Le régime du président ATT n’est pas encore une kleptocrate, mais il se complait volontiers dans l’affairisme et la corruption, le trafic d’influence et la magouille en tous genre, l’irresponsabilité et l’impunité, la combine et la rapine. Tel est l’accablant réquisitoire dressé par le Sphinx dans un livre « ATT-cratie : la promotion d’un homme et de son clan ». Deux semaines après la révélation de l’œuvre du Sphinx, la panique s’installe dans un silence coupable, tel un aveu de flagrance d’assises. Le Palais, dans une pirouette politicienne avec l’énergie du désespoir, et sans aucun démenti, crie à la délation et à la déloyauté de son adversaire politique du jour : le RPM et son président.
Face à « ATT-cratie : la promotion d’un homme et de son clan », le silence du régime est évocateur : la fuite en avant et le désarroi, avec des accusations intempestives sur l’identité de l’auteur et de ses commanditaires, sont indicatifs. Indicatifs des mœurs et du crédit du régime et singulièrement des hommes et femmes qui entourent et disent servir le président ATT.
La solitude d’un Chef
Encerclé par une meute de courtisans et de zélateurs sans cervelle et pris en otage par une horde d’affairistes et corrompus en tous genre, le président ATT apparaît, après la publication de ce bouquin, comme à l’entame, seul face à son destin. Eux, n’en ont rien à cirer, ils ont eu pour leur compte et fileront à l’anglaise au moment de rendre compte. Aussi, faudrait-il comprendre qu’aucun d’entre eux ne lèvera le petit doigt pour défendre l’honneur d’un régime qu’ils ont sucé, d’un homme et de sa famille qu’ils ont trompé et utilisé à leurs funestes fins. Se contenteront-ils, comme ils le font aujourd’hui d’indexer mensongèrement les « ennemis » supposés du régime et de la famille présidentielle ?
Le Réquisitoire du Sphinx
Nul n’est et ne sera dupe quant à leur moralité et leur compétence. Pour notre part, nous n’avons cesse de le rappeler, le Mali vaut mieux que ça, le Mali mérite mieux que ça, le président ATT mérite mieux que ça ! Au-delà des affaires évoquées dans le livre du Sphinx, sur lesquelles on reste muet comme des carpes, pardon des gamins pris la main dans le sac (en dehors de la polémique glissante que le président ATT a entamée, et Dieu seul sait où cela nous mènera), le réquisitoire du Sphinx est tout aussi sans complaisance sur la gouvernance, les principes et l’effectivité de l’exercice de la démocratie au Mali, depuis le 08 juin 2002. L’auteur ou les auteurs du livre dégagent 7 axes de faillite qui constituent, pour tous les observateurs politiques avertis, les 7 péchés capitaux du régime du président ATT.
1°) « la confiscation de la démocratie par un homme et son clan et l’irrespect des règles démocratiques élémentaires »
A Info-Matin, nous sommes de ceux qui, dès l’entame, ont dénoncé la mise entre parenthèse de la démocratie représentative et la confiscation de la volonté du peuple au profit d’un homme. Au lendemain des législatives de 2003, lorsque le président élu (conseillé par ses émiences grises) a décrété qu’il n’y avait ni opposition ni majorité, nous avons été les premiers à dénoncer l’atteinte à la démocratie et la non tenue de ses promesses électorales, exprimées encore au sortir de son bureau de vote :
« (…) Je souhaite une démocratie apaisée, une démocratie participative. Je suis venu sans parti, mais j’ai l’intention de travailler avec tous les partis. Je pense que, jusque-là, je maintiens ce que j’ai dit : je n’ai pas l’intention de créer un parti et je respecterai la majorité parlementaire que les maliens voudraient bien me donner. Une majorité avec laquelle je travaillerai sans complexe et dans le respect des textes (…)».
Mais comme on le dit, les dés étaient pipés d’avance. Le parlement fera son entrée sans majorité reconnue (Espoir 2002 n’ayant qu’une majorité relative) et sans opposition (les partisans d’ATT et l’Adéma refusant d’être fair-play) ; mais aussi et surtout par la volonté du seul président qui a dit clairement : « Je suis venu aider cette classe politique à créer une cohésion politique, à rebâtir et à veiller correctement sur les règles de jeu. Pour ma part, je ne me vois pas face à une opposition ou un autre type de majorité ».
