Près de 15 ans après la chute du mur de Berlin en Europe et l’avènement de la démocratie multi partisane au Mali, quel bilan dresser de notre parcours politique pour en percevoir la perspective à l’horizon 2007 où le pays se prépare aux élections présidentielles et législatives ? Voilà l’exercice auquel s’est livré le Pr.
Moussa TRAORE, président de ASRI (Association Action, Solidarité, Responsabilité, Intégrité) et ancien doyen de la Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie, dans une contribution qu’il nous a fait parvenir. Ledit bilan, selon son diagnostic politique, n’est pas reluisant du tout. Car notre processus démocratique est pris en otage par les états-majors politiques dont le souci, en guise d’ambition ou de projet de société, n’est autre que le partage du gâteau national au détriment des intérêts supérieurs du pays dont le vote citoyen des populations est vidé de tout son sens. Les alliances circonstancielles et même contre nature sont nouées pour les besoins de la cause, qui empêchent la constitution de toute majorité ou opposition constructive pour faire avancer le débat contradictoire et le devoir de contrôle parlementaire sur la gestion publique et gouvernementale.
Aussi, s’insurge-t-il contre la pléthore de partis qui n’est pas synonyme de pluralisme ni de démocratie vraie. Au contraire, tout cela participe du flou artistique pour continuer à berner les populations que le Pr. TRAORE invite à prendre son destin en main à travers la société civile plus dynamique pour constituer un contre-pouvoir à la dérive des partis dont le nombre mérite pour cela d’être limité par la loi. D’autre part, le Pr. trouve intrigant et même inadmissible que la nouvelle loi électorale reste muette sur le mécanisme financier et le plafonnement des ressources afférentes lors des campagnes électorales.
La chute du mur de Berlin, symptôme prémonitoire de la dislocation du Bloc communiste et de la fin de la guerre froide, a ouvert le vaste chantier de la démocratisation des systèmes de Gouvernement, singulièrement dans les pays de l’Europe de l’Est et en Afrique au Sud du Sahara Un monde nouveau s’annonce à l’horizon dont les mots clés seront : Démocratie, Capitalisme, Intégration.
Au Mali, la quête radicale d’une démocratisation immédiate, triomphante et pluraliste a ébranlé tout le pays. Le choc a été terrible avec ses blessures, ses morts et son lot de souffrances. Le souvenir de ces douloureux évènements est encore vivace dans notre mémoire commune. La charge émotionnelle a été forte et intense. Les rêves et les fantasmes ayant nourri la tempête démocratique constituaient pour chaque citoyen un devoir d’exigence : exigence de cohérence, exigence de progrès véritable.
Effondrement du parti unique
De ce fait, la perspective de l’instauration au plan Institutionnel d’une « vraie » démocratie, stable et transparente, apte à renforcer les libertés Individuelles et collectives, à résorber le chômage massif d’une jeunesse désemparée et désabusée, à améliorer de façon significative les conditions de vie des citoyens et à juguler le népotisme et la corruption, a été déterminante dans l’engagement et l’adhésion des masses laborieuses. Telle était la compréhension qu’il fallait peut-être avoir de l’objet du mouvement populaire, et tels étaient le sens et les défis qui étaient assignés au mouvement démocratique.
L’ordre ancien caractérisé au niveau domestique par le parti unique, avec ses règles, ses idées dominantes et ses structures de pouvoir, s’est écroulé ; cédant l’espace Institutionnel et social à un ordre nouveau symbolisé par le pluralisme dont les principes intangibles demeurent quel que soit l’espace géographique : le débat – c’est-à-dire la parole libre et courtoise, sobre et digne, argumentée et ferme, dépouillée de toute arrogance et de toute invective, attentive et attachée à l’obligation de respect dû au contradicteur – et la liberté de choix en vue d’ une finalité précise préalablement définie. La liberté est au coeur de la problématique démocratique. Elle est essentielle, déterminante et décisive. Elle est le reflet de la capacité du citoyen à s’affranchir des contingences et des interférences diverses et variées susceptibles de dénaturer son choix entre plusieurs offres possibles. Un choix libre est un choix réalisé en toute connaissance de cause, sans aucune contrainte et sans aucune interférence : la tâche à accomplir dans le cadre du contrat démocratique qui lie les citoyens à leurs leaders est précise.
