Lors des assises du 2è congrès extraordinaire du Parena, tenu les 15, 16 et 17 décembre 2006, le Secrétaire général du parti, Me Amidou Diabaté, a prononcé un important discours bilan sur les quatre années et demi de la gestion du Président ATT.
Après avoir reconnu les mérites du régime dont le Parena ne saurait se dissocier, il revient dans un langage clair, direct et franc sur ce qui aurait pu être fait et qui n’a pas été fait. Morceaux choisis. … “Il reste que sur d’autres chantiers, les attentes n’ont pas été comblées alors qu’elles étaient à portée de main. Il est en premier lieu regrettable que le grand chantier des reformes institutionnelles soit resté quasiment en friche. Et pourtant, toutes les conditions étaient réunies à pour les réussir. En effet, le président ATT a bénéficié d’une chance qu’aucun autre Chef d’Etat du Mali n’a eu : l’accord de toute la classe politique autour de sa personne sans considération de programme !
Après les cinq années du dernier mandat du président Konaré, passées dans l’agitation de rue et la contestation, cette sagesse de la classe politique, cette maturité aurait dû convaincre le président ATT de la nécessité d’une plate-forme commune d’action, d’un programme minimum de gouvernement qui aurait recensé les grandes priorités de la Nation, programme discuté et adopté par l’ensemble des partis pour relever les grands défis. Les partis politiques, alors mis en confiance, auraient mis à la disposition du Président ATT leurs meilleures ressources humaines, intègres et compétentes (et Dieu sait s’il en existe !) pour bâtir un pays réellement apaisé. Cet accord de toute la classe politique étant idéal pour engager les grandes reformes institutionnelles, seules capables d’assurer un ancrage solide de la démocratie. La force d’une démocratie, c’est la capacité de ses institutions à surmonter les épreuves, indépendamment des hommes ou malgré eux. Pour sa part, le Parena, à l’entame du quinquennat du Président ATT, avait défriché le champ avec un certain nombre de propositions qui demeurent toujours valables.
Assemblée Nationale
En premier lieu, il importe de renforcer l’institution parlementaire. Nous saluons au passage l’effort de l’actuel Président de l’Assemblée, l’Honorable Ibrahim Boubacar Kéïta, qui a revalorisé le traitement des députés, ce qui n’est nullement un luxe. – La première mesure proposée en vue du renforcement du pouvoir législatif face à l’exécutif qui règne sans partage, c’est la transformation du Haut Conseil des Collectivités territoriales en Sénat, faisant du coup de notre parlement, un parlement bicaméral.
Aujourd’hui, le Haut Conseil des Collectivités n’a aucune attribution législative. Il n’a qu’un pouvoir consultatif. Il s’en suit que la plus grande reforme de la 3e République qui est la décentralisation, en fin de compte, est vidée de son contenu. La logique même de cette reforme commande qu’au sommet de la pyramide, soit érigé un Sénat qui intervient activement dans l’élaboration des lois y compris avec possibilité d’en proposer. C’est seulement à ce prix que les problèmes vécus en matière de décentralisation par les assemblées régionales, les conseils de cercle et les conseils communaux avec leurs organes exécutifs seront pris en compte.
On peut encore déplorer la non effectivité du transfert de compétences et de ressources des autorités centrales aux autorités décentralisées. Cela entraîne des blocages réels à la base dans la mise en œuvre des politiques de développement local. La mise en place d’un Sénat aurait cet autre avantage qu’il renforcerait l’institution parlementaire par l’accroissement des pouvoirs dont elle jouirait à cause de l’élargissement de sa base sociale et politique, donc du renforcement de sa légitimité. Précisément pour cela, le pouvoir exécutif tiendrait mieux compte du pouvoir législatif. La mise en place d’une véritable administration parlementaire autonome, compétente et en nombre, rehaussera assurément la qualité du contrôle parlementaire sur le travail de l’exécutif.
L’introduction de la suppléance dans la loi organique qui fixe le mode de remplacement des députés en cas de vacance de poste, réalisera une économie substantielle quand on sait le coût élevé des élections partielles. La suppléance aura le grand avantage d’inciter des hommes politiques de premier plan à briguer un mandat parlementaire afin de se donner plus de légitimité politique et de pouvoir concourir à l’action gouvernementale avec l’appui d’une base politique, les suppléant venant alors directement prendre leur place au parlement sans nouvelle élection coûteuse. A l’évidence, cela renforcera l’action gouvernementale, crédibilisera l’action politique et assurera mieux l’interdépendance des deux pouvoirs politiques : l’exécutif et le législatif. Quel confort pour notre démocratie à travers la confiance retrouvée de l’électeur en l’élu !