Et en la matière, la volonté du président prime sur tous autres principes et règles démocratiques. Les dieux de la politique ne sont-ils pas tombés sur la tête au Mali, et avec eux les principes élémentaires de la démocratie et des traditions parlementaires, avions-nous coutume de s’interroger dans ces mêmes colonnes ? Non ! Il souffle simplement sur le Mali du Roi-ATT depuis 2002 un nouveau vent d’atypisme politique rénovateur conjugué à l’aune de la conspiration d’Etat d’un régime pittoresque qui est en train de consumer son dernier capital de crédit sur l’autel de la camarilla et des combinazione.
Il fallait être d’abord d’une ingéniosité et d’un sans-gêne malien pour assumer dans la communauté des nations vivant sous la règle de droit une démocratie pluraliste sans majorité et sans opposition dans laquelle tout le monde a fait allégeance au Prince du jour (même le RPM en son temps) et dont la seule volonté tient lieu de norme pour le « bon peuple » et la démocratie. Un tel système monolithique et univoque, comme nous l’avons écrit dans ces mêmes colonnes, n’est pas qu’hérésie et perversion démocratiques, c’est tout simplement une innovation démocratique à la malienne, bien sûr !
Pour les besoins de la cause commune, chacun y trouvant son compte, politiciens véreux, cadres affamés, démocrates situationnistes… nul ne nourrira de complexe dans le ridicule et face à l’hilarité, l’étrangéité de la situation démocratique ; au contraire ! Si le refus du Chef du gouvernement (Ag Hamani) de répondre à l’invitation du parlement ou convoquer une session extraordinaire n’émeut personne, qui s’offusquera de l’expulsion mafieuse de la première force politique de tous les organes de décision de l’Assemblée nationale ? Sur ce premier point, le Sphinx fait une battue sur nos terres de chasse.
2°) « le culte de la personnalité, le système de pensée unique »
Nous sommes de ceux qui se sont toujours opposés à cette image de la démocratie malienne : celle d’une longue procession d’opportunistes, de courtisans, de laudateurs et zélateurs de tous acabits. Nous avons sur ce terrain une longeur d’avance sur le Sphinx, pour preuve ces extraits d’un éditorial publié dans ces mêmes colonnes en 2003 :
« Dans le Mali d’aujourd’hui, tout se passe comme si la République était divisée en deux : le Mali d’ATT et du Clan, officiel avec ses nouveaux concepts et procédés, son nouveau langage, ses nouvelles éminences grises, tout parées et tout drapées suivant l’inspiration et le style (jusqu’au vestimentaire) du Chef. Ce Mali, c’est le bon côté, le bon choix où il suffit d’acquiescer, de mettre en congé ses opinions et ses convictions, de chanter les mérites et la clairvoyance du Chef (et de s’habiller comme lui pour les plus zélés des opportunistes) pour changer la trajectoire d’une carrière déjà compromise, pour être sur la rampe de lancement d’une prometteuse carrière dans l’administration d’Etat ou dans de florissantes affaires. Le Mali du Clan, c’est le Mali de la suffisance et de l’arrogance fraîchement affichée. Ce Mali-là, c’est celui de la prime à l’opportunisme roublard, de la sinécure et prime à l’incompétence et à l’amateurisme. De l’autre, le Mali des autres subissant les affres de la conjoncture et de la boulimie rampante d’un régime de plus en plus narcissiste qui n’a d’excellence que les éloges et louanges au Chef. Ce Mali là, c’est le Mali du petit peuple qui vivote, qui rumine son désespoir et sa colère, qui refuse de joindre sa voix à l’ode et à l’élégie du Chef vénéré… »
Aujourd’hui, le discours officiel s’en ressent : dans la droite ligne du président ATT, suivant la Vision du président ATT, conformément la volonté du président ATT, conformément à l’ambition du président ATT… Qui parle librement sans faire référence au président ATT ?
Sommes-nous contre ATT ? Nous avons toujours refusé ce simplisme puéril qui consiste à ramener tout à un pour ou contre ATT, de mettre ATT dans toutes les sauces, de chanter ATT sur tous les toits et de fermer la gueule… Voilà pourquoi, nous avons été catalogués opposants… Et nous l’avons assumé, Don ka djan a sèbali tè !
3°) « la valorisation du mensonge et de la rumeur, l’irresponsa¬bilité et l’impunité comme mode de gestion du pouvoir »
Démocrates d’hier et laudateurs opportunistes d’aujourd’hui, beaucoup ont mangé leurs convictions, troqué leurs idéaux et ambitions contre de confortables prébendes et autres maroquins. Où sont aujourd’hui les intrépides chefs du Coppo ? Parmi la philharmonique zélatrice, les uns avec le N’goni, les autres le N’Taman… ! Ce qu’ils appelaient, hier, par mépris et dérision, la politique alimentaire, n’est-il pas devenu leur sport favori, pardon le politiquement correct, l’objet d’un consensus généralisé ?