Distinction nette entre majorité et opposition
Les Engagements et les promesses des uns, vis-à-vis des autres, en constituent le fondement. Les procédures et les conditions de réalisation choisies pour asseoir, renforcer et conforter la démocratisation de la vie publique dans notre pays sont le multipartisme intégral et l’accès des partis politiques aux ressources publiques dans le cadre normatif de la loi fondamentale définissant avec une clarté et une rigueur indiscutables les contours d’un Régime Présidentiel. Le Président de la République, clef de voûte des Institutions, est élu au suffrage universel direct. Il est le Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées, Chef de l’exécutif disposant de la majorité parlementaire et en conséquence inspirateur du jeu législatif. La cohérence entre le pouvoir Exécutif et le pouvoir Parlementaire assure au Gouvernement la stabilité et les moyens lui permettant d’agir concrètement et efficacement dans le sens de la réalisation des engagements souscrits devant les citoyens et plus généralement de trouver des réponses adéquates aux préoccupations fondamentales des populations. Dans cet exercice, le rôle des partis politiques est sans aucun doute vital pour la démocratie parce que les citoyens leur délèguent précisément le soin de produire des projets répondant à leurs attentes, de les traduire en programmes d’action gouvernementale et de fournir une équipe qui aura la responsabilité de surveiller et de contrôler l’action gouvernementale.
Une nette distinction entre une majorité qui gouverne et une opposition qui contrôle les activités du Gouvernement assure à l’Institution Parlementaire un fonctionnement harmonieux et transparent conforme à l’esprit d’une démocratie pluraliste, gage de stabilité et d’efficacité. Cette option procède d’une reconnaissance explicite du rôle central et stratégique dévolu au politique. Dans notre pays, les Partis politiques sont si nombreux – environ une centaine – que leur distinction reste purement nominative et quelque peu anecdotique. Toute catégorisation de nature idéologique ou programmatique demeure virtuelle. La formation d’un parti politique se confond avec une affaire marchande où l’espérance et l’intérêt d’un gain hypothétique de décrocher un mandat et de surcroît se trouver peut-être en position d’arbitrer en faveur de telle ou telle combinaison constitue le sésame. La diversité des opinions dans le corps des citoyens garantit à n’importe quel parti des chances non nulles d’avoir au moins un élu. Un pouvoir de blocage et de nuisance exorbitant peut ainsi être confié à des minorités qui peuvent s’amenuiser jusqu’a se réduire à un Représentant unique. Chacun a pu constater des alliances contre nature et contre toute logique à seule fin d’empêcher l’émergence d’une majorité claire et nette. Les tractations entre appareils de partis échappent totalement au contrôle des citoyens qui se trouvent être floués et pris en otage. La démocratie est biaisée. Le spectre d’une démocratie au rabais est à nos portes. Ce qui est malsain et contribue à saper la crédibilité du politique.
Inflation de partis
L’inflation des partis et probablement l’insuffisance de l’encadrement réglementaire qui entoure leur mode de fonctionnement ont pu rendre improbable et purement contingente l’émergence d’un parti majoritaire au scrutin législatif précédent. Par une sorte de myopie étrange, cette absence de majorité a été mise au second plan, négligée ou ravalée à une affaire de commodité circonstancielle. Les conséquences dommageables liées à l’absence d’une majorité parlementaire, imputables dans une certaine mesure à la pléthore de partis et à la possibilité offerte aux élus de réaliser -grâce à la mobilité- des combinaisons de toute nature, incitent à se préoccuper clairement de la nécessité de donner du sens aux suffrages des citoyens. La législature qui s’achève a été tout simplement surréaliste, singulière et cocasse au regard de la rationalité et de l’éthique. Que reste-t-il d’une démocratie lorsque le lien avec les électeurs n’obéit à aucune obligation, ni au respect d’aucun engagement et lorsque les règles sont assujetties au seul jugement du décideur qui les adopte ou les rejette selon les exigences de son humeur ou des desseins qui lui sont propres ? Quel gâchis pour l’image de la démocratie !
La colonne de tous ceux qui sont fermement déterminés à échanger leur droit légitime dans l’ordre de la réflexion et de la critique contre un plat de haricots- verts ou blancs- gouvernemental accentue la confusion et contribue manifestement à brouiller les règles du jeu démocratique et le jugement du citoyen. L’attachement au poste Gouvernemental s’est révélé dans bien des cas exponentiellement plus puissant que la conviction politique. L’expérience de la pratique d’un regroupement de partis en grappes hétérogènes dont l’épaisseur et la consistance restent inversement proportionnelles à une représentativité véritable et à une conviction forte n’a démontré aucune capacité de résistance face à l’appétit du pouvoir. Les effets pervers liés à une telle approche sont évidents. Elle facilite l’émergence d’un pôle dominant hégémonique en lieu et place d’une alliance politique, majoritaire sans doute, mais cependant soucieuse de sauvegarder le fait démocratique à travers une minorité active et respectée. L’absence d’une sélection claire et nette d’une équipe exécutive et législative est nuisible à l’action politique. Elle est source d’une démocratie en trompe l’oeil, ouverte à toutes les tentations démagogiques. Le foisonnement actuel des partis politiques, véritable miroir aux alouettes, n’a pas démontré plus de vitalité, plus de dynamisme ou d’efficacité dans le débat politique.
