«Je n’ai jamais servi d’intermédiaire entre ATT et Gbagbo dans une prétendue affaire de financement de campagne»
On ne dit pas que vous avez été approché par ATT en personne. Le document dit que vous avez été entrepris par un de ses proches conseillers. Et que votre rencontre a eu lieu à Paris, dans un restaurant chinois du 8ème arrondissement, qui s’appelle le Diepp.
Albert Bourgi : Je n’ai jamais rencontré de conseiller d’ATT, mon cher Touré, de près ou de loin. Jamais, jamais, jamais. Maintenant, aller déjeuner dans un restaurant chinois, écoutez, c’est de la fiction. D’ailleurs, je n’aime pas la cuisine chinoise. Si vous aviez dit le restaurant.
“Le tchèp”, peut-être, parce que j’adore le tchèboudiène (repas sénégalais). Vous savez, depuis 20 ou 30 ans, je suis un combattant pour la liberté de la presse en Afrique. Ce n’est donc pas moi qui vais… Mais, vraiment face à un récit où le personnage est fictif, je ne peux pas rester sans réagir. Au début, j’en ai ri, mais après je me suis dit que la presse, c’est quelque chose de sérieux et que je ne devrais pas laisser passer ça.
Quelle est la nature de vos liens avec Laurent Gbagbo ?
A.B : Mais c’est un ami ! Je le connais depuis 1971, Laurent Gbagbo ! Et moi, j’irais me mêler des affaires d’un chef d’Etat, ou des rapports entre des chefs d’Etat ? Non, mais attendez ! Je ne sais rien du film que vous avez tracé et le personnage que vous avez dessiné est un personnage de fiction.
Vous avez certainement, en tant qu’ami trentenaire de Laurent Gbagbo, mené des actions pour lui en direction de certains palais présidentiels africains ?
A.B : Cher ami, je n’ai fréquenté aucun palais. Je suis plutôt copain de ceux qui espèrent y arriver. Et mon amitié avec IBK (Ibrahim Boubacar Kéita, président de l’Assemblée nationale malienne, rival probable d’ATT, ndlr) est très forte. Ce serait encore plus grave de soutenir ATT contre lui !
Vous soutenez donc que vous n’œuvrez pas pour aider à renforcer ATT en vue de son maintien au pouvoir au détriment d’IBK ?
A.B : Jamais. Je n’ai jamais évoqué le nom d’ATT, je n’ai jamais eu de contacts directs avec lui. Ce rôle, je ne sais pas ce que c’est. Si je l’avais fait, je l’aurais dit. Comme on dit en wolof, ce n’est pas mon tchèp, ce n’est pas mon business. Moi je suis un analyste. Mon engagement se limite à la plume et à la parole. Mes idées, vous les connaissez, je les exprime publiquement. J’ai écrit un papier sur la guerre du Liban pour dire que j’étais contre. Sur l’Afrique, je m’exprime pratiquement tous les huit jours. J’ai été éditorialiste à “Jeune Afrique” pendant 15 ans. Ça m’a valu d’être banni dans un certain nombre de pays. Je n’ai pas été en Mauritanie pendant 17 ans, et j’y suis retourné il y a quelques mois. J’ai été accueilli en démocrate. Ce type d’action que vous décrivez, ce n’est pas mon fort, je ne connais rien là-dedans. Et je m’interdis d’entreprendre ce type de chose, même si j’ai mon opinion sur la CEDEAO.
Et quelle est votre opinion sur la CEDEAO ?
A.B : Franchement, la CEDEAO est mal placée pour donner des leçons de démocratie, quand on sait qu’au Togo, il a suffi d’un coup de fil de l’Elysée pour renverser la tendance et embarquer ce pays dans un processus électoral abracadabrant. Je l’ai dit dans une émission et je le répète : franchement Tandja ferait mieux de balayer devant sa porte! Son pays est truffé de corruption et de scandales ! Il ne va pas quand même pas s’occuper de la Côte d’Ivoire ! C’est aux Ivoiriens de s’occuper de leur pays, quand même !
Sincèrement quelle est votre opinion sur la manière dont votre ami gère la crise ivoirienne depuis le 19 septembre 2002 ? Êtes-vous satisfait de sa gouvernance?
