Les défis qui attendent notre pays sont complexes et graves. J’espère que durant les 5 années à venir nous ferons en actes des pas significatifs vers des lendemains meilleurs. Je n’aime pas écrire une telle phrase tant et tant de fois répétées qui dit à notre population d’avancer vers le bonheur qu’il atteindra le lendemain de la saint-Ngolo.
La Cour suprême a officiellement installé le président élu, Amadou Toumani Touré. Son programme, le PDES est désormais le document de référence pour le développement de notre pays pour les 5 années à venir. C’est un document de planification stratégique. Pour réussir, il a besoin par-dessus tout de l’adhésion du plus grand nombre des Maliens.
Mais de façon pratique la réussite d’une planification stratégique dépend de ce que l’on appelle sa gestion stratégique. Son contenu consiste à pouvoir répondre à tout moment à 5 questions qui sont : (a) que faut-il faire ? ; (b) qui doit le faire ? (c) quand faut-il le faire ; (d) comment faut-il le faire ? (e) quelles sont les ressources disponibles pour le faire ?
Bien entendu ces questions n’ont de sens que s’il existe une volonté d’évaluer le travail, une capacité de procéder à cette évaluation et une volonté d’en tirer des conclusions correctives, sincères, sans complaisance. Je ne vais pas juger ce document, mais je vais analyser le contexte réel dans lequel il va devoir être mis en pratique.
Au premier plan, deux événements récents. Ils sont terriblement malheureux. J’espère qu’ils ne vont pas contribuer à fixer le contexte psychologique dans lequel ce document sera reçu. Le premier est la regrettable et dangereuse décision prise par les députés de largement majorer leurs salaires. Je reviendrais sur cette question plus loin. Le second événement est l’emprisonnement et la condamnation d’un enseignant et de plusieurs journalistes.
Tout d’abord délimitons clairement l’espace du débat. A mes yeux, il est important que nous Maliens, respections notre engagement constitutionnel à donner à la loi la force que lui confère notre consentement à lui obéir. Nous devons reconnaître que la façon dont la loi est interprétée et appliquée est et doit demeurer à la discrétion du magistrat. Nous devons reconnaître aussi que dans tous les pays du monde, la loi est utilisée plus pour servir l’ordre moral, le pouvoir du jour que pour servir la Justice abstraite et pure. Ceci n’est point une approbation mais un constat.
Benjamin Constant, avec des mots plus précis prononcés à un de ces moments de grands troubles dont l’Histoire de France est coutumière, l’avait déjà dit. Cette pétition oratoire n’enlève rien à ma volonté personnelle, certainement partagée par de nombreux compatriotes, de contribuer à ce que la loi soit mieux appliquée qu’elle ne l’est souvent sous nos cieux.
Fausse route
Nous devons travailler ensemble pour qu’une lutte sans ambiguïté des consciences éveillées, au fil du temps, produise des superstructures à la fois plus républicaines et plus démocratiques. Dans l’affaire présente de l’enseignant et des journalistes, à partir du moment où la justice s’est auto saisie en ouvrant une procédure publique, le problème est, à mes yeux, devenu plus administratif que légal. Dès lors, je cesse de m’adresser au magistrat pour me tourner vers Mme le ministre de la Justice.
Je veux lui dire combien je suis en désaccord avec le traitement du présent dossier. Ma conviction est qu’il n’était point nécessaire de condamner ces jeunes professionnels. Ensuite, je suis convaincu que le temps prouvera que cette condamnation n’était point utile à la bonne santé de la République et de ses institutions. Elle n’aura même pas servi à atténuer l’indiscipline généralisée qui prospère dans notre pays.
Mme le ministre, vous savez qu’à titre personnel j’ai de l’amitié et de l’admiration pour vos talents de serviteur du droit établis dans l’opinion publique de notre pays. Cependant, lorsque l’administration utilise la loi pour condamner, au nom de la morale et de l’ordre public, des intentions qui elles-mêmes prétendent défendre la morale et les valeurs sociales, il en naît un conflit qui érode la cohérence du droit et fait grandir les passions. Il y a un risque à voir s’élever une contestation de l’autorité judiciaire. Face à une autorité judiciaire affaiblie, la désobéissance civile devient probable en même temps que grandit le sentiment que la force publique n’est ni protectrice ni juste.
Maintenant que la justice a condamné mon collègue Minta, bien de personnes, dont moi, seront frustrées de ne point le voir passer devant un conseil de discipline, selon le principe que l’on ne saurait juger ou condamner une même personne deux fois pour la même faute. Car ici s’il y a faute, elle est pédagogique. Il ne fallait pas ôter aux pédagogues, la chance de bâtir une jurisprudence professionnelle en ce moment où l’enseignement a besoin d’ordre et de discipline.