Haro sur la transhumance politique
De ce point de vue, la pertinence du pluralisme sans limite se pose avec acuité .II nous paraît d’ores et déjà justifié et raisonnable de plaider pour une réglementation claire permettant de réduire la mobilité des Elus dans le cadre du respect légitime du vote des citoyens. La nouvelle Loi régissant les prochaines échéances électorales est muette sur cette question décisive. Dans un pays pauvre comme le notre, il est regrettable de constater l’absence de disposition de nature légale ou réglementaire visant à moraliser, à maîtriser et à contrôler de façon spécifique les dépenses effectuées par les candidats ou les forces politiques en compétition électorale. Cette lacune est nuisible à l’équité et dommageable à la sincérité du vote. La solidité d’une démocratie est assurée à travers ses Institutions mais aussi et surtout dans sa capacité à respecter les exigences liées à l’ Etat de Droit et plus encore à travers des Responsables vertueux et des citoyens décidés à se constituer en une société civile consistante, capable de concilier ses intérêts et déterminée à s’opposer aux abus d’un Etat omnipotent régissant dans toute sa plénitude, et sans contre pouvoir réel, toute la vie collective. Une société assoupie et asservie, avec des citoyens qui se conduisent en spectateurs de plus en plus angoissés face aux incertitudes du lendemain, est paralysée. Rallumer la flamme de la foi et de l’espérance est une tâche qui appelle la contribution de tout un chacun.
Les citoyens attendaient de la démocratisation le salut, le respect de leur droit le plus élémentaire : « manger à leur faim », ressentir les effets d’une augmentation de leur pouvoir d’achat. Cette attente n’était pas un espoir, mais une certitude. Hélas ! Le compte n’ y est pas.
L’autosatisfaction démocratique a paradoxalement dilaté toutes les poitrines allant des plus humbles aux plus nantis. Le pays est ruiné et exsangue : 174è sur 177 (Indice du développement humain PNUD 2005). Nos moyens sont insignifiants au regard de nos besoins immédiats et futurs, c’ est pourquoi le gaspillage qui s’étale au grand jour est injustifié et choquant. La réalité est bien là, physique et palpable. Les citoyens sont réduits à étouffer leur cri et à contempler les Nababs de l’ère démocratique. Aucun groupe humain n’est condamné irrémédiablement et de façon irrévocable à la pauvreté galopante et à l’exclusion. Briser la spirale de la misère n’a jamais été obtenu par la charité aussi généreuse qu’elle puisse être. Les règles sont connues et établies depuis belle lurette : respecter rigoureusement en tout premier lieu son identité, ses propres valeurs, ses traditions, le travail, l’éducation ; s’adapter aux valeurs et aux règles du jeu démocratique non pas du bout des lèvres mais avec sincérité et clairvoyance ; se préoccuper de la gestion correcte des ressources disponibles.
Démocratie balbutiante
Notre démocratie est balbutiante. Elle a du chemin à accomplir et des obstacles à surmonter. Tout n’est certes pas gris fort heureusement, la parole est libre, les libertés ne sont pas confisquées.
Dans cette lutte pour une démocratie vivante et efficace, notre pays a des atouts véritables. Nos concitoyens, hommes, femmes et jeunes sont courageux, généreux et entreprenants. Ce potentiel d’énergie disponible ne demande rien d’autre que d’être mobilisé, encadré et canalisé. Pour galvaniser la troupe, la force des mots peut s’avérer utile, mais la puissance des actes est décisive.
La démocratie pourrait être une chance à condition qu’elle soit véritable et effective dans les actes. Lorsque les citoyens la ressentiront comme telle, notre système éducatif sortira du naufrage, l’état de droit deviendra une réalité vivante. Alors, c’est seulement alors à ce moment là que les citoyens seront disponibles et en ordre de mouvement pour soutenir l’idéal démocratique.
La marche vers le développement économique et le progrès social seront à l’ordre du jour avec des citoyens motivés enfin déterminés à garantir les libertés et à revendiquer un régime décent dont ils seront les authentiques et légitimes artisans.
Bamako, le 9 octobre 2006.
Professeur Moussa Traoré
Président de l’Association Action, Solidarité, Responsabilité, Intégrité (ASRI)
NB : Les titres et intertitres dont de la rédaction
“