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Le régime d”ATT apparaît, pour peu que nous cessions de nous mentir à nous-mêmes ou de fuir l”évidence, comme une sorte de malédiction céleste qui s”est abattue sur notre avenir au moment même où, aussi paradoxal que cela est, la générosité divine se manifeste grandement à travers tout notre sous-sol, de Kayes à Taghargharet. C”est la grande révélation du rapport 2005-2006 de la CASCA
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’histoire, qui a le don de se répéter, ne choisit pas toujours de se manifester en un même point géographique. Ainsi, la France du 18e siècle pourrait bien être, de ce point de vue, le Mali d’aujourd’hui. Le roi Louis XV (Versailles 1710-1774) s’incarnerait en Amadou Toumani Touré, et l’on trouverait des similitudes évidentes.
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Louis XV a eu le surnom flatteur de «Bien-Aimé » qui correspond, à bien des égards, à notre pittoresque « ATT, an bè sa i nofè» (ATT, nous mourrons avec toi ou pour toi). Le souverain français du siècle des Lumières a tôt fait de manifester une incapacité notoire de gouverner, qu’il a cherché à masquer non seulement en laissant agir ses ministres et affidés multiples, mais aussi en poussant la prodigalité par des dépenses excessives. Ce qui, naturellement, lui aliéna le parlement de Paris, bondé d’hommes peu scrupuleux. Louis XV finit par reconnaître, et déclarer publiquement, que « La pauvreté générale et la corruption sociale ont compromis les fondements mêmes de la monarchie ».
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ATT, en seulement cinq ans de pouvoir, a fait pire que Louis XV en soixante ans de règne. La corruption, en effet, est en passe d’être élevée à la hauteur d’une institution au Mali. Les dépenses somptuaires, l’enrichissement illicite des civils comme des militaires, tout en lui aliénant une grande partie de la classe politique et de l’intelligentsia nationale ne faisant pas grand cas de la morale, sont en train d’obérer l’avenir même de la démocratie et de la République.
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Qu’est-ce que la démocratie a apporté au peuple malien ? Hormis la liberté de parler et d’écrire – et même là !-, peu de choses. Les services que l’Etat doit aux contribuables régressent au lieu de s’améliorer. Pour ne prendre que deux exemples, le kilo de riz est à 300 F CFA., un luxe pour la majorité de nos concitoyens. Les frais de santé, exorbitants, découragent les pauvres à fréquenter les structures sanitaires. Le déficit d’espérance est aujourd’hui tel que l’exaspération sociale est le lot commun du plus grand nombre.
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La faillite sociale, économique et morale est partout perceptible, mais elle ne semble nullement troubler la digestion et la conscience d’ATT. Il y a même comme de l’insouciance cynique à ne voir ni admettre la misère sociale ambiante, comme si l’on formulait à l’attention de ceux qui ne sont pas contents une réponse par le dédain et le mépris logée dans le silence. Le niveau atteint de prospérité nationale dont on parle tant, qu’on voit même magnifié, écrit à l’eau de rose çà et là, n’est jamais rien qu’un leurre.
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Mesurer le bonheur national à l’aune des dividendes que se procurent quelques privilégiés et par les signes extérieurs de leur embourgeoisement est une tromperie. Le bon sens indique tout simplement que la corruption est le tombeau de la prospérité et du bien-être. Nous savons avec Voltaire, depuis le siècle de Louis XV, que « Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité et sentir qu’il est horrible que le grand nombre semât et que le petit nombre recueillît ». C’est le cas des Maliens aujourd’hui. La misère du plus grand nombre de Maliens n’est aujourd’hui supportable que parce qu’au pays de Soundiata, on a des scrupules à parler des souffrances du ventre.
