Le Mali sort péniblement d’une crise aux dimensions multiples. Rarement un pays africain aura été aussi prêt de perdre sa souveraineté et son honneur d’Etat libre. Pendant la courte, mais humiliante période de l’occupation des régions du Nord beaucoup ne croyait plus au Mali éternel. Alors même que le Mali est héritier de nombreux et prestigieux empires et royaumes qui furent la fierté du continent. Mieux, jusqu’au coup d’Etat du 22 mars 2012, le Mali était considéré comme ‘’une vitrine’’, un « modèle » de démocratie en Afrique pour avoir connu une transition démocratique réussie (1991-92) et près de 20 ans de développement et de dialogue démocratique.
En effet, le Mali avait pu organiser des élections pluralistes, présidentielles et législatives sans contestation majeure respectivement en 1992, 1997, 2002 et 2007. Ces réalités avaient croire à la solidité de la démocratie malienne.
C’est dans ce contexte d’assurance une crise irrédentiste éclate le 17janvier suivie d’un putsch le 22 Mars 2012 qui a provoqué l’effondrement des principales institutions. Cette vulnérabilité des institutions de la République face à la crise multidimensionnelle a été aggravée par l’agacement des citoyens vis-à-vis des femmes et des hommes politiques et la remise en cause du système électoral qui ne parvenait plus à doter le pays d’un leadership capable à même de résoudre efficacement les conflits.
D’où la nécessité d’un sursaut national pour tirer tous les enseignements du parcours démocratique du Mali. Ce sursaut est d’autant plus important que la pratique institutionnelle des vingt-cinq (25) dernières années écoulées a mis en évidence un certain nombre de lacunes et d’insuffisances qui ont abouti à un fait inédit :
La perte de la souveraineté de l’Etat sur plus des deux tiers du territoire national.
Les évènements survenus à savoir, la rébellion, le coup d’Etat, l’occupation d’une partie du territoire national a empêché la révision constitutionnelle envisagée alors.
Dans le cadre d’un long et laborieux processus, un Accord de paix a été signé le 15 Mai et le 20 juin 2015 à Bamako entre le Gouvernement, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme des Mouvements armés Républicains pour boucler les pourparlers d’Alger avec le soutien de la communauté internationale.
Cet accord pour la paix et la réconciliation est fondé surtout sur « la nécessité de reconstruire l’unité nationale du pays sur des bases novatrices »et la reprise en main des institutions de l’Etat, pour la mise en œuvre de l’accord dit d’Alger».
Cela signifie clairement que la mise en œuvre de l’accord aboutira à la mise en place d’une nouvelle architecture politique, institutionnelle et constitutionnelle. Pour préparer cette mesure, le gouvernement a commis un Comité d’experts pour la révision de la constitution.
Se référant à l’article 51 de l’accord qui stipule que « les parties demandent à la classe politique ainsi qu’à la société civile, notamment les organisations de femmes et de jeunes, les médias, les communicateurs traditionnels et les religieuses, d’apporter les pleins concours à la réalisation des objectifs de l’accord » – la Fondation Balanzan et l’Organisation Internationale de la Francophone ont organisé des Journées de réflexion destinées à identifier et analyser les contraintes politiques, institutionnelles et constitutionnelles liées à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation.
L’objectif principal de ces travaux était d’apporter le soutien de la classe politique, des organisations de la Société Civile à la refondation des institutions pour permettre à la République de se doter d’instruments viables, solides et consensuels.
Nous allons énumérer quelques objectifs spécifiques de ces journées de réflexion qui sont entre autre :
- Procéder à une lecture comparative des principales dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation et celles compatibles avec la constitution de la République du Mali en vue d’identifier les implications de la mise en œuvre de l’accord sur le plan politique, institutionnel et constitutionnel ;
- Prendre en compte quelques éléments des projets de réforme envisagés ; ainsi que les expériences et les bonnes pratiques qui existent dans d’autres pays en matière de réconciliation
- pour instaurer une paix durable ;
- Formuler des recommandations en identifiant des stratégies visant à faciliter les changements souhaités dans l’intérêt du Mali ;
Les communications porteront sur les aspects ci-dessous :
- Identification des contraintes au plan politique et institutionnel.
Ont participé à cette journée de débats :
Les partis politiques de la majorité présidentielle,les partis politiques de l’opposition démocratique,les mouvements signataires de l’accord de paix,les principales composantes de la société civile, des représentants de la MINUSMA, de MISAHEL, de la CEDEAO, du Secrétariat permanent de la mise en œuvre de l’Accord, un Groupe de personnes ressources et d’experts indépendants et de haut niveau.
A la suite des débats du jeudi 11 juillet au CICB, des inquiétudes ont été exprimées quant à la mise en œuvre de l’Accord à partir des analyses des différents acteurs politiques.
Maître Harouna TOUREH de la Plateforme : Pense que l’Accord doit être tout d’abord le fruit d’une entente politique, un compromis. Pour la mise en œuvre de l’Accord, l’Etat ne doit se référer ni au sud ni au nord. Toutes les mesures écrites dans l’Accord se feront partout dans la République. Il a révélé que l’Accord contient un article qui oblige l’Etat malien à reverser aux localités, des quotas issus des ressources souterraines exploitées cela est une initiative à saluer.
L’élection au suffrage direct des autorités en ce qui concerne les Collectivités évite que le plus riche ne se fasse élire selon des méthodes d’influences par le suffrage indirect.
Quant à Nancoman KEITA : Ancien Ministre et Secrétaire politique du RPM, il pense que l’Accord ne doit pas être un panier de colas où on retrouve des colas rouges, blanches, tâchées rouge noire, blanche-noire etc. Il s’agit de dissocier dans l’application de l’Accord, ce qui peut être fait tout de suite et ce qui peut se faire plus tard.
