A quelques encablures de la tenue du premier tour de l’élection présidentielle prévue le 28 juillet 2013, les projecteurs des média du monde entier restent plus que jamais braqués sur le Mali. Partagés entre espoir et doutes, les Maliens eux-mêmes attendent avec une certaine fébrilité l’issue d’un scrutin dont ils mesurent, au fur et à mesure que l’échéance tant attendue se rapproche, l’importance pour l’avenir. Leur avenir.
Pour comprendre l’intérêt inédit que portent les Maliens et la communauté internationale au scrutin du 28 juillet 2013, il convient de jeter un regard rétrospectif sur les derniers mois qui ont précédés cette consultation électorale afin d’en cerner les principaux enjeux.
Flash back sur une descente aux enfers
Naguère réputé pour sa stabilité et pour l’exemplarité de sa démocratie arrachée en mars 1991 au prix du sang et des larmes de centaines de militants politiques, étudiants et jeunes descendus dans la rue pour braver à mains nues les chars d’un pouvoir militaire corrompu, le Mali a connu en 2012 une véritable descente aux enfers. Tout commence à se gâter lorsqu’en janvier de cette année, le pays subit les attaques de groupes lourdement armés qui, vite rejoints par des mouvements jihadistes, massacrent des soldats et occupent quelques villes.
Last but not the least, le coup d’Etat militaire le 22 mars 2012 provoquera une grave crise politique et institutionnelle et agira comme un accélérateur de la décomposition du pays en favorisant les divisions politiques au sud et la débâcle militaire à la faveur de la rupture de la chaîne de commandement au sein de l’armée.
En seulement quelques semaines, le Mali plonge littéralement sous les bottes d’une junte militaire vindicative qui, après avoir suspendu la Constitution et dissout le Gouvernement, instaurera pendant plusieurs semaines un véritable règne de terreur, exerçant une répression féroce contre ses opposants et embastillant à tour de bras tous ceux qui mal y pensent. Le pays ne dut véritablement son salut qu’au courage d’hommes et de femmes qui, prenant tous les risques, s’opposeront avec détermination au coup d’Etat, et à la vigilance de la Communauté internationale qui, sous la houlette de la CEDEAO, imposera aux auteurs du putsch un processus de retour à l’ordre constitutionnel.
Si l’élection présidentielle du 28 juillet apparaît comme l’aboutissement heureux de cet engagement résolu de la Communauté internationale et du combat mené à l’intérieur même du pays par les forces démocratiques, elle ne saurait occulter les conséquences dramatiques de la crise multidimensionnelle que le Mali connaît depuis le 22 mars 2012. En effet, le spectacle qu’offre le pays à la veille de la présidentielle est loin d’être reluisant. Il est celui d’un pays profondément divisé entre pro et anti putsch, d’un Etat à l’économie et à l’administration effondrées, et, surtout, celui d’un pays à l’image fracassée et à la crédibilité internationale ruinée.
Enjeux
Les enjeux du scrutin de dimanche prochain sont nombreux mais découlent pour l’essentiel des constats dressés ci – dessus. Les Maliens et les amis du Mali placent en effet beaucoup d’espoirs dans cette consultation électorale. L’on attend de cette élection qu’elle favorise la réalisation de nombreux objectifs au nombre desquels la réconciliation des citoyens avec la politique ; la ré -légitimation des institutions, la restauration de l’autorité de l’Etat, le retour de la confiance et le renouveau de la démocratie.
Les enjeux de la ré -légitimation des institutions et de la restauration de l’autorité de l’Etat
L’analyse des évènements douloureux que le Mali a connus depuis janvier – mars 2013 est révélatrice à la fois de la mal gouvernance qui s’était installée depuis de nombreuses années au sein de l’Etat et de la perte consécutive de légitimité de l’ensemble des institutions publiques et de la classe politique. Ces évènements ont eu pour effet positif sinon de mettre à jour tout au moins de placer au cœur du débat public nombre de pratiques, habitudes et comportements incompatibles avec les principes élémentaires de bonne gouvernance et de responsabilité.
La quasi – indifférence des citoyens devant l’effondrement des institutions et leur passivité relative face au coup d’Etat sont l’expression du rejet qui frappe à la base la plupart des représentants de la classe politique issue de la révolution de mars 1991. Elles traduisent singulièrement les représentations négatives que véhicule à travers le pays et au sein de l’opinion publique cette élite politique frappée par le discrédit et tragiquement incapable de se remettre en cause.
L’élection du 28 juillet, en ce qu’elle permet aux populations d’exprimer leur volonté quant au choix du Président de la République, apparaît à juste titre comme une opportunité historique de re-légitimation des institutions et, in fine, une opportunité de réconciliation des citoyens avec la politique et les acteurs politiques. Le niveau de participation au scrutin, qui constitue en lui – même un enjeu important, constituera à n’en pas douter, un élément intéressant d’appréciation quant à la possibilité de faire du scrutin de dimanche un moyen de réaliser cette double ambition.
Le scrutin présidentiel sera aussi, bien que cela ne puisse être envisagé que dans une étape ultérieure, une opportunité à saisir ou à laisser filer, pour restaurer durablement l’autorité de l’Etat. D’où l’extrême importance de la tenue au Mali, dimanche prochain, d’élections régulières, crédibles et transparentes permettant de porter à la magistrature suprême un homme ou une femme véritablement issu du suffrage populaire et investi de la confiance de la majorité du peuple.
Si le scrutin donne lieu à des tripatouillages et à des pratiques frauduleuses visant à détourner le vote des électeurs, il est à craindre que les objectifs de re – légitimation des institutions publiques et de restauration de l’Etat ne soient durablement compromis.
Les enjeux du renouveau de la démocratie et du retour de la confiance
Le scrutin du 22 juillet est aussi perçu comme une opportunité pour le Mali de réinventer un système démocratique débarrassé des tares et des faiblesses démontrées par celui qu’ils ont connu depuis la chute du pouvoir militaire du Général Moussa Traoré.
Vingt années de pratiques démocratiques formelles n’ont en effet ni permis d’instaurer les règles de bonne gouvernance souhaitées par le plus grand nombre ni favorisé une véritable participation citoyenne à la gestion dans le passé et celle de voir émerger des pratiques nouvelles permettant aux populations de participer plus activement à la gestion des affaires et surtout leur permettant d’exercer un contrôle plus efficient sur les responsables politiques.
Mais plus profondément, ce scrutin s’annonce comme une opportunité à saisir pour promouvoir dans l’action publique des valeurs jusque-là peu prises en compte telles qu’une plus grande proximité des décideurs avec les administrés, l’obligation de rendre compte, le respect de l’intérêt général dans la prise de décision et celui du bien public.
Ce n’est pas tout. Consacrant le retour à la normalité et à l’ordre constitutionnel, la tenue, dans les conditions satisfaisantes, du scrutin de dimanche est également analysée comme le préalable indispensable au retour de la confiance. Les investisseurs, tout comme les partenaires au développement ont tourné le dos à notre pays, les derniers n’ayant maintenu depuis le coup d’Etat que la coopération strictement nécessaire. Il importe que la confiance revienne pour que le Mali renoue avec le cycle de croissance ininterrompu qu’il connaît depuis deux décennies.
Espérons simplement que les autorités en charge du scrutin, au-delà de leurs préférences personnelles, auront à cœur de donner au Mali, les atouts nécessaires à son renouveau et à son retour sur la scène internationale, en veillant à ce que le scrutin de dimanche reflète la seule volonté du peuple.
Birama Fall