en espérant tourner une page traumatisante de notre histoire et en entamer une nouvelle. Chaque génération se croit vouée à refaire le monde, disait Camus. La nôtre n’a, en fait, pas d’autre choix.
S. DRABO