Gouvernance politique: Quelles tâches attendent le nouveau Président du Mali ?

0

D’entrée de jeu, plusieurs dossiers urgents attendent les nouvelles autorités de la République du Mali. Nous nous intéresserons aujourd’hui au système judiciaire.

Le pouvoir des juges est exorbitant au Mali. La loi leur donne la possibilité de mettre sous mandat de dépôt tout individu ou groupe d’individus sur lequel pèserait même un soupçon de délit. Dans cet univers, la présomption d’innocence est un gadget judiciaire. Ici, c’est plutôt la présomption de culpabilité qui est la règle. Bien que cette même loi dispose que l’incarcération doit être une exception, elle est devenue la règle. Les juges utilisent le mandat de dépôt à tout bout de champs. Ainsi, le justiciable devient taillable et corvéable. La justice malienne apparaît comme une épée de Damoclès sur la tête de chaque citoyen. La plus petite des altercations peut se terminer par un emprisonnement. Le plus petit larcin est puni par la prison. Si les juges utilisaient leur pouvoir pour la bonne cause, personne n’aurait trouvée à redire. Il se trouve que l’arme d’emprisonnement massif qui est entre leur main n’est pas utilisée souvent avec pondération et sagesse.

Les prisons sont débordées par des cas de délits mineurs, de témoins innocents et j’en passe. Leur libération se passe par la mise en œuvre d’une sorte de médiation pénale au profit du seul juge. Le justiciable y perd sa fortune ; et la société une occasion de voir revenir de la détention, un nouveau homme, corrigé de ses vices.

L’indépendance de la justice sortie des entrailles de la Révolution du 26 Mars  a donné à une corporation la possibilité de mettre  sous son joug une immense partie de la population. Les juges n’ont peur de rien, même pas de l’enfer. Ce que nous avons vu et entendu pendant notre court séjour dans l’univers carcéral de Bamako-Coura, dépasse l’entendement. On y trouve, pêle-mêle  de vrais repris de justice, de vrais meurtriers et assassins, des déviants sexuels et j’en passe. Mais, on y trouve aussi de véritables victimes de la cupidité de certains juges. Le Département des récidivistes est plein à craquer, parce qu’essentiellement constitué de délinquants libérés avant l’expiration de leur peine et disposant de moyens pour racheter le reliquat de leur peine ou, n’offrant plus aucune ressources pour racheter cette liberté qui est la denrée la plus chère du Mali.

Que faut- il faire alors ?
Il s’agira de faire un grand ménage au niveau de la justice et changer les hommes et le système est l’une des priorités que doit s’assigner le nouveau pouvoir en début de quinquennat. Sans un système judiciaire équitable, rendu au nom du peuple et non de telle autorité ou tel justiciable privilégié, le pays ressemblera à un état de non droit dans lequel règnera la  loi du plus fort. Il faut absolument faire les états généraux de la justice au Mali pour corriger l’ensemble des dysfonctionnements  qui entravent sa bonne marche. Rien ne se  fera de durable sans la prise en compte des ressources humaines de qualité au service du justiciable. Mal rendues, ou mal appliquées, les décisions de justice  peuvent  aggraver la fracture sociale, approfondir l’exclusion et constituer un frein aux investissements par son caractère répressif.

A quoi servirait le meilleur code des investissements si certains  juges cherchent davantage leurs intérêts et celui de certains privilégies au détriment d’autres sujets de droit ?  En réalité, la bonne justice, indépendante, rendue avec probité et sérieux est une des clés essentielles du mieux-vivre ensemble  dans une société, et permet d’éviter la tentation d’une loi du talion généralisée.

Il s’agira de : Pourvoir les postes importants par appel à candidature, et mener une lutte sans merci contre les corrupteurs de juges et les juges corrompus. Mettre à la disposition de la population un Numéro vert pour dénoncer tous les abus commis par les juges dans l’exercice de leur fonction depuis une décennie.  Enquêter auprès des familles des détenus pour les cas  de corruption à la demande  des  juges. Dégager de la fonction publique tous magistrats convaincus de corruption. Assainir le système des interpellations abusives et des détentions du même genre. Trouver une parade au pouvoir exorbitant donné aux juges pour emprisonner les prévenus avec légèreté afin de constituer une source de revenus tarifés. Par exemple, le coût d’une liberté provisoire pour les petits délits  oscille entre 300 et 400.000 FCfa et le coût d’un transfèrement varie entre 75 et 200.000FCfa. Ces tarifs  sont appliqués aux détenus étrangers  au Mali. Ils sont libres de cette façon après avoir commis quelques fois de graves crimes sur le territoire national.

