Marché du matériel électoral Le CNPM saisit l’ARMP et l’Assemblée nationale

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Entre le secteur privé et le gouvernement, ce n’est plus le parfait amour. Pour cause : le marché juteux de près de six milliards de nos francs attribué par l’Etat à une société libanaise par entente directe. Après plusieurs correspondances adressées aux autorités publiques et demeurées sans suite, le Conseil National du Patronat du Mali, dans son rôle de défense des intérêts des groupements professionnels d’entrepreneurs du pays, a constitué un pool d’avocats chargé de porter l’affaire devant les juridictions compétentes en la matière. Pour le moment, plainte a été déposée devant l’Autorité de régulation des Marchés Publics (ARMP), et l’Assemblée nationale a été aussi saisie de la question.

Ceux qui soutiennent que l’Etat est en train de prendre eau de toutes parts, en cette fin d’ultime mandat du président ATT, auront un argument de plus avec la grogne du secteur privé national, suite à l’attribution du marché de matériels électoraux à hauteur de près de 6 milliards de nos francs à une entreprise libanaise par entente directe. Une violation des règles en matière de marchés publics, crient les milieux d’affaires du pays et naturellement cela provoque une colère justifiée des opérateurs économiques.

En effet, le Conseil des ministres du mercredi 14 décembre a rendu public l’adjudication du marché des matériels électoraux, au moment où de grands opérateurs économiques de la place, équipés et préparés à cet effet, scrutaient un appel d’offres ou à défaut une consultation, même restreinte. Il n’ya rien eu de tout cela, l’Etat préférant faire envoler leurs espoirs, pour choisir une société libanaise appelée Inkript pour lui faire empocher près de 6 milliards de FCFA pour la fourniture d’isoloirs, d’urnes, de scellés, de bulletins de vote, de spécimens de bulletins de vote sécurisés.  

Lettre du général Kafougouna au ministre Lassine Bouaré

L’initiative est venue de la lettre du ministère du général Kafougouna Koné, n°0404/MATCL-SG du 24 octobre 2011 demandant au ministre de l’Economie et des finances, Lassine Bouaré, de passer ledit marché par entente directe avec la société libanaise Inkript technologie. La solidarité gouvernementale n’en a pas souffert puisque le ministre Bouaré donnera son avis, sous forme de suite favorable, par lettre n° 0867/MEF-SG du 4 novembre 2011.

Pour les opérateurs économiques du pays, il n’y a aucune raison valable qui devrait pousser le gouvernement à sevrer les milieux d’affaires du pays de cette manne financière, si l’on sait que le secteur privé local se prévaut aujourd’hui de suffisamment d’expertise et de moyens techniques et financiers pour répondre aux exigences de telles prestations. C’est pourquoi, le Conseil National du Patronat du Mali (CNPM), en tant que syndicat professionnel chargé de représenter les entrepreneurs et aussi de défendre leurs intérêts, conformément à ses statuts, n’a pas perdu du temps pour user de tous les moyens légaux en sa possession pour dénoncer cette violation flagrante des règles de la transparence en matière de marché public avant de poser des actes allant dans le sens du rétablissement des milieux d’affaires du pays dans leur droit.

Les autorités snobent le secteur privé national

Après avoir écrit plusieurs correspondances aux autorités qui ont choisi de la snober par un silence de cimetière, l’organisation patronale se voit obligée de constituer un pool d’avocats chargé de porter l’offensive judiciaire pour obtenir la cassation dudit marché et le lancement d’un appel d’offres régulier.

Pourtant, on pouvait ne pas en arriver à ce stade, si l’Etat avait pris au sérieux les mises en garde du secteur privé, notamment la correspondance adressée bien avant le Conseil des ministres par le président du CNPM, Mamadou Sidibé, au ministre de l’Administration territoriale et des collectivités locales, Kafougouna Koné, avec ampliation au Premier ministre. Si par courtoisie toute correspondance doit faire l’objet d’une réponse, surtout celle relative à un problème aussi sérieux, l’Administration malienne a préféré ne pas donner suite à la lettre du président du syndicat patronal, tout en déroulant sa logique d’exclusion des opérateurs économiques nationaux. Une position qui appelle une réaction vive des entrepreneurs qui n’entendent pas se laisser faire par un Etat qui n’a de cesse de leur rappeler que la construction d’une économie malienne performante et prospère passe par une collaboration franche entre les secteurs public et privé.