Il y a dans notre pays de grands pédagogues qui auraient pu être bien utiles. Pour vous aider à en trouver, je m’en vais vous citer des noms parmi lesquels des valeureux hommes et femmes qui m’ont formé, du primaire au secondaire. De Bafoulabé, à Bamako. Au nom de tous mes distingués et glorieux maîtres, je voudrais citer quelques-uns que nous sommes heureux d’avoir toujours avec nous : Abdoulaye Thiam, Tiémoko Traoré, Tenemba et Hamadi Macalou, Singo Coulibaly…
Je peux aussi citer d’autres enseignants qui font honneur à notre métier commun et qui sont de véritables combattants que le monde au Mali et en dehors du Mali regarde en train d’encadrer nos jeunes enseignants et enfants. Parmi eux et au nom de tous les autres je voudrais citer : Baba Haïdara, Bakary Kamian, Mme Soumaré Aïssata Diallo, Modibo Kéita. Face à Minta et dans l’éducation de nos enfants, la voix de ces hommes et femmes porteraient sans doute plus loin et plus fort que celle d’un juge officiant dans une salle de tribunal vide.
Revenons au contexte du PDES. Je vais regarder une partie de la réalité économique du Mali au travers du prisme qu’est le rapport 2007 sur la compétitivité de l’Afrique. Le mercredi 13 juin 2007 la Banque mondiale (BM) a publié un document intitulé « Rapport sur la compétitivité africaine, 2007 » (The Africa Competitiveness Report 2007) disponible également sur Internet à l’adresse http://www.weforum.org . J’ai noté avec fierté qu’un des chapitres de ce document, celui sur les technologies de l’information a été rédigé par notre compatriote Hamadoun Touré récemment élu à la direction d’une des structures techniques de la famille des Nations unies.
J’ai rarement été autant en accord avec un document de la BM. Ce document ne met pas en cause le rang de 175e pour le Mali établi précédemment par le Pnud. Cette question ayant déjà été largement discutée au Mali, je n’y insiste point. Entre autres, trois qualités de ce document ont retenu mon attention. La première est la présentation claire de la liste de neuf (9) domaines qualifiés de « piliers » de toute action de développement.
La seconde est la présentation par les faits chiffrés des dix facteurs s’opposant à l’investissement productif dans chaque pays du monde en développement. La troisième est la variété des graphiques qui présentent, de façon lisible, à tout lecteur même celui qui serait fâché avec les rapports statistiques fastidieux, des réalités qui deviennent intelligibles.
Concernant le Mali, ces réalités intelligibles me sont, à titre personnel tout à fait crédibles dans la mesure où presque mot à mot, ils reprennent des éléments que j’ai souvent présentés dans mes argumentaires. Ces réalités intelligibles à retenir sont : (1) le Mali comme tous les autres pays africains, à la notable exception de 2 d’entre eux, se trouve seulement à la première phase du processus de développement où ses efforts le classent au rang 122 ; (2) un élément très positif est que le Mali figure sur la liste des 100 premiers pays au monde dans le classement de ceux qui ont adopté le réflexe de l’innovation technologique dans ses choix d’équipements et d’infrastructure ; (3) le Mali se développe par rapport à lui-même mais sa courbe de croissance est parallèle à celle de la moyenne des ensembles de l’Afrique et du monde.
Ceci veut dire que le Mali n’améliore pas, par rapport aux autres pays du monde l’état de bien-être de sa population ni en termes de règles institutionnelles adaptées, ni en termes d’éducation, ni en termes de santé publique, ni en termes d’infrastructures, ni en termes d’investissements productifs ; (4) les croissances économiques africaine et malienne sont, depuis 2003, parallèles et sont tirées vers le haut par la demande internationale de matières premières, de pétrole en particulier ; (5) les 3 principaux facteurs perçus comme étant les plus dissuasifs à l’endroit de l’investissement au Mali sont dans l’ordre : l’inaccessibilité au financement bancaire – la corruption – les actions contraires au développement (de la part de l’administration mais aussi des citoyens).
La malédiction du pétrole
Pour une fois, la BM, sur la foi de travaux d’experts sans références particulières aux dogmes ultra-libéraux ont ausculté l’Afrique et chaque pays africains. Ils ont indiqué ce que chacun a de moins par rapport aux pays ayant accompli des performances données.
Si on met cette étude côte à côte avec les récentes études des professeurs Penelopi Koujianou Goldberg de l’Université de Yale et Nina Pavcnik de Dartmouth College, on retient trois autres enseignements utiles pour les gouvernements africains : (1) le pétrole en tant que matière première reste plus que jamais suspecté d’être une malédiction (page 34 du rapport Africa Competitiveness Report 2007). En outre les pays exportateurs de pétrole ont une situation monétaire plus instable car les ressources pétrolières apparaissent comme un facteur d’inflation, entre autres ; (2) plus que jamais la richesse d’une nation est produite par l’éducation et non par les matières premières ; (3) dans le monde actuel, plus qu’auparavant, la création de richesse dans un pays aggrave la pauvreté de ceux qui sont insuffisamment instruits. Le problème est que dans un pays comme le Mali, ces personnes en danger constituent actuellement plus de 80 % de la population.
