Dans une réflexion politico-juridique qu’il nous a fait parvenir, Maître Cheick Oumar Konaré, avocat à la Cour et observateur politique, confronte les pouvoirs textuels du Premier Ministre à la réalité politique du Mali. Edifiant…
Le Premier Ministre, dans notre système constitutionnel, est le “chef du gouvernement”. Du fait que le texte fondamental confie, en son article 55, au gouvernement la mission de déterminer et de conduire la “politique de la nation”, le Premier Ministre possède des pouvoirs fort étendus. D’autant qu’il lui revient de proposer au chef de l’Etat la liste des ministres, de coordonner leur action et d’arbitrer leurs conflits de compétence.
En outre, la Constitution charge le Premier Ministre d’“assurer l’exécution des lois”, ce qui l’investit, de façon prépondérante, du pouvoir réglementaire.
Choix du Premier Ministre
En théorie, le Premier Ministre est choisi par le chef de l’Etat au sein du parti majoritaire au parlement.Ce constat donne au chef dudit parti la vocation naturelle d’occuper le poste. Cette exigence vise à éviter une crise politique, c’est-à-dire une démission prématurée du Premier Ministre, soit à la suite du rejet de la déclaration de politique générale qu’il est tenu de présenter aux députés, soit par l’effet d’une motion de censure votée par ces derniers. C’est pourquoi dans les pays à forte tradition démocratique comme la France, le leader du parti qui victorieux aux législatives devient Premier Ministre. C’est surtout vrai quand la majorité parlementaire du Premier Ministre ne concorde pas avec celle du parti dont émane le président de la République : on parle alors de cohabitation. Le président socialiste François Mitterrand fut, par exemple, contraint à la cohabitation à deux reprises lorsque, suite à des législatives remportées par la Droite, il nomma à la primature Jacques Chirac (mars 1986-mai 1988) puis, à la demande de Chirac, un lieutenant de ce dernier : Edouard Balladur (1993-1995).Chirac, le manitou de la Droite, devenu président de la République, goûtera lui aussi au fiel de la cohabitation en cédant les rênes du gouvernement au chef de la nouvelle majorité parlementaire, le socialiste Lionel Jospin (1997-2002).
En pratique, aucun président malien n’a craint les éventualités de démission forcée du gouvernement prévues aux articles 78 et 79 de la Constitution. Bien au contraire, tout président malien a toujours librement nommé le Premier Ministre de son choix et le plus souvent, il s’est agi d’illustres inconnus, insusceptibles de faire de l’ombre à l’hôte de Koulouba. C’est d’ailleurs à ce sujet que l’Adema, majoritaire au parlement sous les deux mandats du président Konaré, n’eut de cesse de déstabiliser celui-ci en raison de son refus obstiné de nommer Mohamed Lamine Traoré, président du parti, à la primature. Certes, Konaré avait ses raisons (il croyait la réussite impossible avec un président historien et un Premier Ministre philosophe), mais son exemple fit jurisprudence. Ainsi, de 1992 à 2013, aucun des douze Premiers Ministres du Mali ne dirigeait, à son avènement, le parti majoritaire, ni même un parti : Younouss Touré (9 juin 1992 -12 avril 1993); Me Abdoulaye Sékou Sow (avril 1993–2 février 1994); Ibrahim Boubacar Kéita (4 février 1994-février 2000) ; Mandé Sidibé (20 février 2000-28 avril 2002); Modibo Kéita (18 mars 2002-7 juin 2002); Ahmed Mohamed Ag Hamani (9 juin 2002-28 avril 2004); Ousmane Issoufi Maïga (29 avril 2004-27 septembre 2007); Modibo Sidibé (28 septembre 2007–3 avril 2011); Cissé Mariam Kaïdama Sidibé (3 avril 2011- 22 mars 2012); Cheick Modibo Diarra (17 avril au 11 décembre 2012) ; DiangoCissoko (11 décembre 2012-2 août 2013). IBK, troisième président élu de la cinquième République, ne déroge pas, bien entendu, à la règle : il vient de porter, le 5 août 2013, à la primature Oumar Tatam Ly, lequel n’est ni un chef de parti, ni l’émanation d’une quelconque majorité parlementaire.
La réalité malienne
Pourquoi, contrairement à l’exemple français, les présidents maliens ne sacrifient-ils pas au fait majoritaire en cédant la primature au chef de la majorité parlementaire ? L’explication va de soi. D’abord, une cohabitation ôte au président de la République l’essentiel de ses pouvoirs, lui laissant de simples capacités de nuisance (il peut, notamment, refuser de signer les décrets et ordonnances, bloquant ainsi l’action gouvernementale; il peut aussi, comme aimait le faire Mitterrand, jouer au défenseur du peuple contre les mesures impopulaires que le gouvernement est amené à prendre). Or, sous nos tropiques où ont régné d’omnipotents empereurs, le chef de l’Etat tient pour une injure que de devoir inaugurer les chrysanthèmes. En outre, nos partis politiques n’ont pas la force d’imposer un quelconque choix au président de la République: trop souvent peuplés de nomades prompts à virer de bord, ils manquent de discipline interne et craignent, à juste cause, une défection massive de leurs députés en cas de bras de fer avec le chef de l’Etat.De surcroît, nos députés, qui doivent très souvent leur élection à une orgie de dépenses exposées à titre personnel (et non par le parti), n’ont nulle envie de risquer leur mandat en défiant le chef de l’Etat dont ont sait qu’il peut dissoudre le parlement. Enfin, l’obligation de désigner le Premier Ministre au sein du parti majoritaire ne figure pas formellement dans la Constitution du Mali.
