Dans quelques jours, le nouveau Président élu du Mali, Monsieur Ibrahim Boubacar Keita, va prendre fonction. En effet, aux termes de l’article 37 de notre Constitution « le Président élu entre en fonction quinze jours après la proclamation officielle des résultats ». C’est en application de cette disposition que le futur locataire du Palais de Koulouba, proclamé élu le 20 août dernier par la Cour Constitutionnelle, sera investi le 4 septembre 2013 dans ses nouvelles fonctions par la Cour Suprême devant laquelle il prêtera le serment suivant :
«Je jure devant Dieu et le peuple malien de préserver en toute fidélité le régime républicain, de respecter et de faire respecter la Constitution et la Loi, de remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur du peuple, de préserver les acquis démocratiques, de garantir l’unité nationale, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je m’engage solennellement et sur l’honneur à mettre tout en œuvre pour la réalisation de l’unité africaine».
Si la formule du serment donne déjà un aperçu de la lourdeur et de la complexité de la charge qui échoit désormais à Monsieur Ibrahim Boubacar Keita, lequel devient dès son investiture le gardien de la Constitution, elle ne laisse en revanche rien transparaître quant aux questions et problèmes pratiques auxquels le nouvel élu sera immédiatement confronté dès son entrée en fonction. De fait, Monsieur Keita aura à faire face à un triple bilan : celui, désastreux du coup d’Etat intervenu en mars 2012 et de l’occupation consécutive du Nord par les groupes terroristes, celui d’une Transition qui, au delà des apparences, aura été tout sauf un modèle de bonne gouvernance ; et enfin celui d’une décennie d’errements et de renoncements sous le régime ATT ayant profondément affaibli l’autorité et la crédibilité de l’Etat.
Il s’agit là d’autant de défis que le nouveau Président aura littéralement l’obligation de relever avec succès, au risque de décevoir les très fortes attentes populaires que sa candidature a suscitées à travers tout le pays, comme en témoigne le plébiscite qu’a été son élection à la magistrature suprême.
Les défis
Parmi les questions auxquelles le président IBK devra prioritairement s’attaquer, certaines relèvent quasiment de l’urgence, tandis que d’autres, plus structurelles, demandent la mise en œuvre de politiques durables. Passons en revue quelques unes de ces priorités.
Le rétablissement de la discipline au sein des Forces armées et de sécurité
La crise sécuritaire et institutionnelle de presque une année 2012 que le Mali vient de connaître a été marquée par la répétition des actes d’indiscipline et d’insubordination et la commission de graves abus par des éléments des Forces armées et de sécurité, et notamment par ceux relevant de l’ex – junte militaire et du corps de la police. De très mauvaises habitudes se sont installées dans les différents corps où il semble désormais de bon ton d’afficher du mépris envers les chefs.
La politisation excessive des troupes, notamment celles dépendant de la garnison de Kati et celles de nombreux éléments appartenant à certains syndicats activistes de la police ont eu pour effet de faire basculer dans l’anarchie et la délinquance des centaines d’hommes en tenue. Le racket et les actes de brigandage sont désormais quasi – quotidiens. La rupture brutale de la chaine de commandement, suite au coup d’Etat, et les changements ultérieurement intervenus dans le commandement, parfois au mépris du bon sens, ont eu une sorte d’effet d’appel d’air pour l’insubordination et l’indiscipline dans l’armée.
Faire prévaloir les principes républicains dans la gouvernance des forces armées et de sécurité est aujourd’hui ressenti aussi bien par les Maliens que par nos partenaires comme un impératif de premier ordre, à commencer par le premier de ces principes qui est celui de la soumission de l’autorité militaire à l’autorité civile. A cet égard, le nouveau président donnerait un signal fort en nommant dans son premier gouvernement un civil à la tête du Ministère de la défense, et en rappelant avec force la nécessité de l’observance stricte par les militaires d’un autre principe républicain, tout aussi important que le premier, celui de la prohibition de toutes activités partisanes dans les casernes et les services des armées.