Le rapport 2007 de la BM sur la compétitivité donne des éléments concrets aux gouvernements et partis politiques pour élaborer des projets et programmes de développement. Nos partis politiques en seront-ils capables ? En Afrique beaucoup trop de personnes entrent en politique pour échapper à la précarité économique plutôt que pour servir l’intérêt commun. Au Mali, on verra si les élections de 2007, en particulier les élections législatives auront été une opportunité saisie par les partis politiques pour se renouveler et s’améliorer. A ce sujet, j’ai été très attristé de lire dans la presse une information que rien ne me permet par ailleurs de confirmer. Mme Adame Ba Konaré, femme et intellectuel de premier plan aurait été mise hors de la liste des candidatures à la députation. Ceci est un terrible dommage. Cette dame a prouvé sa capacité à se saisir des problèmes et à les analyser. Il fallait lui donner l’opportunité de contribuer à proposer des solutions. Sa présence à la chambre des députés aurait été indiscutablement un facteur de bonification.
Incompréhension
Concernant les députés et leur rôle, je suis plutôt inquiet. Les députés de notre pays viennent de s’accorder en ce moment où la confiance que le citoyen malien place dans sa classe politique est, selon un classement de la CIA, la plus faible au monde, se sont arrogé une augmentation de salaire de près de 100 % incluant une « prime » d’élection de 10 millions de F CFA. Ceci est un scandale qui pourrait aggraver la crise sociale dans notre pays.
Comment le gouvernement pourra-t-il, il aux enseignants, aux médecins, de rester à leurs postes pour le bien de notre nation tandis qu’une poignée de gens sensés travailler pour tous pensent en premier lieu à leur bien-être matériel. Comment expliquer à nos jeunes dont certains sont dans une colère effroyable et juste, qu’ils doivent se contenter du thé et des t-shirts offerts par les partis politiques lorsque ceux-ci sont en campagne électorale et qu’ils doivent se contenter d’être sans travail.
En plus, la plupart de ces députés se réclament de la « révolution » de 1991. Mais lors de mon dernier passage à Bamako, je me suis permis de visiter le « Carré des Martyrs » au cimetière de Niaréla. Des noms y sont devenus illisibles, le monument non entretenu est couvert de poussière. Le carrefour où est situé ce monument est l’un des points les plus pollués et les plus inhospitaliers de la ville. Certains des jeunes « révolutionnaires » blessés en mars 1991 attendraient toujours des secours de l’Etat, 16 ans après. Et c’est dans cette situation où de nombreux Maliens ne peuvent s’offrir 3 repas par jour, où tant de jeunes, par désespoir, préfèrent aller mourir à Ceuta ou Melilla, que les députés maliens, pour environ 90 jours de travail par an décident des rallonges salariales imméritées.
Le monde est en guerre économique. L’arme de cette guerre est la compétitivité. Le Mali peut-il être vainqueur dans cette guerre si nos députés tout en étant les moins efficaces hommes politiques du monde veulent être les mieux payés de ceux des pays situés dans notre groupe de développement établi par la BM ?
Le Mali est aussi sur autre front de guerre. Je l’ai souvent dit notre Histoire a toujours été déterminée par l’adversité de la nature. Nous voilà dans la perturbation climatique la plus aiguë depuis 100 000 ans. Cela veut dire que les conditions climatiques susceptibles de se développer ou qui sont en train de se développer sont pires que celles qui ont détruit Ouagadou et tué Ouagadou-Bida. Dans cette guerre, le Mali n’a, pour l’instant, ni réponse à la question « comment donner de l’eau aux populations ? », ni réponse à la question « comment donner de l’énergie aux entreprises ? ». Pendant ce temps, les forces vitales de notre pays que sont nos jeunes sont, elles, contraintes d’abandonner le corps de la patrie pour aller reconstituer le lumpenprolétariat disparu depuis la préhistoire du développement industriel.
Je profite de l’occasion pour saluer les candidats de l’époque, Amadou Toumani Touré et Tiébilé Dramé qui durant la campagne présidentielle ont abordé le sujet de l’émigration de nos jeunes. J’ai eu cependant le sentiment que le problème n’est pas compris tel qu’il est. Il me faudra sans doute un article spécifique pour traiter de cette difficile question.
Le PDES créera-t-il la classe moyenne dont le Mali a besoin pour se développer ? Je ne le puis dire mais je le souhaite. Cela aurait été à ma convenance si un effort volontariste avait créé un impôt spécial sur les luxueuses villas afin de supporter la création d’emplois par nos jeunes diplômés. Il eut été à ma convenance qu’un prélèvement de 1 % sur tous les projets de développement pour une durée de 10 ans ait été décidé et affecté à la constitution d’une expertise nationale. Il n’y a pas de développement national crédible sans financement national.
Les défis qui attendent notre pays sont complexes et graves. J’espère que durant les 5 années à venir nous ferons en actes des pas significatifs vers des lendemains meilleurs. Je n’aime pas écrire une telle phrase tant et tant de fois répétées qui dit à notre population d’avancer vers le bonheur qu’il atteindra le lendemain de la saint Ngolo. C’est en commençant dès aujourd’hui la réflexion sur le programme de développement qui succédera au PDES dans 5 ans que les forces de leadership se mettront sur le chemin de la réconciliation avec le peuple de notre pays.
Dialla Konaté
(Blacksburg, 30 juin 2007)
La titraille est de la rédaction
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