Mali : Quel Premier Ministre pour un pays en post-crise?

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Le nouveau pouvoir malien hérite d’un pays profondément et durablement déstructuré par une décennie de laxisme multiforme. La société et les institutions sont, en effet, négativement marquées par une kyrielle de maux qui sont autant d’obstacles sérieux pour la reprise en main indispensable du pays.

 

Le siege de la Primature du Mali
Le siege de la Primature du Mali

L’agenda de restauration de l’efficacité de l’Etat, dès lors, risque de se heurter, à court terme, à ces obstacles structurels qui se sont ancrés à la faveur du laisser-aller installé par l’ancien régime. Vu sous cet angle, le profil du premier collaborateur du Président de la République doit obéïr aux exigences de l’expérience pratique des hommes, des structures, des réseaux, avec un sens élevé de l’Etat, doté d’un professionnalisme à toute épreuve et une absence totale d’état d’âme dans la conduite des affaires publiques.

 

 

Ainsi, dans la première phase du fonctionnement du nouveau régime, la reprise en main des affaires publiques doit être la plus grande priorité. C’est dire que le contexte hérité impose le profil du Premier Ministre. Le profil du  Premier Ministre d’un nouveau régime est imposé par l’héritage et le contexte tandis que le suivant est imposé par le bilan à mi-parcours, a-t-on coutume de dire !

 

 

Partant de ce principe, passons en revue les obstacles qui risquent de se dresser sur le chemin du nouveau régime. Parmi ces obstacles majeurs, nous en retenons sept qui nous paraissent cruciaux.

 

 

Défis, obstacles et sources potentielles de déstabilisation

  1. 1.            La capacité de nuisance de la puissance de l’argent

Le Mali est l’un des rares pays de la sous région ouest africaine à disposer d’une classe d’hommes d’affaires nationaux ayant accumulé, au fil des ans, un capital financier endogène considérable. Si cette performance est à saluer (contrairement à ce qui se passe au Sénégal ou en Côte d’Ivoire où les ressortissants libano-syriens et français détiennent l’essentiel des leviers économiques et financiers), force est de reconnaitre que la grande partie de cette fortune a été amassée ou obtenue au détriment de l’Etat : fraude fiscale, douanière et trafic en tout genre.

 

 

Or, le nouveau régime, pour respecter ses promesses de moralisation de la vie publique, devra recadrer les règles du jeu de manière draconienne pour permettre à l’Etat de recouvrer ses deniers. Cette perspective risque cependant d’engendrer une résistance subversive de la part de ceux-là qui ont profité de la défaillance du système douanier et fiscal. Il se trouve que ces derniers n’hésiteront pas à utiliser leur fortune par tous les moyens possibles afin de faire échouer cette nouvelle politique.

 

 

2.         L’inévitable incompréhension avec une frange des religieux

La crise sociale et économique favorise chez beaucoup de citoyens déboussolés, notamment les jeunes, une certaine forme d’engagement de type religieux sans une base éducative solide. L’embrigadement d’une grande partie de la jeunesse dans des organismes religieux antagoniques procède de ce phénomène. Il convient de noter que les logiques de positionnement de ces organisations vis-à-vis du pouvoir politique (considéré comme source fondamentale d’enrichissement et de considération) risque d’engendrer progressivement une surenchère de rivalités qui pourrait déboucher sur de l’intimidation et du chantage vis-à-vis de l’Etat, si la sûreté et l’efficacité de celui-ci n’est pas vite rétablies.

 

 

La mauvaise interprétation que certains milieux religieux pourraient faire de la victoire du nouveau Président (qu’ils assimilent à la leur, du fait de leur engagement dans la campagne) risque de les pousser à vouloir tester rapidement la détermination de l’Etat à défendre certains acquis fondamentaux de la laïcité.

3.         L’armée et l’équation de l’argent

Même si la présence militaire internationale est rassurante, même si la légitimité massive du nouveau pouvoir est dissuasive, même si la reconquête du Nord ôte aux putschistes potentiels de tout argument nationaliste, il n’en demeure pas moins que certains secteurs de l’armée malienne ont pris des habitudes jugées très inquiétantes : la manipulation de l’argent facile.

 

 

La corruption des mœurs militaires causée par cette pratique mafieuse risque de laisser des séquelles inquiétantes qu’il faudra endiguer avec fermeté et professionnalisme.

 

4. L’anarchie médiatique

Au Mali, c’est comme si on confondait “démocratie” et “démocratisme“, “liberté” et “licence“, “droit” et “anarchie” ! Peut-on bâtir une Nation dans un environnement public bouillonnant, avec son cortège quotidien de calomnie, de diffamation, de subversion écrite et verbale et d’incitation à l’insubordination et à l’incivisme ?

