La semaine dernière, Koulouba s’est retrouvé à la croisée des chemins, en voulant sacrifier à une tradition ancrée qui consiste à faire un bilan d’étape. Le président de la République, en effet, a bouclé sa première année au pouvoir le 4 Août dernier, après que le peuple lui ait accordé sa confiance dans des proportions presque jamais égalées dans le Mali démocratique, une singularité dont le chef de l’Etat nouvellement élu aimait tant se bomber le torse. Peut-il s’enorgueillir autant d’avoir comblé les attentes et mériter la confiance dans les mêmes proportions ? Rien n’est moins évident tant la première année d’IBK a été jalonné d’épisodes mitigés et très peu élogieux. Elle peut toutefois servir d‘alerte voire d’avertissement assez instructif pourvu d’en tirer les leçons appropriées car un état de grâce ne saurait s’inscrire dans l’éternité.
Produit de soubresauts circonstanciels, IBK, qui a été fait par l’histoire, devrait sans doute avoir eu à cœur de faire l’histoire à son tour, en méritant notamment les préjugés favorables généralement fondés sur l’apparence. L’occasion, pour ce faire, lui a été offerte par la dimension, le poids et la singularité des attentes et préoccupations, dans le contexte d’un Etat qui se relevait péniblement du risque de disparition : parachever la reconquête de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale, recouvrer la notoriété internationale et le leadership sous-régional perdu, etc. Le fardeau des attentes est d’autant moins exhaustif qu’il n’intègre pas les aspirations naturelles ainsi que les nombreuses équations d’ordre structurel en termes de chômage des jeunes, de pouvoir d’achat des populations, d’accès à la santé, à l’éducation, bref, le bien-être des masses tout court.
Si la récole est présentée avec plus de modestie au bout de la première année écoulée, c’est visiblement qu’elle a été moins éloquente que les ardeurs et effets d’annonces caractéristiques des promesses de départ.
La volonté n’aura pourtant pas fait défaut, loin s’en faut. C’est d’ailleurs à force de vouloir marquer la rupture d’avec le passé que le chef de l’Etat a versé souvent dans certains excès triomphalistes. Aussitôt élu et installé, il a choisi de se signaler par un intérêt pernicieux pour les poubelles du passé et l’ouverture du chantier complexe de la justice pour les besoins de causes superflues, la persistance dans l’intransigeance dogmatique comme approche devant l’équation du septentrion.
Au résultat, le processus de reconquête de l’intégrité territoriale n’en a été que trop retardé, tandis que la volonté d’assainir la gouvernance a été vite contrariée par les prises en défaut de son initiateur par les gênantes présomptions de collusions d’intérêts avec Tomy Michel, l’épisode tout aussi embarrassant d’acquisition d’avions et de matériels militaires dans des conditions plus ou moins opaques. Bref, des pratiques subversives à rendre méconnaissable le chef de l’Etat – au point que ses slogans de campagne sont tournés en dérision par des allusions caricaturales – et que nombre d’observateurs imputent en grande partie à une certaine synarchie ambiante qui caractérise les divers maillons régaliens.
C’est du reste la raison – sinon l’une des raisons – du clash avec le Premier ministre Tam-Tam Ly. Dont le remplacement par Moussa Mara, un acteur politique à la légitimité contestable, n’aura point été assez heureux pour épargner au pays un revers militaire et le plongeon consécutif dans les précipices de la perte de crédibilité internationale, de positions stratégiques et d’exacerbation de la rupture entre le Nord et le Sud. C’est dans cette posture peu enviable que l’option de la négociation s’est finalement imposée aux autorités au lieu d’être librement choisie. En se précipitant sur la brèche ouverte par le président mauritanien, puis sur la médiation algérienne comme un naufragé sur une chaloupe, l’Etat malien, sous la férule d’IBK, y va forcément et naturellement en position de faiblesses et d’impuissance, manifestement pour avoir opéré les mauvais choix au mouvais moment, au nom d’un attachement excessif à ce qui passe pour «l’Honneur du Mali».
C’est pourquoi, l’aventure tragique inopportune de Kidal n’a point inspiré autant de sympathie extérieure que naguère sous l’occupation djihadiste, ni n’a attendri le front social interne au point de lui faire oublier ses aspirations à un mieux-être compromis avec l’augmentation des prix des denrées, un coût de la vie en hausse progressive. Conséquence : pour la première fois depuis un passé immémorial les incompatibilités entre la première centrale syndicale et le gouvernement ont atteint les seuils où les menaces de grève devait être mises à exécution. Toutes choses qui démontrent pour le moins l’ampleur des malaises sociaux en rapport avec le vécu quotidien des concitoyens.
Quant aux attentes d’ordre structurel, elles sont pour l’heure suspendues aux relations avec les partenaires, mises à mal au point de provoquer le gel d‘une portion conséquente des appuis financiers, en attendant d’être mieux édifiées quant aux intentions bienveillantes des pouvoirs dans la saine utilisation des ressources annoncées.
Les défis socio-économiques persistent en définitive et grèvent les enjeux existentiels de la nation et de la souveraineté nationale sur lesquels l’Etat n’a aucune prise et qui tiennent plus à la mansuétude et aux intérêts des plus puissants parmi les voisins du Mali.
Face à cette évidence, au risque de conforter ceux qui estiment que son apparence l’emporte sur sa consistance, IBK, victorieux de la dernière présidentielle avec moins d’efforts que par les fois où il l’a perdue, est condamné désormais à changer de cap. Il doit tirer les enseignements de ses approches, méthodes et tempéraments jusqu’ici peu productifs pour inscrire les étapes suivantes de son mandat dans une dynamique patriotique en adéquation avec les ambitions et aspirations qu’il nourrit pour le peuple.
Cela implique, par ailleurs, un recours à l’ensemble des ressources disponibles, une ouverture à toutes ses composantes sans le complexe passéiste où il est entrainé par ses collaborateurs les plus vindicatifs. Le jeu en vaut vraiment la chandelle, ne serait ce qu’au nom des enjeux de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale, un chantier où l’impuissance de l’Etat est largement partagée.
A. KEITA