Le renforcement des capacités des Forces armées et de sécurité
A l’instar d’autres candidats à l’élection présidentielle, Monsieur Ibrahim Boubacar Keita s’était déjà engagé à faire adopter, s’il était élu, une loi de programmation militaire visant à doter l’armée malienne de moyens et des ressources humaines adéquats pour assumer les missions qui lui sont dévolues.
Le conflit armé au nord et la débâcle militaire qui s’en est suivie ont démontré à suffisance à quel point le Mali a besoin de bâtir une armée capable de relever avec succès les défis sécuritaires que pose désormais la bande sahélo – sahélienne dont le pays avait fini par devenir le ventre mou. La reconstruction d’une armée aux capacités opérationnelles renforcées et apte à sécuriser les frontières du pays, tel est en définitive le but recherché.
L’engagement pris par le candidat IBK doit se concrétiser rapidement par le dépôt d’un projet de loi sur le bureau de l’Assemblée nationale dans les toutes premières semaines de la prochaine législature, c’est-à-dire à l’issue des élections législatives prévues au mois d’octobre, de manière à ce que la problématique du renforcement des capacités opérationnelles des forces armées et de sécurité soit prise en charge dès la première année du quinquennat. Une initiative rapide est d’autant plus nécessaire sur ce dossier que la question de la réforme de l’armée est devenue, en quelques mois de crise sécuritaire, une forte revendication populaire partagée par l’ensemble de la population.
Le retour de la confiance
Les mois ayant suivi le coup d’Etat et la période de guerre ont mis à mal la cohésion sociale et l’unité nationale. Le calme qui a prévalu pendant les élections ne doit pas faire illusion : les plaies provoquées par la crise restent béantes. Le président élu se trouve à la tête d’un pays, qui offre à bien des égards le spectacle d’un champ de ruines. Une nation divisée entre pro et anti putschs, écartelée entre laïques et cléricaux, des communautés désunies et antagoniques ; une armée désarticulée entre légalistes et putschistes ; une police traversée par la même division ; une classe politique profondément affaiblie et largement déconsidérée par ses volte – faces et son manque de leadership, voilà le spectacle qu’offre le Mali dont hérite IBK. La campagne électorale a permis de prendre la mesure des antagonismes actuels de la société malienne et de la stigmatisation ambiante, qui poussent certains groupes d’intérêts à traiter d’autres d’apatrides ou d’anti – nationaux.
La tâche du nouveau président s’annonce rude sur ce chantier car il s’agit ni plus ni moins que de restaurer la confiance entre les communautés et entre les Maliens, de rétablir les équilibres sociaux et communautaires rompus, bref de créer les conditions d’une véritable réconciliation nationale pour solder définitivement les comptes de la guerre et de la crise.
Le rétablissement de l’autorité de l’Etat et le retour de l’administration au Nord
A n’en pas douter, le rétablissement de l’autorité de l’Etat et le retour de l’administration au Nord font figure de chantier prioritaire. Le meilleur indicateur de l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat reste le niveau de l’incivisme. Au Mali, il touche tous les secteurs d’activité, du haut cadre administratif au citoyen lambda. Cette situation est la résultante de comportements laxistes et permissifs adoptés depuis près de deux décennies à tous les niveaux. Le Président élu aura la lourde mission de remettre les pendules à l’heure en mettant en avant le respect des fondamentaux en matière de citoyenneté et sur le plan des comportements à adopter par les représentants de l’Etat à tous les niveaux.
Sous cet angle, la formation de son gouvernement sera un test qui sera attentivement suivi par les citoyens car la principale raison de la défiance des citoyens envers l’Etat, laquelle dérive parfois vers l’incivisme, c’est la faillite morale de ceux qui agissent et parlent en son nom. La restauration de l’autorité de l’Etat passe par une rupture radicale d’avec les pratiques qui avaient par le passé pignon sur rue à Bamako dans le domaine sensible des nominations aux postes de responsabilité. La rigueur doit désormais être de règle en cette matière comme dans d’autres car, pour restaurer la crédibilité de l’Etat, il faut faire en sorte qu’ils soient représentés par des hommes et des femmes répondant aux critères de probité, de compétence et de dévouement.