Selon lui, le fait de récriminer toujours le retard des Régions du nord en terme d’infrastructures est dû tout simplement, au fait que le Colonisateur n’a investi que là où le coût était moins cher pour lui. Ces zones ont été les régions du sud tout court. Cela devrait être compris de tous. En ce qui concerne le repli communautaire et son instrumentalisation, devenu un effet de mode si on ne fait pas attention aboutira à une explosion sociale et un démembrement progressif de l’Etat, voire son effondrement.
Selon lui, tous les maliens doivent se retrouver dans cet accord qui est signé pour l’ensemble du Mali.
Le Professeur Ali Nouhoum DIALLO : Ancien Président de l’Assemblée Nationale du Mali, Ancien Président du Parlement de la CEDEAO et Président de la Coordination des Mouvements Démocratiques (COMODE) était l’un des panelistes. Sa crainte se situe au niveau du contenu de l’Accord, qui semble nous amener vers l’Accord d’Arusha qui a apporté au Burundi plutôt la guerre.
Pour lui le terme Accord d’Alger, devrait changer pour devenir Accord de Bamako, car c’est à Bamako que toutes les signatures ont été faites. La conférence d’entente contenue dans l’Accord devrait se faire avant pour aplanir les questions qui divisent actuellement les signataires. Les maliens ne sont pas d’accord sur ce qui est mémoriel ou non.
Pour lui une portion de l’Azawad se trouve au Mali, c’est-à-dire dans la zone de Taoudéni et il existe l’Azawac également dont la localité la plus connue est Araouane. Peut-être que les maliens peuvent accepter ces définitions facilement.
Il a aussi l’impression, que les groupes armés monopolisent l’Etat, à travers la présence de deux forces armées sur le même territoire. Dans ces conditions, il pense qu’il faut au moins un Etat, puisque présentement il n’y a pas d’Etat.
Le constat est qu’en ce moment les forces centrifuges terroristes, groupes armés deviennent plus fortes que les forces centripètes (l’Armée Nationale)
Il se pose la question de savoir si Kidal va devenir un Etat islamique, car Ag Iyad y tient fermement.
Tiéblé DRAME : Ancien Ministre, paneliste et Président du PARENA, qui est un des partis de l’opposition Républicaine estime que l’article 6 de l’Accord d’Alger mérite une relecture, car sa mise en œuvre va créer des présidents bis dans les Régions. En effet, les Présidents des Régions deviendront les Chefs de l’Exécutif, du législatif, voire de la justice. Par conséquent cet article ne répond pas au principe de la démocratie selon Montesquieu dans sa fameuse réflexion dénommée ‘’l’esprit des lois’’, c’est-à-dire la séparation des pouvoirs. Si cet article n’est pas relu, il y aura des conflits communautaires.
Il n’y a pas au monde un seul exemple en terme de démocratie où une seule personne est Chef de l’Exécutif, du judiciaire et du législatif. En évitant cela, le Mali contribuera à la démocratie.
La Communauté Internationale demande toujours d’aller à la mise en œuvre mais reste muette sur la tenue de la Conférence Nationale d’entente.
Concernant le Comité de Rédaction de la nouvelle constitution, aussi bien les Présidents Alassane Dramane OUATTARA de la Côte d’Ivoire que Macky SALL du Sénégal n’ont pas le dixième de nos problèmes, mais ils ont fait une concertation des partis politiques sur le sujet.
Le manque d’écoute du Président IBK a atteint des proportions exagérées à ce jour a indiqué Dramé .
Mohamed Ould Mahamoud : Représentant de la CMA, a dit clairement qu’en changeant, une virgule de l’article 6 de l’Accord, alors la CMA se retirera du processus de mise en œuvre.
AzazLoug Dag Dag : L’un des représentants de la Plateforme, pense que ce qui est en cause dans les régions du nord, c’est la gestion faite par les Gouverneurs, les Juges, les Préfets. Ils n’en veulent plus. Les Autorités Intérimaires sont faites pour mettre cette catégorie de fonctionnaires dans un collège qui va les encadrer et éviter ainsi des abus.
Concernant l’article 60 de l’Accord, il s’agit de permettre au Comité de Suivi de l’Accord (CSA), de jouer son rôle. Actuellement, les sous-commissions travaillent sur les thèmes et les textes, selon un consensus et après le Gouvernement ne tient pas compte du travail des dites sous-commissions. Il fait les textes selon ses dates et ses intérêts. La preuve, c’est qu’après la signature de l’Accord, on a fait 10 mois sans avancer dans sa mise en œuvre.
La Communauté Internationale nous empêche de discuter avec Ag Iyad et Amadou KOUFA, alors qu’ils sont aussi des Chefs dans la zone.
Alasko : Depuis la signature dudit accord, chaque fois il y a tueries. La branche politique des groupes armés entretient l’insécurité au nord pour avoir tous ceux qu’ils veulent. L’accord est par conséquent celui du nord et non pour tout le Mali. Nous allons faire face à cette situation.
La journée a été riches en idées et en débats, sauf que, le peuple malien, même certains responsables administratifs, ou politiques et membre de la Société civile ne connaissent pas réellement le contenu de l’Accord, on a l’impression qu’ils ne sont pas intéressés. Cela est dommage pour le Mali, qui a acquis sa démocratie au prix du sang.
Il y a trop d’écueils dans l’Accord dont l’application ne sauvera, ni le régime d’IBK ni le Mali un et indivisible, défendant les droits des victimes.
Seydou DIARRA
Envoyé Spécial