Cour Constitutionnelle
Le Parena avait aussi proposé une reforme de l’auguste institution qui est la Cour Constitutionnelle, en la dotant de conseillers référendaires pour lui permettre d’assurer correctement le service juridictionnel du contentieux électoral car tout le monde sait que le nombre de juges constitutionnels ne permet pas de répondre efficacement au volume des requêtes introduites compte tenu du temps de traitement qui leur est imparti. C’est pourquoi, il est temps d’évaluer notre Constitution à la lumière de plus d’une décennie de pratique de la Cour.
De même, la procédure applicable devant la Cour en matière de contentieux électoral a besoin d’être améliorée pour que se trouve renforcé le principe de l’égalité des armes entre demandeurs et défendeurs à ces procès particuliers. Enfin, on ne peut continuer d’ignorer les conditions de vie et de travail de cette institution qui contrôle toutes les autres et dont les décisions s’imposent à tous sans possibilité d’autres recours. Il est regrettable que les hauts magistrats soient contraints d’engager un procès contre l’Etat pour se faire octroyer quelques indemnités. C’est pourquoi nous préconisons que leur traitement soit aligné sur celui des députés.
Justice
Le 3e pouvoir, le pouvoir judiciaire, qui a mission d’être le garant des droits et libertés de la personne humaine, qui a mission de départager l’Etat et les citoyens d’une part et les citoyens entre eux d’autre part, a besoin que l’on se penche sur son cas.
Un grand projet dit PRODEJ, à l’instar du PRODEC et du PRODESS, est en chantier depuis 7 ans, sans que les justiciables n’en perçoivent véritablement les résultats dans les villages grâce à l’accessibilité, à la célérité, à la simplicité et à la gratuité devant caractériser le service public de la justice ainsi que l’honnêteté qui doit s’attacher aux décisions des juges. Le vrai critère d’évaluation d’une justice, c’est la confiance des citoyens en la justice. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que cette confiance est acquise. C’est pourquoi, tout en saluant l’effort de l’Etat, en matière de recrutement de personnel, de construction d’infrastructures (bâtiments et informatisation en cours), le PRODEJ doit faire l’effort d’irriguer tous les segments de la justice de sa sève vivifiante pour que la justice de proximité et la justice de protection des droits de l’homme qui en étaient attendues, soient enfin perceptibles aux yeux des Maliennes et Maliens (opérateurs économiques, ouvriers, paysans, fonctionnaires, élèves et étudiants etc.). (…)
De même, le renforcement de la justice administrative passe par la création d’un Conseil d’Etat à côté d’une Cour de Cassation. Les magistrats qui animent aujourd’hui la Cour Suprême et qui demain animeront ces nouvelles institutions, ont besoin de voir leur statut valorisé. C’est pourquoi, s’agissant de la plus haute institution judiciaire du pays, leur statut doit être aligné sur celui des députés en terme de rémunération. Il est bon de préciser au passage que cela ne peut grever le budget de façon exagérée car les magistrats et les greffiers aussi bien à la Cour Constitutionnelle qu’à la Cour suprême représentent une poignée d’agents.
Lutte contre la corruption
Dans le cadre de la lutte contre la corruption, si on dit que la femme de César ne doit pas être soupçonnée, faut-il encore que la première Dame de Rome ait de quoi tenir son rang ! Bien évidemment, toutes ces reformes comme celle de l’administration ne produiront effet véritablement que lorsque le mérite sera récompensé et la faute sanctionnée.
En effet, l’impunité a fortement prospéré et la lutte contre la corruption n’a pas marqué de progrès visibles. La politique des ressources humaines telle que pratiquée par les autorités étatiques ne permet point la promotion des cadres compétents et intègres pour le service de l’Etat. Il est grand temps que les cadres soient nommés pour leur compétence et non parce qu’ils font allégeance au pouvoir et celui-ci doit avoir en conséquence le courage de dégager les incompétents qui renforcent le fossé entre le citoyen et l’Etat. L’Etat a besoin aujourd’hui de mettre la vertu au commandement. Ces mesures devront être accompagnées d’un véritable plan de lutte contre la corruption inscrit dans un programme et prenant des dimensions législatives et réglementaires ainsi que la mise en place d’un dispositif de prévention de la corruption par l’éducation et la formation. Ce volet doit accompagner la lutte contre l’impunité avec mesures administratives et judiciaires.