Une simple vérification par  l’inspection du système carcéral indiquera que tous les Centres agricoles sont vides des détenus, notamment des étrangers qui y ont été affectés. Quant au coût d’un  changement de cellule, il varie entre 10.000 et 150.000 FCfa pour les plus fortunés à Bamako. A l’intérieur, les tarifs varient en fonction du client.

Tous ces montants engrangés sur les détenus représentent des montants qui auraient pu réduire la part du budget allouée aux prisons ou servir à améliorer le quotidien des détenus par l’achat de médicaments, l’achat de moyens de transports et la construction d’infirmeries dotées de kits médicaux de premiers soins.  On pourra ainsi réduire de moitié la mortalité observée dans l’espace carcéral au Mali. Avec des détenus mal nourris, mal soignés et vivant en surpopulation, les prisons ne peuvent être que des mouroirs. Ceci doit heurter la conscience de ceux épris de justice. Tandis que les responsables de la prison et certains juges s’en mettent plein la poche sur la misère de jeunes délinquants et des prévenus de tous genre,  la société continue à fabriquer, dans ses prisons, des cohortes de jeunes délinquants que la détention  aura endurcis.  De petits délinquants sans envergure, ils deviennent des caïds sans frontières. Ils  savent aussi que le temps mis pour expier leurs crimes par l’incarcération  ne dure jamais  que le temps que vivent les phalènes, jusqu’au terme du verdict, en fonction de leur capacité à corrompre le système et de l’extrême sensibilité de certains juges à l’argent sale.

La faute première incombe à la justice
C’est à la justice de s’assumer en limitant les mises en délibération intempestives après les jugements destinés uniquement à soutirer de l’argent aux prévenus. Il faut absolument mettre fin à ces abus qui ne sont autres choses que des actes de recels de biens mal acquis. Quelle est la différence entre un juge et celui qui, bien qu’étant coupable de crimes contre la société,  est relaxé après paiement d’une rançon ? Tout le monde connaît les pratiques de certains  juges, mais personne n’a le courage de lever le petit doigt. On se fait ainsi complice d’une situation qui jure avec la probité morale.
Il faut également faire justifier par chaque magistrat candidat à un poste de responsabilité,  l’origine de tout patrimoine lui appartenant, appartenant à son épouse et à ses enfants. Mener aussi une enquête de moralité par une structure de juge militaire indépendante avant de confirmer ceux qui occupent les postes actuels. Les faire prêter serment sur leurs livres religieux. Mettre leurs lignes sur écoute et leurs envoyer périodiquement des inspections du Végal et l’Inspection des affaires judiciaires qui doit  être dotée de réels pouvoirs et composée de jeunes magistrats intègres. Constituer de vrais faux prisonniers pour piéger les plus véreux d’entre eux ainsi que les responsables des formations carcérales. Au besoin, à l’aide des micros cachés, surprendre les transactions illicites entre eux et leurs victimes. Greffer ces pièges sur de vrais délits et mettre ce système en place dans la durée pour que la peur change de camp. Afficher au grand jour la liste des magistrats corrompus et les dossiers dans lesquels ils auraient perçus des pots de vins. Nommer un Ministre de la justice en dehors des magistrats et y nommer un juge  militaire intègre avec pour mission de nettoyer cette noble fonction de ses brebis galeuses.

Quant aux prisons, tout le monde sait qu’elles sont gérées comme des structures privées. Lorsqu’un détenu  y arrive, on lui présente l’accès à certaines cellules  comme un privilège. Il doit payer des sommes pouvant atteindre 600.000 FCfa. Les responsables se partagent mensuellement des sommes atteignant un minimum de deux millions dans certaines prisons. Tout mouvement d’une cellule à une autre est payant, tout transfèrement  vers les centres agricoles est payant. Au total, ce sont des millions qui sont soutirés aux prisonniers et à leurs parents au vu et au su de toute la République. Même la réduction des années de prison par la Grâce est payante pour ceux qui disposent de gros moyens ou de relations bien placées. C’est un système gangrené par une corruption intégrale.  Les transactions se font au grand jour, qui pour libérer un parent, qui un frère. Pour les cas de gros détournements, les juges en charge du dossier demandent 10%. Leur slogan est que ceux qui profitent du système ne sont  pas seuls des  Maliens, sous entendus qu’ils doivent eux aussi en profiter.
Il convient donc de mettre de l’ordre dans ce capharnaüm, car la justice et le système carcéral sont le miroir de la société.
Birama FALL

Commentaires via Facebook :