Le redéploiement de l’administration au Nord constitue également une priorité. Il doit surtout être perçu par les nouvelles autorités comme la condition sine qua non de la normalisation et de la mise en œuvre de politiques permettant le développement de ces régions.
Les autres attentes
Par commodité, l’on regroupera sous ce vocable les attentes diverses portées par de nombreux groupes d’intérêts ayant soutenu le candidat Ibrahim Boubacar Keita. Il s’agit d’abord de celles des nombreuses organisations et associations religieuses qui ont battu campagne pour l’homme, et qui n’ont ménagé aucun effort pour assurer son élection à la tête de l’Etat. L’on sait déjà qu’elles tentent depuis plusieurs années de faire prévaloir un certain nombre d’idées au plan politique et institutionnel sur la problématique du politique et du religieux. Elles militent par ailleurs en faveur de l’éducation religieuse et de la promotion des cadres issues des medersa et des universités islamiques. L’on sait également qu’elles ont des idées précises sur la réglementation des établissements hôteliers et la tenue des restaurants et bars. Quant à l’application ou non de la charia, sujet majeur lorsqu’on évoque ces organisations, c’est le flou qui domine quant aux positions réelles de ces groupes qui, malgré les apparences, se caractérisent par leur extrême diversité et par l’absence de vision commune de la question centrale de l’Etat. C’est dire que le dialogue avec cette frange très active et très influente des soutiens politiques du nouveau président ne sera pas des plus aisés.
Quid des autres forces ?
En sus de l’appui des organisations musulmanes, IBK a bénéficié du soutien affiché pendant l’élection présidentielle des membres de l’ex – junte et de plusieurs groupes d’activistes militaires de différents camps, quasiment à l’échelle du territoire national. Ces groupes nourrissent très certainement à l’endroit du président élu des attentes précises, d’aucuns parlent même d’une garantie de non poursuite pour des faits consécutifs au coup d’Etat, qui ne sont pas tous amnistiés. S’il est douteux que le Président élu se soit engagé à tenir une telle promesse, il n’en demeure pas moins qu’il aura fatalement à gérer le passif de la parenthèse du putsch. Déjà la nomination du capitaine Sanogo au grade de général, qui ne fait pas, loin s’en faut, l’unanimité au sein de l’armée, apparaît plus comme un facteur de complication des relations du nouveau Président avec l’armée que comme une solution… Elle apparaît d’autant plus problématique qu’à l’évidence, certaines personnes semblent avoir jugé plus sûr de réserver cette nomination à un Président intérimaire plutôt qu’à un Président fort d’une légitimité incontestable et ayant pour lui la durée dans l’exercice de la fonction.
Les derniers groupes de soutien que le Président IBK aura à gérer se retrouve au niveau des partis qui ont battu campagne au premier et au second tour pour lui. Il s’agit, comme l’on peut s’en douter essentiellement d’une question de distribution des dividendes de la victoire, autrement dit de strapontins ministériels, de postes divers et de pantoufles. A ce dernier groupe, le nouveau Président a déjà lancé, sans le nommer, un avertissement clair lors de sa déclaration du mercredi 21 août, au lendemain de la proclamation officielle des résultats par la Cour Constitutionnelle : il ne s’agira en aucun cas, selon lui, d’un partage de gâteaux. Il faudrait attendre la formation du gouvernement pour en juger sur pièces. D’ores et déjà, on peut parier qu’il y aura beaucoup d’appelés et peu d’élus et que le Président privilégiera, dans ses choix, les ralliés de la première heure au détriment de ceux de la vingt cinquième. Mais ça, c’est déjà une autre histoire.
Birama Fall