Et donc, sortis du chapeau magique du chef de l’Etat alors qu’il ne s’adossent à aucune majorité parlementaire, les Premiers Ministres maliens ne “déteminent” ni ne “conduisent” d’autre politique que celle du chef de l’Etat.
Pour tout dire, ils exécutent ses quatre volontés. Voilà qui explique, par exemple, qued l’ancien président, ATT, ait pris le doucereux pli d’adresser des “lettres de cadrage” à ses Premiers Ministres alors que suivant la Constitution, tout “cadrage” doit être établi par le Premier Ministre lui-même ! Pour traduire dans les textes la réalité institutionnelle malienne, ATT avait même prévu, dans la Constitution qui devait passer en référendum le 29 avril 2012, que la détermination et la conduite de la politique de la nation revenaient au chef de l’Etat. Il s’ensuit qu’au Mali, le Premier Ministre n’est pas le vrai chef du gouvernement mais plutôt le premier des ministres du chef de l’Etat. Au lieu de l’arbitre institutionnel que la Constitution de 1992, décalque de celle de la France gaullienne, a entendu ériger, le président de la République est devenu l’acteur principal du jeu institutionnel, le détenteur réel et quasi-absolu de tous les pouvoirs publics. Un monarque, non pas constitutionnel comme on se plaît à le dire, mais institutionnel.
Le Secrétaire Général de la Présidence, un rival ?
Les pouvoirs du Premier Ministre malien se restreignent davantage s’il a le malheur de ne pas développer une certaine complicité avec le Secrétaire Général de la présidence. Ce dernier, généralement très proche du président, coiffe l’administration présidentielle; à l’exception des conseillers spéciaux qui peuvent traiter directement avec le président, tous les autres conseillers de Koulouba rendent leurs rapports au Secrétaire Général qui, après les avoir analysés, incite le président à autoriser ou à désapprouver telle ou telle initiative du gouvernement, donc du Premier Ministre. En ce sens, le Secrétaire Général, qui est l’oeil, l’oreille et le porte-voix du président, a le pouvoir de torpiller l’action du Premier Ministre, voire de le pousser à la porte. Plus un président incline à déléguer ses pouvoirs, plus son Secrétaire Général devient puissant et plus le Premier Ministre perd d’autorité. L’histoire récente du Mali le confirme. Secrétaire général d’ATT, Modibo Sidibé ne trouvait personne pour le contredire au sein des gouvernements successifs du général où il réussissait même à placer ses amis aux postes clés. Devenu Premier Ministre, il a perdu l’intimité du président qui, sans crier gare, l’a débarqué un beau matin avec, on s’en doute, la bénédiction du… Secrétaire Général en exercice.
Un gouvernement de mission ?
Le gouvernement dont la liste a été publiée dimanche 8 septembre 2013 présente quelques particularités.
Le nombre de ministres (34) ne change pas beaucoup par rapport à l’équipe de Transition (30). Il est vrai que cette équipe a beaucoup plus d’urgences à gérer que celle de Django Cissoko dont les deux missions essentielles avaient trait à la reconquête du nord et à l’organisation des élections.
L’accent est mis sur l’économie puisque, outre le Premier Ministre, économiste reconnu, 9 ministres sont chargés de questions plus ou moins économiques : celui de l’économie et des Finances, celui du budget, celui de la promotion des investissements, celui du plan, celui du commerce, celui des mines, celui du développement rural, celui du développement des régions du nord et celui des transports.
La question de la réconciliation est aussi privilégiée puisqu’un ministère entier y est dédié, occupé par un très proche d’IBK: Cheick Oumar Diarrah. De plus, un ancien chef rebelle touareg, Zahabi, devient chef de la diplomatie, tandis que l’un des leaders des groupes d’autodéfense noirs (MalickAlhousseyni) prend en charge le ministère délégué à la décentralisation.
De jeunes gens sont promus, à l’image du ministre des sports (Me Mamadou Gaoussou Diarra) et de Moussa Marra (ministre de l’urbanisme).
Les militaires de l’ex-junte conservent deux postes importants (transports et administration territoriale), ce qui fait sans doute le bonheur du général spécialiste des “tendances” électorales, Moussa Sinko Coulibaly.
Des 6 ministres de la Transition reconduits, un seul est chef de parti (Tieman Hubert Coulibaly, président de l’UDD). Tieman Hubert est d’ailleurs, avec Moussa Marra, le seul chef de parti présent dans l’équipe.
Des nombreux partis et candidats présidentiels ayant rallié IBK, rares sont ceux qui ont pu placer des ministres.
On sait qu’Abdelkarim Konaté (ministre du commerce) provient de l’Adema; que Malick Alhousseyni (décentralisation) figure au parti PDES; que BocaryTéréta émane du RPM et Bocar Moussa Diarra de l’UM-RDA. Mais on ne connaît pas d’autres ministres issus de partis.
Ce constat fait dire à certains observateurs que ce gouvernement ne s’inscrit pas dans la durée et qu’il sera rémanié de fond en comble après les législatives.
L’une des entrées les fracassantes est celle de Maître Bathily à la justice: il remplace Malick Coulibaly que tout le monde donnait non-partant.
Le départ du ministre de la Défense (général Yamoussa Camara) et de celui de la Sécurité (général Tiefing Konaté) montre qu’IBK, le nouvel homme fort du pays, veut insuffler une nouvelle orientation à l’action de l’armée.
Et sans doute la soumettre au pouvoir civil. Soumeylou Boubèye Maiga, nouveau ministre des armées, saura-t-il donner cet élan ?
Tiékorobani