Partis politiques
Toujours dans le domaine des reformes institutionnelles, certes une nouvelle loi électorale et une nouvelle charte des partis sont disponibles, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ce dont il s’agit, c’est renforcer les partis et crédibiliser l’action politique, c’est introduire dans la constitution l’interdiction de la transhumance politique. Ainsi, un député qui voudrait quitter la formation sous les couleurs de laquelle il a été élu, pourrait le faire librement mais perdrait automatiquement son mandat parlementaire. Ceci va contribuer à soustraire les hommes politiques de plusieurs formes de chantage et à leur donner une nouvelle image, une image de respectabilité. Par ailleurs, les scissions seraient moins fréquentes.
Le renforcement des partis doit aller de pair avec une plus grande participation des citoyens à l’action politique, ce qui réduirait le sentiment d’exclusion qui a un effet induit sur la désaffection des urnes par les citoyens. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est d’introduire une dose de proportionnelles aux élections législatives. Toute la classe politique était d’accord pour qu’un scrutin mixte soit adopté. Fort malheureusement, la révision de la Constitution nécessaire à cet effet n’est pas intervenue. Plus que jamais, notre démocratie a besoin de cette réforme. Le renforcement des partis va s’accompagner d’une clarification de leur rôle aux yeux de l’opinion et du coup prévenir de vains conflits entre classe politique et société civile. Si les partis avaient bénéficié d’une telle attention, ils auraient cohabité avec moins de heurts avec le Mouvement citoyen. En vérité, le Président ATT a encore raté un tournant à cet égard. Comme disent les chinois, il faut savoir marcher sur ses deux jambes.
Le président
ATT aurait dû ménager ses deux jambes et de façon équitable : d’une part les partis politiques et d’autre part le Mouvement Citoyen. Ces deux entités, au lieu de se gêner, se seraient complétées admirablement dans la mise en œuvre du programme minimum de développement et de paix.
Nord
On ne peut parler aujourd’hui de la situation nationale sans avoir un regard sur le traitement de la question du Nord. Le Parena a soutenu la solution de la paix de façon sincère et honnête parce que nous croyons que la guerre ne peut résoudre des problèmes de développement, parce que nous croyons que la guerre ne peut jamais être la solution à un problème entre des frères et sœurs.
Mieux, la paix étant déjà acquise grâce à un processus participatif et de partage validé par le Pacte national dans lequel se trouvent les amorces de réponse à toutes les questions et où il ne saurait y avoir place pour une quelconque guerre. Le mémorandum élaboré par notre parti avec à la clé des recommandations justes et équitables, est toujours valable. Nous regrettons toutefois les insuffisances qui ont marqué récemment le processus ayant conduit à l’Accord d’Alger et le suivi de cet Accord. De façon générale, nous relevons que le Pacte national a souffert d’un manque de suivi qui a favorisé l’émergence de la deuxième rébellion du 23 mai. Il est impératif de veiller à l’application rigoureuse de l’Accord d’Alger dès lors que l’Etat s’est engagé. Il est impératif pour le suivi du Pacte national de faire la route Gao-Kidal et de créer un grand Ministère chargé du développement des régions sahéliennes et sahariennes.
Ecole
Enfin, deux secteurs demeurent véritablement préoccupants : l’école et l’emploi, qui sont des secteurs qui ont toujours été au centre des préoccupations de notre parti. Malgré l’apaisement, la crise de l’école s’aggrave chaque jour. Pour en avoir une petite idée, il suffit de rappeler quelques chiffres. Dans l’enseignement fondamental, le premier cycle est passé de 1 396 791 élèves en 2004, à 1 624 251 élèves en 2005 alors que l’effectif du personnel enseignant est passé de 32 487 en 2004 à seulement 38 109 maîtres en 2005 dont 2081 pour le second cycle. L’enseignement normal compte en tout et pour tout 12 Instituts de Formation des Maîtres (IFM) avec 10 467 élèves maîtres en 2005. L’enseignement secondaire général compte en 2005, 121 établissements dont 39 lycées publics.