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Si la démocratie n’a pas apporté grande chose au peuple, parce qu’elle n’est pas allée avec l’élévation du niveau de vie moral et du progrès des mœurs, elle a par contre, à titre personnel, permis à ATT et à son clan (parents, amis, flatteurs et profiteurs) d’en tirer de grands bénéfices. Régie par l’argent, la démocratie gloutonne les a favorisés à asseoir plus sûrement leurs positions, leurs assises. Tous occupés de fastes, de folies ostentatoires, de bringues et de ribotes, habiles à tricher, parfois avec une démoniaque dextérité, ils dérobent en rond tout ce qu’ils peuvent de l’argent de la République.
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Comme l’argent appelle l’argent, la corruption fait la promotion de la corruption, de manière subtile ou excessive. Tous les hommes, dans l’optique d’ATT, sont à vendre, et il a peut-être raison ; de fait, il en acheta beaucoup. Tous les hommes, intellectuels et politiques, opérateurs économiques et artistes, happés par le système, à quelque échelle sociale qu’ils soient, sont tous préoccupés à amasser de l’argent, à le thésauriser, au détriment, bien entendu, des Maliens. C’est tout comme s’ils ont subitement eu besoin de se bâtir de nouveaux lignages, de nouvelles noblesses. C’est peut-être là une mauvaise impression mais une impression quand même.
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Le rouleau compresseur de la corruption, déroulé sans garde-fou, ne laisse personne échapper. Des officiers, eux aussi, subalternes et supérieurs, puisent franchement dans les caisses et falsifient les papiers. On comprend que le pays se porte mal, lourdement blessé, entraînant dans sa douleur la démocratie, de plus en plus engluée. Car le pillage et le luxe de vivre impunément du vol et du larcin ne sont pas toujours ignorés du public. Montent partout des protestations pour l’heure inaudibles qui, si elles ne sont pas guéries, risquent bientôt, si ce n’est déjà pas le cas, de constituer des nœuds de rancunes, voire de rancoeurs irréductibles, et conduire à des révoltes. Mais Amadou Toumani Touré et ses hommes, en chefs sûrs d’eux-mêmes et dominateurs, s’en foutent et s’en contrefoutent apparemment.
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ATT est loin de s’en rendre compte, encore moins de comprendre, que la corruption généralisée dans le Mali d’aujourd’hui est d’abord sa propre tragédie, personnelle, qui se muera certainement en tragédie collective et nationale, tragédie nationale qui ne sera jamais autre chose, in fine, que la preuve de son inaptitude à gouverner. Ce qui, tôt ou tard, si ce n’est déjà pas à présent, dressera le pays contre lui. Veut-il, un instant, réfléchir à l’avenir qu’appellent sur nous ce développement de la corruption et cette délinquance financière relancée depuis cinq ans qu’il est à nouveau au pouvoir ? Point n’est besoin de consulter un mage pour savoir que, jamais en 47 ans d’indépendance, le Mali n’a été autant un pays de corruption. Jamais un Président du Mali n’a été autant sur la sellette pour des délits de détournements de deniers publics, de vols, de concussion et de trafics d’influence avérés sous son règne.
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Tout le monde, individus et institutions indépendantes, le sait : le Mali est un pays immensément riche mais un pays volé, pillé, violé et violenté dans sa marche vers le progrès.
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Pays volé et pillé
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Dialla Konaté, émérite professeur et chercheur aux USA, l’a constaté : « Dans notre pays où le sens de l’honneur et de la dignité étaient très forts, il est arrivé que des hommes et des femmes n’hésitent plus à se vanter de posséder des biens soustraits à autrui. Ceci est une tragédie morale nationale et historique. Pour la première fois dans notre histoire, nous avons vu, depuis 1991, l’apparition de véritables ingénieurs de la malversation, du détournement de fonds publics à des fins personnelles… » (Les Echos n°2815 du lundi 18 Décembre2006).
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Mais c’est surtout les institutions indépendantes internationales d’évaluation qui nous interpellent sur le niveau anormalement élevé de la corruption chez nous et nous invitent à plus de transparence et d’efficience dans la gestion de nos richesses. Transparency International nous classera au 99e rang des pays les plus corrompus sur 163 Etats notés alors que nous fûmes 77e en 2004 et 88e en 2005. Soit une dégringolade constante de onze points chaque année.
