Le président de la République fait de plus en plus l’objet d’une fronde de la part de certains acteurs de la classe politique et de la société civile. Les compatriotes, regroupés au sein de l’Asso-ciation Démocratie et Justice (ADJ), à travers leur docu-ment dénommé le “Manifeste pour la démocratie”, en veulent à ATT pour avoir érigé en système de gestion: le consensus. Pourtant un coup d’oeil dans les annales politiques du Mali permet d’affirmer que l’unanimis-me n’est pas un fait nouveau dans notre pays. Il a été inventé sous le parti unique et expérimenté même après l’ouverture démocratique. Mais chacun y est allé avec sa méthode.
DE L’UNION SOUS MODIBO KEITA ET MOUSSA TRAORE…
A l’accession du Mali à l’indépendance en 1960, l’US-RDA qui a eu le privilège de diriger le pays a prôné aussitôt le rassemblement de tous les fils du pays. Les arguments développés par les acteurs politiques du moment tournaient autour de “un Peuple, un But, une Foi” qui était d’ailleurs la dévise de la Fédération du Mali composée de notre pays et du Sénégal. Après l’éclatement de la Fédération, les deux pays ont gardé cette dévise. Tout porte à croire que le président Modibo Keïta et ses camarades avaient voulu ainsi pour parvenir à la cohésion sociale afin d’avoir un peuple tourné unanimement vers les objectifs du développement, tout en concentrant les énergies. C’est de là qu’on assista à l’élaboration du plan quinquennal en 1965.
Alors, la dévise était claire: un peuple uni dans le but du développement, mais socialiste. Le système a-t-il été profitable au point qu’il était susceptible d’être maintenu?
L’affirmative s’avère permise. Et pour cause. Malgré le changement intervenu en 1968, avec le coup d’Etat militaire, les mêmes préceptes ont été plus ou moins gardés. Moussa Traoré et son CMLN ont dû comprendre que l’unanimisme donnait les avantages à celui qui avait la charge des plus hautes fonctions. Il le faillait quand on sait qu’en refusant de retourner dans les casernes après le putsch, les militaires affichaient leur intention de faire carrière politique. Ce qui n’étonne guère, car tout porteur d’uniforme qui réalise un coup d’Etat cesse d’être militaire pour devenir homme politique. Et pour le confirmer, Moussa Traoré et certains compagnons ont créé leur parti, à savoir l’UDPM. Tout comme sous Modibo Keïta, on a encore prôné l’union pour un peuple aspirant à la démocratie.
Ce qui n’a pas été une tâche aisée pour les plus hautes autorités, puisque la gestion humaine, souvent démesurée, n’a pas facilité celle d’une économie nationale indépendante et planifiée. Comme pour dire que Moussa Traoré a été inspiré par Modibo Keïta dans la gestion des affaires publiques dans un pays où on reste convaincu que l’union, fait la force. Mais avec l’ouverture démocratique soldée par la fin du parti unique ne devrait-on pas assister à la contradiction?
A LA GESTION CONCERTEE DU POUVOIR SOUS ALPHA…
Au sortir de la longue lutte de résistance nationale contre le régime de Moussa Traoré, le peuple malien s’est massivement organisé au lendemain du 26 mars 1991 au sein du mouvement démocratique pour conduire le changement en vue de son épanouissement. Après la conférence nationale à laquelle toutes les couches socio-professionnelles ont participé, c’est l’Adema-Pasj ayant comme candidat Alpha Oumar Konaré qui a gagné les élections de 1992. Ce qui était demandé à ce parti, c’était de rompre avec le passé et de bâtir le Mali nouveau. Mais, au lieu de tourner dos au système ancien, le président Konaré et l’Adema ont exprimé leur volonté d’aller vers une gestion concertée une gestion consensuelle et une gestion partagée du pouvoir. Au nom d’une gestion concertée du pouvoir, des partis ont signé ce qu’on appelait le pacte républicain. Malgré ce pacte, on assista à l’ouverture du gouvernement aux partis issus du mouvement démocratique et même à l’opposition.
Cela se comprend quand on sait que dans sa gestion du pouvoir, l’Adema-Pasj s’était imposé des valeurs essentielles que sont la solidarité, le partage symbolisées par l’expression, “ensemble”. Après le départ du pouvoir d’Alpha et de son Adéma, son successeur Amadou Toumani Touré devrait-il inventer la roue en abandonnant l’unanimisme comme méthode de gestion des affaires?
ET AU CONSENSU SOUS ATT
Les grandes contestations qui ont émaillé l’ère Konaréenne avaient donné des sueurs froides aux démocraties au point qu’on pensa que le pays était au bord de l’implosion en 2002. Avec les secousses qui avaient émaillé les premiers pas de notre démocratie multipartiste, les acteurs politiques étaient devenus frileux. Il y avait chez certains, l’instinct de conservation des acquis et avantages personnels engrangés sous la démocratie. Or d’autres juraient de réaliser l’alternance, étant donné les frustrations nées de la crise politique. C’était le cas chez tous des membres du coppo qui faisait office d’opposition radicale au régime.
C’est donc dans ce conteste qu’ATT est arrivé au pouvoir sans la couleur d’un parti politique. Mais, au demeurant, il était avec une vingtaine de compétiteurs déclarés sous les couleurs de formations politiques. Ces candidats agissaient sous la bannière de partis avec des idéaux et des concepts de développement plus ou moins différents. Certains se disent socialistes, d’autres libéraux bon teint ou écologistes, d’autres encore dont les textes d’orientation ne définissent aucune option précise.
Qu’à cela ne tienne, voyant sa réussite confirmée, tous ces acteurs se sont rués à ses côtés sans concertation au préalable en acceptant son programme. Face alors à cet enthousiasme calculé et manifesté par les hommes politiques ainsi que ceux de la société civile, le locataire de Koulouba ne pouvait qu’accepter, lui qui avait déjà bénéficié du soutien unanime de tous sous la Transition, et il avait aussi besoin de prendre “les décisions les plus importantes par consensus”, comme il l’a relevé dans une grande interview accordée à JA/L’Intelligent du 22 au 28 juin 2003. L’une des priorités pour lui était la disparition totale de l’invective du débat politique. Comme pour dire que son consensus n’est nullement un unanimisme stérile puisque les députés ne ménagent pas l’exécutif.
Question: L’unanimisme est-il un instrument pour chaque tenant du pouvoir de gérer les affaires publiques, car les dirigeants changent, mais on reprend toujours le même système? Est-ce notre société elle même qui prône une telle voie compte tenu de l’influence des structures sociales sur la conquête et l’exercice du pouvoir au Mali? Faudrait-il positiver ce système ou le rejeter parce que la démocratie a ses principes et règles?
Dans tous les cas, le Guide libyen a, quant à lui, été courageux en traçant une troisième voie, celle de la démocratie directe et qui semble répondre aux aspirations de son peuple, malgré quelques difficultés. Ceux qui fustigent l’unanimisme au Mali n’ont-ils pas, à un moment donné de l’histoire, bénéficié de ses bienfaits?
Oumar SIDIBE
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