La même année, il y a 68 504 élèves dans les lycées dont 44 213 au public et 24 291 au privé. L’effectif des enseignants pour ce cycle est estimé à 1904 dont 939 contractuels (près de la moitié de l’effectif). L’enseignement secondaire technique et professionnel en 2005 compte 119 établissements dont 13 publics et 106 privés et dont 67 % se situent à Bamako. Pour 47 137 élèves : en 2005, on compte 710 enseignants (en baisse par rapport à 2004 où il y avait 764). Les établissements publics accueillent seulement 28 % de l’effectif des élèves. Dans l’enseignement supérieur, les 3 grandes écoles supérieures comptaient 1327 étudiants en 2005 et l’université 32 582 étudiants.
Emploi
Ces chiffres permettent de comprendre l’insuffisance grave d’enseignements, la faiblesse de la part du public dans certains ordres d’enseignements. Tout le monde s’accorde à déplorer la qualité médiocre de l’enseignement de ces dernières années. Si le PRODEC est porteur d’une vision positive, il demeure que la mise en œuvre (nous sommes au PISE II) n’a pas résolu bon nombre de problèmes. Il faut enfin regretter un certain désintérêt de l’Etat face au problème de transfert de compétences et de ressources aux collectivités locales pour la gestion de l’école, face à la déperdition scolaire, notamment la non orientation d’un nombre de plus en plus grand d’admis au DEF et enfin face à la pénurie d’enseignants. Il faut ajouter à ce tableau, le manque d’autorité de l’administration scolaire. Il est enfin regrettable qu’un programme aussi ambitieux que le PRODEC soit fondé essentiellement sur le financement extérieur pour sa mise en œuvre.
Ces facteurs concourent inévitablement à accroître les contre performances du système éducatif. Plus que tous les secteurs, la crise qui sévit au sein de l’Education, est la plus grave parce que compromettant la qualité et la compétitivité de nos futures ressources humaines, ce qui hypothèque l’indépendance du pays. L’emploi est l’autre secteur qui nourrit le plus l’inquiétude des jeunes et de leurs familles. La répartition des emplois par secteur donne les chiffres de 83,4 % pour le primaire, 4,1 % pour le secondaire et 12,5 % pour le tertiaire ; ce qui traduit la grande faiblesse du secteur industriel. Ces chiffres traduisent véritablement le retard économique du pays car l’agriculture ne peut occuper 80 % de la population, que si c’est une agriculture non mécanisée, donc archaïque.
En examinant les chiffres issus de l’Enquête Permanente auprès des Ménages menée en 2004 par l’Observatoire de l’Emploi et de la Formation (OEF) en collaboration avec la DNSI, le taux de chômage de la population active est de 9 %. Ce taux atteint 18 % pour les personnes qui ont le niveau d’instruction secondaire, technique et professionnel et 19,4 % pour les diplômés du supérieur.
En termes réels, ce sont des dizaines de milliers de jeunes gens qui occupent le marché du travail sans autres perspectives pour l’instant que le programme de volontariat et le Programme APEJ avec les contrats de qualification. II s’agit là d’emplois précaires qui, malgré les efforts de l’Etat, ne peuvent s’analyser en réponse durable au chômage en général et à celui des jeunes en particulier. II faut ajouter que la faiblesse du secteur industriel n’augure pas des lendemains meilleurs. La baisse de qualité générale du système éducatif n’aide pas non plus à trouver les solutions convenables.
Au total, on peut conclure que les solutions en cours aujourd’hui sont celles du seul marché néo-libéral. Elles sont peu efficaces précisément du fait de l’inconfortable position du Mali sur le marché néo-libéral. II faut faire appel à notre génie créateur pour sortir de cette incurie.
Maliens de l’Extérieur
Je m’en voudrais de terminer cette revue de la situation nationale sans un mot en direction de nos frères et sœurs de la diaspora. Je les salue au passage. Le président du Parena aime à dire que le Mali a deux mamelles nourricières : l’agriculture et les Maliens de l’extérieur.
Les Maliens de l’extérieur méritent toute notre attention, surtout en ces temps où les forces néolibérales du marché les rendent responsables de la crise qui frappe leur économie. Face aux lois Sarkozy, le Gouvernement du Mali doit clairement dire sa désapprobation et demander que ses ressortissants soient traités avec dignité. Pour sa part, le Parena dit non aux lois Sarkozy de France et d’ailleurs et demande la régularisation de tous les immigrés à l’instar de l’exemple donné récemment par Romano Prodi en Italie.
Le Parena demande aussi que des visas à entrée multiple soient accordés à nos compatriotes pour les besoins de leurs activités. A ce prix seulement, les Maliens de l’extérieur continueront d’être la deuxième mamelle nourricière du Mali”.
*Le titre et les intertitres sont de la rédaction “