C’est l’article 95 de la Constitution du 25 février 1992 qui traite de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat : la haute trahison . Dans une contribution qu’il a fait parvenir à notre rédaction, Dr Brahima Fomba, Professeur de Droit Public et de Sciences Politiques nous développe le concept de haute trahison tel que vu dans les projets de révision constitutionnelle des présidents Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré.
La Constitution malienne de 92 est décidément malade des anachronismes de sa réponse institutionnelle à la question de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat mal gérée par son article 95.
Malade, à telle enseigne qu’aucune des deux initiatives de révision constitutionnelle sous les Présidents Alpha et ATT n’a pu faire l’impasse sur cet article très mal inspiré. L’article 95 a toujours occupé une place de choix dans le lot des dispositions gênantes de la Constitution de 92.
Cependant, si chacune des deux tentatives avortées de révision constitutionnelle ont à juste titre ressenti l’impérieuse nécessité de repenser le dispositif rédactionnel de l’article 95, force est de constater qu’à l’arrivée, les résultats ont été très largement en deçà des attentes en termes d’innovation sur la question de la responsabilité pénale du Président de la République.
Dans leurs inspirations, les projets de réformes constitutionnelles de ATT et de Alpha ont semblé davantage faire plaisir aux Chefs de l’Etat en exercice au lieu de s’attaquer aux problèmes de fond de l’article 95.
Alpha avait proposé une impunité déguisée du président de la République
La réforme constitutionnelle tentée par le Président Alpha s’inscrivait dans la continuité du Forum politique national organisé à l’époque par le gouvernement en décembre 1998 et janvier 1999.
A titre de rappel, ce Forum politique national a été l’occasion pour la classe politique et la société civile de faire des propositions d’amendements à la Constitution du 25 février 1999.
Globalement, le projet de loi constitutionnelle de Alpha avait repris pour son compte l’essentiel des propositions issues du Forum politique national, y compris celles relatives au fameux article 95.
En dépit de sa démarche participative, le projet de réforme du Président Alpha s’est révélé très limité sur la question de la responsabilité du Président de la République que son article 95 Alinéa 1er (Nouveau) a traité en ces termes:«La Haute Cour de justice est compétente pour juger le Président de la République mis en accusation devant elle pour haute trahison et les membres du Gouvernement mis en accusation devant elle en raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions ».
A l’opposé de la formulation de 92 aux termes de laquelle le Président de la République et les membres du gouvernement comparaissent devant la Haute cour de justice pour les mêmes motifs (haute trahison, et crimes et délits) commis dans l’exercice de leurs fonctions, la réforme de Alpha proposait un système différencié de responsabilité du Président et des ministres selon lequel le Président seul est passible de la haute de trahison et les ministres de crimes et délits.
L’innovation apportée par le projet de réforme constitutionnelle rendait la Haute cour de justice compétente d’une part pour juger le Président de la République en cas de haute trahison dans l’exercice de ses fonctions et d’autre part pour juger les membres du gouvernement en cas de crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Ce qui changeait, c’est que la haute trahison ne sanctionnait que le Président de la République pendant que les ministres n’étaient passibles que des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Ce projet de réforme du statut de la responsabilité pénale du Président de la République a été un cuisant échec pour le Président Alpha si l’on se réfère aux nombreuses insuffisances qui l’entachaient. A commencer d’abord par le fait qu’il aménageait de manière déguisée, un régime d’impunité au profit du Président de la République.Une impunité instituée du fait d’un régime d’irresponsabilité politique et pénale du Président de la République, légèrement mâtiné d’une très hypothétique exception rituelle que matérialisait la responsabilité politico-pénale pour faits de haute trahison.
La probabilité de juger le Président de la République pour les crimes et délits déjà hypothétique, devient quasi chimérique sur la base de la seule haute trahison. Car, comme le soulignait la Commission de réflexion Pierre Avril instituée en France, la haute trahison apparaît comme une sorte « d’arme atomique du droit constitutionnel », « trop radicale pour être utilisée, sans pour autant remplir une quelconque fonction de dissuasion aux yeux de l’hôte de l’Elysée ».
Comment imaginer en effet dans un contexte constitutionnel normal, le déclenchement et la mise en œuvre d’une telle disposition au Mali ! Par exemple, au Mali, sous le régime ATT, avant le coup d’Etat de mars 2012 ou contre l’actuel Président IBK!
Ainsi, à un problème bien réel de responsabilité du Président de la République dans la Constitution de 92, la réforme constitutionnelle du Président Alpha avait apporté une solution hypothétique.
En plus, elle a omis de traiter d’autres insuffisances attachées à l’article 95, comme le sort des infractions perpétrées en dehors de l’exercice de leurs fonctions par le Président et les ministres dont il fait fi.
La Constitution ne dit rien d’explicite sur les poursuites susceptibles d’être engagées contre un Chef d’Etat en exercice pour des faits extérieurs à ses fonctions commis en cours de mandat ou avant le début de celui-ci.
Comment interpréter ce silence? Expose-t-il le Chef de l’Etat aux poursuites de droit commun? Exprime-t-il implicitement la volonté de ne pas soumettre aux juridictions de droit commun les infractions en dehors de l’exercice des fonctions ?
En tout état de cause, ce silence du constituant de 1992, révélateur d’une certaine hésitation, aurait dû être cassé par la réforme avortée du Président Alpha.
La commission Daba du président ATT ratifie l’impunité proposée par Alpha
Disons-le franchement : sur la question de la responsabilité du Président de la République,le Comité Daba a été autant sinon beaucoup plus mal inspiré que le projet du Président Alpha.