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L’ONG OXFAM AMERICA, quant à elle, dénonce, dans son rapport 2006 intitulé : « Trésor caché ? A la recherche des revenus de l’exploitation aurifère au Mali », le manque de transparence du gouvernement malien dans la gestion des revenus tirés de notre or, non sans l’appeler ainsi que les compagnies d’exploitation aurifère opérant sur notre sol à « publier leurs comptes ». Autant dire qu’au royaume de Danemark, il y a bien quelque chose de pourri. Mais l’or n’est pas l’unique richesse abondante de notre pays, Dieu merci. La bauxite, le cuivre, le diamant, l’uranium, le platine, l’eau, le gaz, les terres fertiles, et sans doute le pétrole et que sais-je encore, meublent le sous-sol malien.
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Le régime d’ATT apparaît-il ainsi, pour peu que nous cessions de nous mentir à nous-mêmes ou de fuir l’évidence, comme une sorte de malédiction céleste qui s’est abattue sur notre avenir au moment même où, aussi paradoxal que cela est, la générosité divine se manifeste grandement à travers tout notre sous-sol, de Kayes à Taghargharet. C’est la grande révélation du rapport 2005-2006 de la CASCA. Pas étonnant, dans des conditions de corruption à ce point excessif, que le rapport 2006 du Pnud sur l’indice de développement humain nous classe 175e sur 177 pays, bien derrière la Mauritanie et surtout la Guinée Conakry, pays où l’on n’a pas fait grand cas de la démocratie comme nous prétendons, nous, l’avoir fait.
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Que le régime d’ATT est un régime de corruption est tout sauf une surprise. Le livre « ATT-cratie… » l’avait déjà diagnostiqué et produit une fiche médicale pertinente. Si pertinente que lorsque des spécialistes du faux ont cru devoir jeter la pierre au Sphinx, il s’est trouvé un officier supérieur honnête, perle plutôt rare en ces temps, pour dire à tous que le contenu du livre est au moins « vrai à 80 % ». Cependant le président de la République, gravement mis en cause dans ce livre, est peu enclin à admettre la vérité, encore moins à faire face au devoir de justice.
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Qu’à cela ne tienne, l’histoire continue sa mue. Et, quand est tombé le rapport 2005-2006 de la Casca (Cellule d’appui aux Structures de Contrôle de l’Administration), ce ne fut point une surprise pour les Maliens de savoir que 48 des dossiers sur 176 examinés méritent que la justice s’y penche, au regard des faits gravissimes de détournement de deniers publics, de fractionnement de dossiers d’appel d’offres en violation de la réglementation et du code des Marchés publics, de sommes volatilisées, de facturations malhonnêtes, etc.
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ATT s’en fout
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Une panoplie de faits délictueux qui révèlent à la fois l’immoralité et l’incompétence de grands commis de l’Etat. Le rapport de la Casca risque cependant d’être relégué dans le vent de l’épiphénomène, s’il n’est tout simplement pas jeté dans les poubelles. A moins qu’une fois ATT veuille bien surprendre les Maliens. Mais, c’est sûr et c’est parié, aujourd’hui comme hier ou hier comme aujourd’hui, ATT n’en fera rien. Sa tâche n’est pas de protéger l’Etat, ses biens et ses hommes. Son devoir est seulement d’avoir un sens généreux de la parentèle, de l’amitié et de la courtisanerie.
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Que le peuple apprenne, à travers le livre « ATT-cratie … », que des marchés sont attribués en fonction des fréquentations des proches, voire des intimes du chef de l’Etat, cela ne l’intéresse guère. Savoir aussi, à travers le rapport de la Casca, que dans le cadre de la lutte contre les criquets pèlerins, les magouilleurs n’ont pas épargné les généreux dons (636. 497. 518 F CFA) des personnes physiques et morales, d’institutions et d’associations, est un motif de guerre contre la pègre. Ça veut dire tout simplement que les indélicats ont fait main basse sur les 100F CFA qu’un certain Amadou Toumani Touré, a tiré de sa bourse pour une cause nationale.