Chacun veut sa part du gâteau et nul ne crache sur des miettes ou du reste des festins. Comme nous l’avions toujours stigmatisé : la République offre l’occasion, le régime l’opportunité, le président ATT la caution ! Chacun y va de son petit larcin, de son petit mensonge, chante en public les mérites du Chef et passe son temps à maudire, à insulter et comploter dans les coulisses. Pour couvrir les incuries et incompétences collectives et individuelles, on triche, on ment et colporte toutes sortes de rumeur sur le compte de ceux qui acceptent, avec courage (non sans risque) d’afficher sincèrement leurs opinions et d’étaler sur la place publique leurs désaccords et leurs ambitions. La preuve, au lieu de démissionner parce qu’ils ont été incapables d’anticiper la parution du livre et sont à court d’arguments face au Sphinx (irresponsabilité et impunité), ils fuient leur responsabilité et mentent sur les gens : c’est Sambi, c’est Boubèye, c’est Ibk, c’est Doumbi Fa koly… ! Autre temps, autres mœurs : sous Alpha, le régime n’avait pas été surpris et avait anticipé la parution d’un pamphlet intitulé « Le Mali ou La République cotonnière », le livre n’est jamais paru !
4°) « l’affaiblissement de l’État au profit des individus, l’affai¬risme, la corruption et la compromission »
Laissons le Sphinx en dire ce qu’il sait : « Si son arrivée au pouvoir était supposée restaurer l’image négative de l’homme politique malien par la rigueur dans le choix des hommes et la transparence dans la gestion, force est aujourd’hui de constater qu’elle a favorisé l’émergence de politiciens affairistes, corrompus et opportunistes et dévoilé certains traits de caractères chez ATT qui étaient jusque-là inconnus, insoupçonnés : le complexe d’infériorité, l’irresponsabilité, l’infidélité dans ses relations et l’absence d’envergure d’homme d’État. Certains officiers des forces armées et de sécurité et hommes politiques, peu soucieux du devenir du Mali, ont sacrifié l’espoir de tout un peuple sur l’autel des ambitions personnelles.
En choisissant mal «ses hommes de troupe » et ses lieutenants, le général ATT s’est trompé royalement de bataille, laissant du coup le pays sombrer dans la corruption, l’affairisme et l’impunité. Les discours d’ATT et ceux de ses laudateurs n’ont plus d’emprise sur l’opinion publique dont l’ampleur de la désillusion est telle que des évaluations trimestrielles folkloriques de l’action gouvernementale ne sauraient effacer : le peuple a besoin de concret (…)Ses gouvernements successifs ont tous été remplis « d’amis », d’alliés alimentaires, de compromis et de cadres opportunistes ayant des compétences douteuses et dépourvus d’envergure et de personnalité pour relever les défis auxquels le pays est confronté. Ce qui fait que le régime d’ATT a une lecture fataliste face aux problèmes qui se posent au pays : crises acridienne, alimentaire et scolaire etc. (…)Comme le dit un adage de chez nous, « le poisson commence à pourrir par sa tête ». En effet comment s’en prendre aux cadres véreux, aux politiciens affairistes et opportunistes, si le comportement du président de la République, sa gestion du pouvoir sont de nature à favoriser le trafic d’influence, l’impunité et la corruption ? II a fallu qu’ATT retourne au pouvoir en 2002 pour qu’un phénomène de cour s’installe au Palais de Koulouba et que la haute administration devienne le lieu de ces courtisans affairistes.
A/ L’impunité comme mode de gouvernance
– Comment le pouvoir d’ATT peut-il lutter contre la corruption, l’incivisme si l’impunité est érigée en mode de gestion du pouvoir, et si les personnes trempées dans les eaux troubles des affaires ont l’assurance qu’aucune sanction ne peut les frapper ? »
5°) « le régionalisme et la culture de l’informel dans la conduite des affaires publiques »,
Après avoir longtemps prêché dans le désert, le Quotidien des sans voix a été finalement entendu. En mai dernier, un groupe d’intellectuels et de politiques regroupés au sein de l’Association pour la Démocratie et la Justice (fondé en 2003) a pris son courage de lancer un Manifeste pour la Démocratie, après l’appel au sursaut national lancé par le président de l’Assemblée nationale à l’ouverture de session d’octobre. Un extrait de ce Manifeste qui a aussi surpris le régime édifie amplement :
« Une menace plane sur ce pays : celle de la dépolitisation intégrale de la gestion de notre nation et comme corollaire logique à cet état de fait, l’émergence et la promotion d’une culture de l’informel.
