C’est, à n’en pas douter, le premier élément, au plan international, contre Amadou Toumani TOURE et son style de gouvernement, littéralement débordé par la mise à jour de leurs turpitudes. A prime à bord, c’est un livre qui n’a pas une grande valeur artistique, littéraire, ni dans la stylistique, ni dans l’illustration. Il est même très frustre. Il traduit quand même un élément de base de la pensée de notre peuple qui veut que le sens de la musique doive l’emporter sur la mélodie. Assurément.
ll n’ y a pas de doute, le livre est bien paru chez l’Harmattan. Il ne s’agit pas donc d’une publication apocryphe, même si elle est courageusement endossée par Le Sphinx, ce corbeau, qui du reste, se dévoile depuis quelques jours (d’après l’éditeur) comme un ancien ministre d’ATT, coupant du coup court à plusieurs supputations.
ATT est-il devenu si intouchable qu’il faut se cacher pour l’atteindre à l’arbalète?
En tous les cas, pour qu’une maison comme l’Harmattan engage son "secret éditorial" sur un document de cette dimension, il faut qu’il ait de bonnes raisons dont la principale est que l’auteur doit être connu de lui et offre de sérieuses garanties de représentation et de commerce. Il reste que la manière est inédite au Mali, d’où tout l’intérêt suscité.
En format de poche, les 150 pages peuvent être avalées en moins de deux heures, la trame étant d’une brûlante actualité: les dates, les acteurs et les faits sont connus et prennent leur signification véritable. Leur compréhension s’en trouve du coup facilitée et laisse peu de place à la polémique.
En cela, le style policier inspiré de San Antonio (des verbes d’action, une floraison de virgules) est alerte et maintient l’haleine. Ecrit à la première personne du pluriel, le livre a été apparemment publié à la hâte, comme en témoignent plusieurs constructions de phrases douteuses.
Si le livre donne l’impression d’être parfois une compilation de presse (de 2005 à 2006), il reste que l’information – au sens journalistique- y est présente à profusion. C’est même une mine.
Pourquoi, donc ce livre maintenant? La réponse est claire : il le faut maintenant pour mettre un frein à la dérive actuelle et surtout éviter que la rupture ne soit pas brutale.
La préface est édifiante: il ne s’agit pas d’un bilan du régime actuel mais d’une pièce pour faire triompher la vérité et donner raison à tous ceux qui réfutent l’injustice, la fatalité comme mode de gouvernance, car "le Mali ne peut plus attendre".
Le titre du livre en lui-même est une enseigne lumineuse qui ne laisse aucune place à l’approximation : le point de mire est bien ATT et son entourage : "la confiscation du pouvoir, l’irrespect des règles démocratiques, le culte de la personnalité, la valorisation du mensonge et de la rumeur, l’irresponsabilité et l’impunité comme mode de gestion du pouvoir, l’affaiblissement de l’Etat au profit des individus, l’affairisme, la corruption et la compromission, le régionalisme et la culture de l’informel dans la conduite des affaires publiques, la menace, l’intimidation, la violence, la culture de la médiocrité et l’ascension des moins méritants".
ATT-cratie est un substantif, qui se comprend sans détours: ATT- Fanga, le pouvoir de ATT, comme on en dirait du pouvoir de Moussa ou de Ségou.
ATT n’a pas été particulièrement brillant
Si le Sphinx a un mérite, c’est celui d’avoir osé s’attaquer à une citadelle (apparemment imprenable de l’intérieur) et qui ne brille que pour certains seulement, et des plus médiocres dans un environnement tout autant médiocre.
Que faut-il y retenir quant au fond?
D’abord, que de l’indépendance à 2002, le Mali n’a jamais autant été mal gouverné que sous ATT.
Ensuite, que tous les patriotes doivent se retrouver pour que le pays sorte de ce gouffre.
Enfin, que le Président ATT, au nom des intérêts supérieurs du pays, renonce à briguer un second mandat et sortir par la grande porte afin d’éviter au pays une révolution sanglante.
Le Sphinx s’appuie sur des ressorts culturels qui restent déterminants, en tout état de cause, dans notre pays, où la substantifique notion dit que "nous nous connaissons tous dans ce pays".
Les bambaras, les peuls, les sonraï ne disent-t-ils pas dans une substantifique pensée que "neuf ne deviendra jamais dix"? Seule notre culture permet, au Sphinx de transcender l’aporie. En effet, pris sous ce référentiel, on peut donc comprendre qu’un esclave, un homme de caste garderait, malgré lui, les germes des actes inachevés qui peuvent se traduire soit par la bouffonnerie, la tricherie, l’inélégance.