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Mais ATT n’en a cure. ATT n’en fera non plus rien s’agissant de l’ORTM où Sidiki N’fa Konaté officie comme chef de la propagande du président. Du Ministère de la Santé, ATT ne voudra rien savoir : Madame Maïga Mint Youba est obséquieuse avec le chef. Et puis, pas moins de 38 milliards de FCFA sont à ce niveau pour la lutte contre le paludisme ! La Femafoot non plus n’aura rien à craindre. ATT ne peut nullement tourner le regard de ce côté au risque d’embêter Tidiane Niambélé. Histoire de dire que Dr Moussa Balla Diakité a tort pour avoir, ainsi que le lui dictait sa conscience, cherché à assainir la situation du football malien.
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ATT n’en fera surtout rien parce que le ministère de l’Administration Territoriale est en cause. Indexer le général Kafougouna Koné à la justice, c’est, en effet, toucher aux manettes interdites de l’armée, perspective effroyable. La ligne sur laquelle ATT se tient est connue. Reste la nôtre. Lutter contre la corruption, fléau plus dévastateur que le SIDA et le paludisme, est un devoir de salubrité nationale, un triple impératif économique, social et politique. Il importe donc que tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont la charge de restaurer la paix et l’Etat de droit, se mobilisent. Tous ceux qui ont souci du devenir de la nation sont interpellés.
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Il est acceptable, pour l’unique raison que vous comprenez-le sens de l’ironie- que les Tall, Choguel et autres se taisent devant l’incommensurable fléau. Il est tout autant acceptable que ceux-ci cherchent par tous les moyens à se constituer des trésors de guerre qu’on ne peut avoir hors du Gouvernement. Mais il est inadmissible, parce que le Mali est nôtre, que nous nous défaussions tous de notre responsabilité citoyenne. La corruption agresse dangereusement le pays et c’est notre devoir de le défendre. Chaque fois que le pays est attaqué, le patriote est débout sur les remparts. C’est une question de se libérer de tous les dangers et de toutes les servitudes.
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De Gaule disait, le 1er mars 1942 : « La libération nationale est inséparable de l’insurrection nationale… ». Alpha Oumar Konaré, qui a une lecture très politique de De Gaule, a dit à sa façon en janvier 1991 : « Que reste t-il à un peuple trahi, volé, pillé ? Que reste t-il à un peuple affamé, à un peuple à qui on a menti … ? » Ce fut un appel historique qui a donné le résultat que l’on sait. Pour qu’on en arrive là, le peuple s’est mobilisé, dans toutes ses composantes. Aussi, en 2001, quand le même Alpha Oumar Konaré a voulu réviser la Constitution par des procédés peu orthodoxes, la même mobilisation l’a contraint à jeter l’éponge le 20 Novembre, après des mois de débats, de tricheries politiciennes et de supercheries sémantiques. Là encore, syndicats, hommes politiques et société civile ont eu le sens de l’Etat.
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Le fléau de la corruption est un morceau plus gros mais pas impossible à circonscrire. L’un des moyens est de libérer la justice de l’emprise du pouvoir politique et de lui assurer la plénitude de ses moyens. La justice, cependant, ne se libérera jamais que lorsqu’elle le voudra elle-même. Reformer un système judiciaire opaque et sclérosé est d’abord l’affaire des professionnels du droit.
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Pour des raisons d’équité et d’efficacité les syndicats de la magistrature et le Barreau se doivent de jouer leur rôle, sans qu’on ait à les y inviter, dans la lutte contre la corruption. En la matière, la justice doit être prompte à exercer ses compétences et ses talents, librement. Pas de pression sur les juges, encore moins de menaces individuelles ou collectives. Elle doit frapper ceux dont la culpabilité, définie par les lois, est régulièrement démontrée. Un des chemins de la victoire sur la corruption, le plus clair, passe par là.
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