Que peuvent bien avoir en commun ces décisions de l’Etat malien : Code de la famille, Obligation du port de casque et immatriculation des engins à deux roues, Assurance Maladie Obligatoire (AMO) ? Vous l’avez certainement deviné. Elles se caractérisent toutes par l’amateurisme de leurs auteurs et ont toutes rencontré une vive opposition des malien. Un décryptage qui doit inciter à plus de circonspection et de sérieux au regard des futurs enjeux.
Le nouveau code de la famille : les failles d’une procédure
Le projet du nouveau code des personnes et de la famille constitue certainement l’un des plus importants repères en matière de gouvernance au Mali. Une décision ayant épuisé tous le circuit d’adoption et qui se verra malgré tout rejeter par la majorité des compatriotes, par la rue, en l’occurrence. A lors question : faut-il prendre l’administration malienne au sérieux ?
En vue de se donner bonne conscience, les adeptes de ce projet de loi mettent en avant l’organisation des concertations avant le vote du document à l’Assemblée Nationale. Mais bien entendu, concertation ne veut nullement dire approbation. L’autre argument consiste à dire que la société civile était valablement représentée lors des séances d’échanges.
Les manifestations de protestation qui ont suivi prouveront en fait que la configuration des séances préparatoires en question ne reflétait pas la véritable composition de la société civile malienne.
Le mécanisme est bien connu. Il s’agit lors de ces séances, de faire représenter, à égale proportion, tous les compartiments de la vie sociopolitique du pays. Une méthodologie qui pèche au motif qu’il ne tient pas compte du fait majoritaire. Le concept viole en effet l’une des règles cardinales de la démocratie et suggère le diktat de la minorité. Toute chose susceptible de porter les germes de graves conflits sociaux.
Les manifestations organisées par les opposants (pas seulement les religieux) ont attesté de la légèreté ayant caractérisé la procédure d’adoption de ce projet de textes. Et la crise est loin d’être finie.
Port de casque obligatoire et immatriculation des engins à deux roues : Une affaire personnelle du ministre
Bien entendu, la sécurité n’a pas de prix. Mais les décisions y afférentes peuvent s’avérer plus périlleuses que les accidents de la circulation routière.
C’est de manière autoritaire et spontanée, et tenez-vous bien, à la faveur d’une émission télévisée, que le ministre des transports a pris ces décisions. Et il en fit plus tard une question personnelle.
Là aussi, la majorité des compatriotes n’adhéra pas. De nombreux usagers l’assimilèrent à du mépris émanant d’un membre du gouvernement.
En clair, il existe des préalables avant l’adoption de pareilles mesures. Il s’agissait d’abord de faire l’état des lieux, question d’identifier les usagers et de faire un inventaire des moyens disponibles.
Une petite prospection aurait par exemple permis de savoir qu’un nombre important d’agents de l’Etat y compris des policiers, gendarmes, sapeurs pompiers, militaires et gardes, ceux-là en charge d’appliquer la mesure, se comptent très nombreux parmi ce type d’usagers de la circulation routière.
Ces hommes et femmes jouissent-ils de tous leurs droits ? Les textes prévoient par exemple que l’Etat se charge de les acheminer sur leur lieu de travail. Il ne le fait évidemment pas. Ces personnes utilisent par conséquent leurs propres moyens, des engins à deux roues en général, pour ce faire et ne bénéficient de la moindre compensation de la part de l’Etat. Faut-il leur ajouter des charges supplémentaires ? Si oui, l’Etat devrait auparavant s’acquitter de ses devoirs en leur octroyant au moins des primes de déplacement, autrement il éprouverait d’énormes difficultés à faire respecter ses propres mesures. Elémentaire !
En somme, la décision n’a pas été murie en amont. Elle fut très mal accueillie dans les casernes et camps.
Les autres usagers ne manquaient également pas de griefs…
L’AMO : plutôt un déficit de confiance que de communication
Pour les représentants de l’Etat, le rejet de l’AMO par une grande partie des salariés maliens est du fait d’un déficit de communication. Oui, mais… Il s’agit beaucoup d’un déficit de confiance. Il faut le dire, comme dirait l’autre : de nombreux compatriotes n’ont plus foi en leur Etat. Et le phénomène s’explique.
Il n’est un seul rapport de contrôle publié ces dix dernières années qui n’épingle au moins l’administration d’une structure médicale. Et aucune de ces dénonciations n’a été suivie d’effet.
Les Etats généraux sur la lutte contre la corruption et la délinquance financière ont préconisé de grandes mesures jamais mises en œuvre. L’impunité et la médiocrité sont toujours encouragées au Mali. Le citoyen lambda assiste impuissant au phénomène et ne sait désormais à quel saint se vouer.
Rien de mal s’il ne s’agit que des ressources propres de l’Etat qui sont ainsi dilapidés. Mais dès l’instant qu’il s’agit du salaire, par définition individuel, alors…
En clair, l’Etat malien n’est pas à mesure de fournir la moindre garantie que les contributions des salariés dans le cadre de l’Assurance Maladie Obligatoire seront judicieusement utilisées et à l’abri de la malversation ; que les contributeurs bénéficieront effectivement des égards et traitement appropriés ! Ils ne sont pas blâmables au regard des faits du moment.
Il s’agit véritablement d’un déficit de confiance né lui-même d’une défaillance de gouvernance et non de communication. Il n’est pas rare d’entendre des propos du genre et émanant des détracteurs de l’AMO : « ils ont fini de bouffer les sous de l’Etat et c’est derrière nos salaires qu’ils courent à présent». Une boutade très révélatrice de l’état d’âme de nos protestataires.
Et comme si l’histoire voulait leur donner raison, à la date d’aujourd’hui, plus de 60 % des structures sanitaires retenues dans le cadre de l’AMO ne sont pas encore fonctionnelles malgré la rétention de 3,6% sur les salaires depuis le mois de novembre dernier.
C’est dans ce contexte de méfiance, d’impréparation et de tâtonnement que l’Etat s’apprête à engager d’autres grands chantiers. Le pari n’est pas gagné d’avance au regard du même déficit de gouvernance.
B. Diarrassouba