A.B : Monsieur Touré, je vous donnerai mon opinion au cours d’un autre entretien. Pour le moment ce qui m’importe, c’est que vous fassiez part de ma mise au point. C’est important, et je connais la presse, ne la jetez pas quelque part, dans un petit coin du journal. Parce que, quand même, vous me voyez, moi en train d’aller dire à ATT : viens, on va aller faire un petit deal avec Gbagbo. Je suis hostile à toute forme d’interventionnisme.
On ne pourrait pas appeler cela de l’interventionnisme, mais un coup de main à un ami en difficulté ?
A.B : La question ne se pose pas en ces termes. Coup de main ou pas, je ne mêle pas des questions de politiques nationales. Je vous répète : je suis un analyste politique. Engagé, incontestablement, en faveur de la démocratie en Afrique, bien avant l’arrivée de Gbagbo au pouvoir. Je suis l’un de ceux qui ont été jusqu’à pourfendre la fin du régime de Bédié. Mais me mettre dans des tractations, non. Cette sphère appartient aux dirigeants, qui font ce qu’ils veulent. À part cela, Gbagbo est un ami, un vrai ami. Et je vais plus loin : politiquement, je le soutiens. Je le soutiens, mais je ne vais pas aller me mêler des histoires de chef d’Etat à chef d’Etat. Je ne l’ai jamais fait et je ne le ferai jamais.
Vous pensez comme le camp présidentiel ivoirien que la France , notamment Jacques Chirac cherche à renverser Gbagbo ?
A.B : Je vais vous répondre, sans me dérober. (…). Je suis un ami de Laurent Gbagbo, c’est clair et net. Là-dessus il n’y a pas de débat. Je suis aussi un ami, même plus lointain de certains acteurs politiques ivoiriens, qui ne sont pas nécessairement de la mouvance politique de Gbagbo.
Quels acteurs politiques, par exemple ?
A.B : Je n’en sais rien moi. Je connais plein de gens en Côte d’Ivoire. J’étais copain de Ouattara, moi. J’ai déjeuné chez lui. Où est le problème ? Mais il faut être clair : j’estime que dans le cadre actuel, il y a des choses qu’aucun Ivoirien ne peut accepter, qu’aucun observateur de la vie politique, en tout cas ceux qui cherchent à comprendre un petit peu, ne peut accepter que l’avenir politique de ce pays soit tracé à l’extérieur ou par l’extérieur. Ça n’a pas de sens!
Ceci étant dit, êtes-vous persuadé comme la plupart des partisans du chef de l’Etat que la politique actuelle de la France est tournée vers le renversement de Gbagbo ?
A.B : Avant de vous dire qu’elle est tournée vers le renversement de Gbagbo ou pas, je tiens à vous dire que la politique actuelle de coopération est à bannir. Je suis contre ! Elle est faite d’interférences, d’interventions, d’ingérences inacceptables. Tout le monde sait que dans le cas du Togo, la CEDEAO a été purement et simplement influencée par le gouvernement français. C’est clair ! Je le dis encore une fois, j’estime que la politique actuelle de la France en Côte d’Ivoire n’est pas une politique acceptable. Je ne parle pas de favoriser ou de renverser, mais je dis : qu’on cesse de personnaliser ces rapports.
Cette politique française en Afrique, elle est bâtie sur des rapports personnels. Elle comporte une touche trop personnalisée qui conduit, bien souvent, à des dérives. Vous êtes peut-être un peu trop jeune, pour les avoirs lus, mais j’ai fait des éditoriaux dans “Jeune Afrique” sur les dérives de la politique française en Afrique.
Quel jugement portez-vous sur la manière dont votre ami, Laurent Gbagbo gère la crise politique qui secoue le pays depuis quatre ans ?
A.B : Avant d’être mon ami, il est aujourd’hui votre président, le président des Ivoiriens. Bien ou mal gérer la crise, ce n’est pas mon problème. Ce que je sais simplement c’est que depuis quatre ans, on essaye de passer par des voies qui ne sont pas légales. Je suis pour le règlement de cette crise par les voies les plus classiques, qui sont d’abord les voies de la diplomatie africaine. Et je reste convaincu d’une chose, c’est que les accords de Marcoussis ont été une mauvaise chose.
Visiblement, la situation actuelle n’est que le fruit de l’échec des accords de Marcoussis. Marcoussis a échoué, personne ne veut en convenir et on continue à répéter qu’il faut appliquer cet accord. Je pense qu’il est temps que les Ivoiriens se mettent ensemble pour dire entre eux ce qu’il convient de faire.
Interview réalisée par Moussa TOURE * Directeur de publication du journal ivoirien «Nord-Sud»
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