Que peuvent donc bien valoir les propos du Premier ministre lors de sa visite au Conseil National du Patronat, à la CCIM et dans d’autres structures du secteur privé ? Que peuvent aussi représenter les promesses de la facilitation de l’activité formulées par le ministre de l’Industrie des Investissements et du Commerce face aux opérateurs économiques ? A n’en pas douter, le gouvernement de Mariam Kaïdama Sidibé a choisi de détruire le secteur privé national car l’argument du délai ne saurait être évoqué pour disqualifier nos entreprises encore moins le prétexte de la technicité.

L’expertise de nos entreprises est avérée

En effet, en ce qui concerne les imprimés électoraux, nul ne peut nier l’expertise de nos unités industrielles d’impression et d’arts graphiques. A la pointe desquelles on retrouve Graphic Industries, qui vient de renforcer sa capacité technologique avec des équipements de dernière génération, acquis  à plusieurs dizaines de milliards de nos francs. A l’heure actuelle, Graphic Industries est l’une des premières imprimeries – sinon la première – en termes d’équipements et de savoir-faire dans son domaine.  Pourquoi alors aller chercher ailleurs ce que l’on a tout juste à côté ? Apparemment, les pouvoirs publics n’en ont cure…

Par ailleurs, les isoloirs, les scellés  et les urnes ne nécessitent aucune technicité particulière qui puisse justifier cette prise de position. Nous avons toujours utilisé des matériels fournis par des entreprises locales lors des scrutins électoraux passés. Ce qui permettait de faire travailler nos artisans car ce type de matériel ne demande pas une technologie particulière, au point de devoir enrichir une entreprise étrangère au détriment des acteurs de l’économie nationale. La raison de l’octroi de ce marché à l’entreprise libanaise ne peut obéir qu’à des considérations autres que celles techniques.

Qu’on ne parle aussi pas de délai car le gouvernement qui gère le calendrier électoral et avait déjà budgétisé les dépenses afférentes à la fourniture des matériels électoraux ne devrait pas, en principe, se trouver dans une situation où il est obligé de mettre en branle une procédure d’urgence. Cela ne relève ni de la bonne gouvernance ni d’un bon esprit républicain. En réalité, c’est comme si tout est fait à dessein pour créer les conditions de recours à cette entreprise bien ciblée.

Des missions menées au Liban par des fonctionnaires

On apprend que des missions ont eu lieu pour se convaincre de la capacité technique et de l’expertise de la société libanaise, pourquoi avoir perdu tout ce temps pour traiter avec elle sans s’intéresser aux entreprises maliennes ? En reconnaissant que la société Inkript, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a décidé de faire don au Mali de matériels électoraux d’un montant de plus de 1 milliard 255 millions FCFA, le gouvernement dévoile que des tractations et discussions ont bien eu lieu, pendant plusieurs mois, à l’insu du secteur privé local.

Face à cette attitude du gouvernement qui divorce d’avec le plaidoyer en faveur du soutien au secteur privé, les représentants des organisations professionnelles affiliées au Conseil National du Patronat ont tenu deux réunions pour manifester leur désaccord par rapport à cette pratique de l’équipe de Mariam Kaïdama Sidibé, avant d’engager la direction de leur organisation syndicale, le CNPM, à mener toute action nécessaire pour défendre leurs intérêts. La première réunion s’est tenue le lundi 12 décembre, soit deux jours avant l’adjudication du marché par le Conseil des ministres. Une autre assemblée générale s’est tenue vendredi dernier au CNPM, à la suite de laquelle il a été décidé d’user de toutes les voies de recours et de saisir l’Assemblée nationale sur la question.

Saisine de l’ARMP et de l’Assemblée Nationale

Actuellement, tous les espoirs sont placés sur l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP) qui a été saisie par le pool d’avocats du CNPM composé de Me Lamissa Coulibaly et Me Moussa Goïta. Ils ont déjà attaqué l’acte administratif en recours gracieux. Mais la Primature est restée silencieuse. Raison suffisante pour que, mardi dernier, 27 décembre, les avocats de l’organisation patronale ont saisi l’ARMP, pour ne pas tomber dans le piège d’une forclusion vers lequel on semble les attirer. Aussi, les députés de l’Assemblée nationale, ont été saisis de cette affaire, pour laquelle le CNPM décide d’épuiser au besoin toutes les voies de recours, y compris la saisine des tribunaux.

Birama Fall

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