Le livre ne porte pas de gants et pose l’équation dans sa forme brutale: Amadou Toumani TOURE qui a eu une enfance difficile est "issu d’une famille de caste". Comme tel, "quelle que soit (sa) volonté, il ne pourra jamais faire avancer ce pays", car "les actes posés par un homme de caste sont toujours voués à l’échec : façonné par cette origine sociale qui crée chez lui un complexe d’infériorité qui explique son parcours et l’échec de sa gestion du pouvoir". Qui est donc Amadou Toumani TOURE? On constatera que l’auteur n’a certainement pas la même plume romancée de Amadou Hampâté BA dans "L’Etrange destin de Wangrin", ni de Bernard DOZA dans "Liberté Confisquée : le complot franco-africain".
ATT n’a pas été particulièrement brillant, ni intellectuellement, ni physiquement. Il abandonne ses camarades à l’Ecole Normale de Badalabougou (sans qu’on ne sache pourquoi) pour l’armée, dont il a l’amour. Il y sera déclaré inapte à l’issue de la visite médicale circonstanciée. Mais c’est peu pour retenir ce Vautrin balzacien qui va être repêché par l’action de mentors fort bien connus localement: le Lieutenant-Colonel Kissima DOUKARA du Comité Militaire de Libération Nationale dont la femme lui est proche et le Dr MACALOU.
La courtisanerie est aussi un élément du pouvoir dans notre société et ATT en use. Il accède à Kissima par sa femme, intègre le premier cercle de Moussa TRAORE, par le canal de son fils Idi, fait intervenir NOUMANZANA, un homme d’affaires de Mopti, pour qu’il soit nommé à la tête de la garde présidentielle, complote de tout temps avec les démocrates en clandestinité, alors qu’il est officier d’armée.
«Seul un fou désire être président du Mali»
Si le livre ne donne pas les détails, il affirme que n’eût été la persévérance du Mouvement démocratique, ATT se serait maintenu au pouvoir pendant la Transition. Et dans l’impossibilité d’avoir pu se maintenir, il a trouvé une boutade toute faite à sa dimension : "seul un fou désire être le président du Mali". Ce qui ne l’empêchera pas de revenir solliciter ce même pouvoir, dix ans après, avec la bonne grâce de Alpha Oumar KONARE.
Voilà le portrait de l’homme : "personnalité indécise, furtive, irresponsable, complexée, sans parole d’honneur, et aimant le double jeu", autrement dit le type même que la France peut manipuler à sa guise; une marionnette.
Le livre dresse le portrait d’un homme viscéralement irresponsable, englué dans des relations douteuses. Les Ministres? Pour beaucoup des hommes d’affaires avides de se faire les poches, comme si c’était demain la fin des haricots. En bonne place de ces ministres affairistes, le Ministre de l’Education Nationale, le Professeur Mamadou Lamine TRAORE dans ses relations interlopes avec le graphiste TOMOTA.
Sa famille? Une crèche d’affairistes symbolisée par une femme et des filles cupides qui sont douées toutes pour le trafic d’influence qui fait des fortunes à travers deux officines: la Fondation pour l’Enfance et Océan Communication!
La liberté de la presse? Ecrivez, parlez, mais n’écorchez pas sans aménité le Prince, sinon la Sécurité d’Etat est là pour vous "Casser la gueule". C’est ce qui est arrivé à l’animateur de Radio Klédu, DRAGON, qui a été enlevé en plein jour par des hommes dont le livre donne clairement l’identité, des barbouzes tous connus au bataillon. DRAGON peut donc porter plainte, tout comme les associations de presse qui ont fait de la clarification de cette question un point d’orgue.
Et que dire de cette histoire de prostituées de services pour la Libye?
L’on se souvient que cette affaire a fait des vagues au Sénégal où des filles avaient été triées sur le volet, non pas, pour officiellement, présenter un défilé de mode à Tripoli, mais en réalité pour agrémenter les moments de nababs libyens.
Dans le pays de Abdoulaye WADE, l’affaire a été un scandale. Au Mali, l’information est une exclusivité et constitue un motif d’interpellation sérieux, un précédent jamais pensé. Comment l’Etat malien tombe-t-il dans le proxénétisme ?
Que dire aussi du rôle qu’a joué ATT dans la "mort" du président Modibo KEITA? Que dire de la mort de Alkaly KEITA, ce cadre d’EDM, mort subitement après avoir démontré qu’une autre structure de prix est possible?
Que dire de ce fameux consulat libyen à Kidal, où Kadhafi n’a pas le moindre citoyen?
Que dire de cette promenade de ce même Kadhafi dans le nord du Mali, dans le mépris le plus total pour ATT et le Mali?
Ce livre-là fera parler de lui encore pendant longtemps. Il constitue, à coup sûr, la pierre d’angle d’une "césure épistémologique" dans le champ d’action du Général ATT, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. A lire, donc. Et vivement.
Ambodedio BARRY
*ATT-cratie : la promotion d’un homme et de son clanLe Sphinx/ L’Harmattan, 13,50 Euros
“