 

 

L’état d’évolution de la société, les défis de redressement de la Nation, l’impératif de la restauration de la sureté et de l’efficacité de l’Etat, peuvent-ils s’accommoder d’une certaine forme de système médiatique outrancier, négatif qui détruit plus qu’il ne construit ?

 

 

Certes nous sommes là en face d’un sujet sensible touchant à la liberté d’expression – fondement de la démocratie. Mais il arrive souvent dans l’histoire, même dans les grandes démocraties, que l’Etat recadre le système sans toucher aux principes fondamentaux pour l’adapter aux exigences historiques de son agenda. Nous avons vu, par exemple, avec la première guerre du Golfe, comment la puissante Amérique a coaché sa presse pour atteindre ses objectifs.

 

 

Dans le même sens, nous estimons que dans le contexte historique du Mali post-crise, un schéma cohérent de coaching médiatique est absolument nécessaire afin de créer un environnement plus propice, prévisible et maîtrisable, indispensable à la reprise des affaires de la Nation.

 

 

     5. Interférences sous régionales

Le laxisme de l’ancien régime a légué au Mali le pire des héritages : l’ingérence manifeste de certains pays voisins dans ses affaires intérieures.

 

 

Théâtre de rivalités entre acteurs aux ambitions hégémoniques, le Mali d’aujourd’hui abrite en son sein des intérêts et des réseaux denses, totalement orientés dans le sens des objectifs étrangers. Ces intérêts, portés par ces réseaux actifs ou dormants, risquent d’être des sources de relais perpétuels d’ingérence et de subversion très grave.

 

 

Malgré les proclamations d’amitié et de soutien, une vigilance exceptionnelle s’impose vis-à-vis d’un certain voisinage.

 

 

6.         Présence française

Le rôle important de la France dans la libération du Mali lui a conféré une nouvelle carte géopolitique majeure. Cependant, il est à craindre que la posture du nouveau pouvoir, rétif à toute forme de subordination de type néocoloniale, provoque chez certains secteurs du système hexagonal une réaction de dépit, pouvant se traduire, à court terme, en une forme d’hostilité sophistiquée et redoutable. C’est l’un des dossiers les plus sensibles du début du mandat qu’il faudra traiter avec un équilibre d’orfèvre : pas de subordination indigne, mais non plus, pas de provocation inutile.

 

 

7.         Syndicalisme et l’ordre républicain

En la matière, le Mali est peut être parti plus vite que son histoire. Même des pays africains qui ont une tradition démocratique moderne plus ancienne n’ont encore pas accepté la syndicalisation de certains corps sensibles : police et magistrature, notamment.

 

 

Le syndicalisme à outrance est source de déstabilisation des institutions. A ce niveau, une approche stratégique de recentrage doit être de mise avec doigté, professionnalisme et fermeté.

 

 

Conclusion

Au total, la profondeur, l’importance et l’urgence de ces dossiers sont tels que s’ils ne sont pas pris en charge immédiatement, dès l’installation du nouveau régime, le chantier de la “reprise” en main du pays risque d’être aléatoire. Or, dans cette œuvre colossale, le Chef de l’Etat, ordonnateur suprême, doit être secondé par un Premier ministre doté d’une expérience fine des hommes, des réseaux et des structures. Une expérience avérée. Un homme capable de faire son boulot avec efficacité, rigueur et sans état d’âme.

Un fusible parfait à même de jouer pleinement sa partition, même au prix d’une impopularité.

 

Souleymane Doumbia

Enseignant à la retraite pour Maliweb.net

souleymanedoumbia@yahoo.fr

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4 COMMENTAIRES

  1. Merci Mr Doumbia pour votre analyse et commentaire. Cette plume d’enseignant que vous avez exhibée montre combien un vrai enseignant a de la valeur et des mérites. Vous faites honneur à la fonction enseignante. vos propositions et analyses doivent être copiées par IBK et lui servir de reference à lire toutes les nuits avant d’aller au lit. Ces idées encore une fois doivent lui servir de guide pour le choix de son premier ministre. Aucun homme à mon avis pour le moment n’a ces valeurs au Mali, sinon j’allais lui proposer un nom.

    • Le seul que moi je vois au Mali capable d’aider IBK dans sa tâche oh combien patriotique c’est : ZOUMANA SACKO!!!!!

    • Vraiment un texte sobre, clair et sans faute d’orthographe. Il y’a très longtemps que j’ai lu sur Maliweb un texte sans faute. Merci Monsieur. C’est ainsi que nous appelions nos enseignants, professeurs. 😀

  2. IBK doit remercier alpha pour lui avoir laissé la main et construie sa popularité de fermeté sans être le décideur.

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