Le 30 mars dernier, le Conseil des ministres abordait tout juste le point «divers» de son Ordre du jour lorsque le Président de la République informa les membres du gouvernement installés autour de la table de sa décision de mettre fin, le jour même, à leur mission. Le Président Touré remercia le Premier ministre Modibo Sidibé et les ministres pour le travail accompli depuis un peu plus de trois ans et leva la séance peu après. Tout ce cérémonial fut expédié en quelques brèves minutes. On peut imaginer que la manière présidentielle de procéder ainsi traduisait une forme d’exaspération du chef de l’Etat envers certains de ses anciens collaborateurs, qu’il évitera de revoir de sitôt, surtout pour ceux qui ne seront pas reconduits et qui prendront du temps à se remettre de leur limogeage du gouvernement.
Tout a donc été inhabituel dans le déroulement des événements. Traditionnellement, le Premier ministre présente au Président de la République sa démission et celle de son équipe. Ensuite (et au cas où cette démission est acceptée), le chef du gouvernement en informe les ministres. Peu après, le Président adresse aux sortants ses sincères remerciements. Mais, cette fois-ci, l’ordre habituel des choses a été bouleversé. Selon nos informations, le PM aurait été averti le matin même des intentions du chef de l’Etat, mais c’est bien ce dernier qui s’est chargé d’annoncer en Conseil des ministres leur départ aux intéressés. Répétons-le, l’attitude présidentielle s’interprète avant tout comme un ras-le-bol devant l’inertie et la passivité du gouvernement depuis de nombreux mois.
Sur un tout autre plan, la démission de Modibo Sidibé devrait soulager ATT et protéger l’intéressé lui-même. Depuis un certain temps, on prête en effet à celui qu’on peut appeler désormais l’ex PM l’intention de briguer la magistrature suprême du pays. L’ancien chef du gouvernement ne s’est jamais ouvertement prononcé sur la question. Mais un faisceau d’indices montre bien que le projet est en train de se monter et que les choses sont même assez avancées. La création d’une association de soutien aux actions de Modibo Sidibé (Association «Fasoden nyuma»), la prise de position de certains responsables de partis pour faire basculer leur formation en faveur de l’ancien PM (la sortie du 7ème vice-président de l’ADEMA/PASJ, Zoumana Mori), l’activisme d’un regroupement de cadres de la 3ème Région, des appels affichés sur Facebook… On pourrait énumérer d’autres faits qui témoignent que Modibo Sidibé, à défaut d’être déjà en campagne, se positionne au moins pour la présidentielle de 2012.
C’était autant de signaux que le Président ne pouvait ignorer et qui ne lui donnaient pas d’autre choix que de se séparer de son PM. Cela pour deux raisons. La première était de permettre à Modibo Sidibé d’aller peaufiner sa stratégie de conquête du pouvoir, au cas où l’intention à lui prêtée de briguer la plus haute charge de l’Etat s’avérait réelle. L’ancien chef du gouvernement n’aura pas, en effet, de trop d’une année à visage découvert pour se donner une crédibilité de présidentiable et, surtout, pour se trouver des appuis de poids pour une campagne qui s’annonce difficile et complexe.
La seconde raison (encore plus importante que la première) est que le Président de la République ne peut se permettre de déroger à son devoir d’impartialité vis-à-vis des candidats potentiels à la présidence de la République. Il lui est impossible de conserver comme collaborateur le plus proche un homme soupçonné de nourrir des ambitions nationales et qui soit en même temps le chef de l’administration chargée de l’organisation matérielle des élections. Alors que l’on entre en période préélectorale, s’il avait choisi de garder auprès de lui Modibo Sidibé le Président Touré se serait attiré tôt ou tard les foudres de la classe politique et aurait affronté une fin de mandat empoisonnée par les querelles et les attaques politiciennes. Déjà, l’alerte lancée par le PARENA, à travers son Mémorandum, ou les réactions observées à l’ADEMA donnent une idée de la virulence des réactions qui allaient venir du côté des partis politiques, si jamais ceux-ci avaient dû affronter un adversaire jouissant d’une position privilégiée dans l’appareil d’Etat.
Or, ATT a l’ambition de terminer en beauté, de laisser en s’en allant un pays apaisé, dont les filles et les fils vivraient en bonne entente, quels que soit leur statut social, leur origine géographique ou leur appartenance politique. Il avait, en 2002, choisi comme slogan de campagne «Retrouvons ce qui nous unit». Près de dix ans plus tard, il ne pouvait être celui qui aurait, en sous-estimant les enjeux de 2012, semé une discorde aux conséquences sans doute dramatiques.
Mafila