Dans notre dernière livraison, nous soulignions que le départ de Modibo Sidibé de la primature ressemblait beaucoup plus à un limogeage sans préavis qu’à une démission et que la configuration du nouveau gouvernement permettrait d’en avoir le coeur net. Eh bien!
La semaine écoulée s’avéra riche de leçons et nous croyons pouvoir affirmer que c’est une mine d’uranimum qui provoqua la perte de l’ex-Premier ministre. De fait, la mine de Faléa, située en région de Kayes, a été ouverte dans la plus grande précipitation. Non seulement aucune étude environnementale n’a précédé son ouverture, comme l’exige la loi, mais en outre, des morts suspectes d’animaux commencèrent à foisonner dans la zone minière de Faléa. La chose n’a pas manqué d’attirer l’attention des organisations de défense de l’environnement, dont Europe écologie, une puissante association dirigée par Eva Joly, ex-juge d’instruction française et présidente de la Commission développement du parlement européen. Cette dame, connue pour son caractère d’acier, vient de séjourner dans notre pays où elle a rencontré le chef de l’Etat, l’Agence malienne de radio-protection et la direction nationale des mines. Eva Joly était accompagnée de Michèle Rivasi, de Bruno Chaseyrou et de Christian Courbou, experts nucléaires et responsables de la Commission de recherche sur la radioactivité de Valence.
La commune de Faléa, située à Kéniéba, compte 17 000 habitantsrepartis en 21 villages.Son sous-sol récele 5000 tonnes d’uranium. Dans le communiqué de presse publié par Eva Joly, on lit que c’est sur invitation de l’ARACF (Association des Ressortissants et Amis de la Commune de Faléa) que la délégation du Groupe des députés Verts-ALE a séjourné au Mali du 25 au 29 mars 2011. La délégation fut précédée sur le terrain, à Faléa, par une mission du laboratoire indépendant de la CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité) basé à Valence (France). Cette mission scientifique avait pour objectif d’aider l’ARACF à étudier l’impact environnemental de la mine sur le sol, les eaux, les aliments et les êtres vivants. L’analyse a dégagé des résultats alarmants.
Fallite technique
En effet, la société Delta Corporation Inc et sa filiale Rockgate, depuis 2007, prospectent et explorent à leur guise sans aucun contrôle des services techniques maliens dont aucun ne s’est rendu à Faléa. Aucune précaution n’est prise par rapport aux habitants de Faléa et de leurs sources vitales (eaux, champs , les animaux, etc.).La mission scientifique réalisée par la CRIIRAD du 20 au 28 mars 2011 et la réunion de concertation du 30 mars 2011, à laquelle ont participé les services techniques maliens et la société Rockgate ont permis d’établir les faits suivants: Rockgate a réalisé les opérations de forage sur 70 km et à des profondeurs variant de 200 à 300 m, sans avoir au préalable aucune idée du niveau de la nappe phréatique dans les différentes zones; la société minière n’a effectué aucune analyse des eaux et des boues produites par les opérations de forage, ni de la composition chimique de l’amatex, le produit qu’elle utilise dans les opérations de forage; elle ignore l’hydrographie et l’hydrologie de la Commune de Faléa; ses opérations de forage ne s’appuient sur aucun document technique malien ni sur des informations établies par elle-même sur l’hydraulique locale. De ce fait, les forages sont parfois effectués en amont des sources d’approvisionnement en eau des populations (puits, rivières, etc.) et sur des bassins versants du plateau de Faléa; Rockgate, depuis le début des opérations en 2007, n’a jamais cessé d’afficher une attitude méprisante à l’égard des populations locales, ignorant royalement leur existence, leurs activités et modes de vie; le chef de l’équipe de terrain de la compagnie, M. Yann, a opposé, le 2 juin 2010, une fin de non recevoir à la proposition de l’ARACF de jouer un rôle de facilitateur en raison de sa connaissance du terrain et du milieu humain. On constate chez Rockgate une absence totale de concertation avec les services maliens concernés par l’activité minière comme la Direction de l’Assainissement et du Contrôle des Pollutions et des Nuisances, la Direction des Eaux-et-Forêts et l’Agence de Radioprotection; il existe aussi un manque de coordination entre lesdits services. Le Président ATT, lors de l’audience accordée aux eurodéputés, a déclaré qu’il n’avait pas été informé sur la situation qui prévaut à Faléa et s’est engagé à arrêter les opérations de forage. En plus, il a affirmé que si la population de Faléa ne veut pas de ce projet minier, le permis d’exploitation ne sera pas délivré à Rockgate.
Les leçons d’un départ
La carence du gouvernement dans la gestion de cette affaire minière fut l’élément déclencheur de la crise de confiance entre ATT et Modibo Sidibé. Tout montre que désormais, Sidibé n’a plus la côte à Koulouba et que ses ambitions présidentielles sont bel et bien enterrées. A preuve, ses principaux soutiens dans le gouvernement ont été balayés, à commencer par le ministre des mines, Aboubacar Traoré, et celui des Finances, Sanoussi Touré. Il n’est pas exclu que dans les toutes prochaines semaines, on assiste à la “démodiboisation” des services centraux, douanes en tête.
La tombée en disgrâce de Modibo redonne toutes leurs chances à IBK et à Soumaila Cissé. Le premier envoie son homme de confiance (Bocary Téréta) au gouvernement, ce qui signifie la fin de sa politique d’opposition. On rapporte de sources crédibles que la frange de l’Adema conduite par les vice-présidents Iba Ndiaye et Sékou Diakité entend se rallier à IBK pour la présidentielle de 2012. Quant à Soumaila Cissé, il bénéficie déjà d’un parti bien structuré, d’une grande aura personnelle, de moyens financiers et matériels importants. Le départ de Modibo Sidibé oblige ATT à ne plus combattre le mentor de l’URD, de peur de s’aliéner un futur gagnant. Devrait-on, dans la foulée, conclure que Semega, leader du PDES, a désormais les coudées franches pour représenter son parti en 2012 ? Rien n’est moins sûr puisqu’on sait qu’ATT a entendu expurger du gouvernement tous ceux qui lorgnaient sur son fauteuil, confiant les rênes de l’exécutif à une dame qui lui est totalement dévouée.Va-t-il laisser Semega mener une campagne électorale alors qu’il reste ministre ? Et si Semega ne bat pas campagne, qui donc sera candidat du PDES ? En attendant de trouver une réponse à ces interrogations, qui valent aussi pour Soumeylou Boubeye Maiga, on note une certitude: ATT a formé, comme nous l’avions annoncé, un gouvernement de large consensus qui le met à l’abri des contestations post-électorales et de toute remise en cause de son bilan dans la mesure où toute la classe politique a accepté de travailler avec lui.
A GUINDO