Paradoxalement, le projet du Président ATT va opter pour une solution dont elle convient cependant dans le rapport Daba qu’elle a été « une des principales causes de la levée de boucliers contre le projet de révision constitutionnelle de 2001 ».
Cette « levée de boucliers » signifie bien que les arguments à l’origine de ladite proposition n’avaient pas convaincu grand monde. Contrairement aux allégations de la réforme du Président Alpha dont s’est fait l’écho le Comité Daba, les insuffisances de l’article 95 ne sont ni liées à une quelconque « confusion dans les causes de mise en accusation du Président de la République et des ministres devant la Haute Cour de Justice », ni « au caractère politico-pénal de la haute trahison qui ne doit s’appliquer qu’aux Présidents de la République ».
Plutôt que d’attaquer dans le fond le vrai problème de l’article 95, le projet de réforme constitutionnelle du Président ATT va simplement reconduire la reformulation du projet de loi constitutionnelle du Président Alpha. Comme on peut le lire dans son Rapport : « avec la reformulation, unedistinction nécessaire est clairement établie. Le Président de la République sera jugé par la Haute Cour de Justice pour haute trahison, tandis que les membres du gouvernement seront passibles de la Haute Cour pour crimes et délits… »
Le nouvel article 95 qui n’est que la copie édulcorée de la réforme du Président Alpha est ainsi libellé : « Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison…..
Le Premier ministre et les ministres sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis… ».
Aussi bien sous Alpha que sous ATT, on perçoit bien toute la sensibilité de la question de la responsabilité pénale du Chef de l’Etat dans le traitement de laquelle il a sans conteste régné une lourde atmosphère de connivence empêchantla réflexion d’avoir une approche objective. Ce constat est encore plus évident en ce qui concerne la Commission Daba qui affirme dans son rapport : « Ce statut pénal résulte, en fait, d’un impératif de protection. Il constitue un moyen de garantir la continuité et l’indépendance de la fonction présidentielle et de préserver le chef de l’Etat de toute tentative de pression émanant de la société civile ou du corps judiciaire… »
Pour une vraie reforme de l’article 95 au-delà des projets Alpha et ATT
Nous considérons pour notre part que la recherche d’un nouvel statut pénal du Président de la république ne peut absolument se réduire à ces seules considérations.
Comme nous le soulignions dans une précédente contribution dans ce journal, l’objectif essentiel d’un tel exercice si nécessaire à l’épanouissement institutionnel de notre démocratie doit intégrer, compte tenu de la difficulté inhérente à la sanction pénale d’un comportement de nature politique, la contradiction entre la logique plus politique que proprement judiciaire des faits reprochables à un chef d’Etat et la forte connotation pénale de la notion de haute trahison.
Parce que la haute trahison est problématique aussi bien par rapport à sa définition que par rapport à la peine applicable, les abus potentiels qui peuvent en découler nous paraissent des questions de fond qu’aucune analyse sérieuse ne devrait occulter.
L’absence de définition de la notion de haute trahison a pour effet de laisser la liberté à l‘Assemblée nationale ainsi qu’à la Haute cour de justice elle-même de donner un contenu à la notion de haute trahison. L’appréciation ou la qualification du fait constitutif de haute trahison ainsi que la peine y afférente sont ainsi laissées à la discrétion des 2/3 des membres composant l’Assemblée nationale.
Rien ne leur interdit à priori de considérer tel crime et délit commis par le Président de la république dans l’exercice de ses fonctions comme un acte de haute trahison. Ce qui signifie par exemple que la Haute cour de justice pourrait condamner le Président ATT à toute peine prévue ou non par le code pénal.
Le principe de la légalité des délits et des peines veut qu’un justiciable ne puisse être poursuivi que pour un acte précisément interdit par une loi ou un règlement, en sachant à quelle peine il s’expose.
Comment peut-on poursuivre sur la base de la haute trahison, lorsque cette notion n’est pas définie et n’est assortie d’aucune peine prévue connue?
On comprend aisément pourquoi le constituant français s’est débarrassé de la notion de haute trahison à travers la loi constitutionnelle n°2007-238 du 23 février 2007en lui préférant désormais la mise en cause de la responsabilité du Président de la république pour«manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat».
Cette loi constitutionnelle substitue au système des juges politiquesde la Constitution malienne de 92, à travers la mise en accusation, une procédure de destitution fondée sur une appréciation politique de la nature du manquement reproché au Chef de l’Etat.
La nouvelle philosophie française de la responsabilité du Chef de l’Etat est ainsi résumée dans le Rapport sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution : « le nouvel article 68 permet ainsi une nette distinction entre les champs institutionnel et juridictionnel : après avoir sanctionné l’incompatibilité entre un acte ou un comportement et la poursuite du mandat, la destitution rend le Président de la République à la condition de citoyen ordinaire, passible des juridictions de droit commun ».
Laloi constitutionnelle française n°2007-238 du 23 février 2007 ouvre désormais pour les systèmes de responsabilité pénale archaïques des constitutions africaines et de la Constitution malienne en particulier, la voie de la vraie réforme qui s’impose.
Dr Brahima FOMBA
Professeur de Droit Public et de Sciences Politiques
Merci professeur FOMBA, éminent juriste où étiez-vous en 1991 2000 et 2010. Le constituant de 1992 a bien travaillé, ce n’est pas question de texte, envoyer les présidents devant l’assemblée ou les juges ils sauront quoi faire.
Tout ce verbiage pour finir par dire que nous devons suivre la constitution francaise, de la part d’un professeur de droit public en plus 😯 😯 😯 .
Quelle honte!!!
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