A ce rythme, l’on n’aura bientôt de République que de nom, tant les institutions se vident de leur substance jour après jour pour ne laisser que des coquilles sans contenu dont le citoyen, bien entendu, n’a que faire. (…)
Mais qu’est-ce qui se cache en réalité derrière ce concept de consensus ? Il s’agit d’un dialogue exclusif ou plutôt d’un monologue entre l’Exécutif en place et certains barons de partis politiques «cooptés » par le pouvoir : en aucun moment, le concept n’a fait l’objet d’un débat impliquant la base des partis. Vous avez dit démocratie ? (…) Où est la démocratie représentative ?
En d’autres termes, les partis politiques n’ont aujourd’hui qu’une existence virtuelle dans notre pays, car ne jouant qu’un rôle de faire-valoir dans la gestion de l’État, dans une atmosphère pour le moins malsaine où l’on ne rate aucune occasion pour vilipender l’homo politicus, l’homme politique. Comme si la gestion de l’État moderne peut se passer de la politique ! C’est ce qu’on appelle le populisme.
Et qu’est-ce que le populisme, sinon la recherche effrénée d’un unanimisme abrutissant dont l’objectif est d’éviter que de vrais débats de société aient lieu ? Sa méthode est fondée sur un discours démagogique, faussement rassembleur, destiné à flatter les bas instincts de la population. Le populisme n’est que la maladie infantile de la démocratie ! C’est une maladie qui s’emploie à castrer tous les acteurs politiques consacrés par la loi, pour pouvoir évoluer en roue libre ! »
6°) « la menace, l’intimidation et la violence »
Un honorable député n’a-t-il pas dit publiquement que personne n’est fou pour s’opposer à ATT et que même si on n’est pas d’accord on est obligé de dire oui comme les autres. Combien de cadres ont-ils été obligés ou ont senti l’impératif catégorique pour leur carrière de quitter leurs partis et d’adhérer au Mouvement citoyen ? Quel est aujourd’hui l’ampleur des repressailles, de la chasse aux sorcières, et de rglements de comptes politiques… ?
Oublions les confrères tabassés parce que les journalistes qui sont presque devenus des tam-tams sous ATT, on les battent même à Koulouba.
7°) « la culture de la médiocrité et de l’ascension des moins méritants. »
En temps normal (clarification politique avec une opposition et une majorité), certains dignitaires du régime ne seraient jamais promu là où ils sont aujourd’hui haut nichés. Combien de ministres sont-ils aujourd’hui capables de défendre un projet de loi ou de faire face à une interpellation devant l’Assemblée nationale ? Combien ont-ils pu défendre leurs propres dossiers au Conseil des Ministres ? Combien de jeunes sans compétence, sans expérience, sans aucun mérite polluent-ils dans les cabinets ministériels et dans les hautes sphères de l’Etat, uniquement parce qu’ils sont du Mouvement citoyen ? Et souvent en violation de la loi et du cadre organique !
Après le bradage de la régie du chemin de fer, nous savions que derrière les beaux et mielleux discours, les Maliens recherchent en vain, telle une aiguille dans du foin, la preuve d’actes qui flattent le légendaire patriotisme malien et qui sauvegardent tant soit peu l’intérêt de ce peuple, qui est loin d’être le moins vaillant et le moins travailleur de la sous région. Si chaque peuple a le gouvernement qu’il mérite, qu’on permette d’en douter et d’émettre de sérieuses réserves en ce qui concerne le sort du nôtre, ballotté entre l’absence de génies des uns et la trahison des autres. Aujourd’hui ne faudrait-il pas ajouter la cooptation des opportunistes et des laudateurs, l’ascension des transhumants et l’impunité accordée aux traîtres politiques, des mutins et des déserteurs ?
L’ambition du président ATT, en venant au pouvoir, était de faire du Mali un havre de paix, de prospérité et de convivialité. Comme il le souhaitait lui-même :« Le Mali de demain est l’affaire de tous (.. .) Sans exclusive aucune ». Mais, trois ans après ce discours, le Mali n’est-il pas devenu l’affaire et la propriété du Mouvement citoyen ?
Sambi TOURE
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