Des inconditionnels vrais ou autoproclamés du président de la République, dont la réputation est fortement écornée par « ATTcratie, la promotion d’un homme et de son clan » (Ed. L’Harmattan), seul Abdoulaye Garba Tapo, ancien ministre de la Justice, accusé plus à tort qu’à raison, a daigné rompre le silence dans une interview à notre confrère « Le Challenger » n°302 du lundi 2 octobre 2006.
Lorsque le régime du président Abdoulaye Wade a été mis en accusation par le journaliste Abdou Latif Coulibaly dans son ouvrage intitulé : « Un opposant au pouvoir : l’alternance piégée », des voix se sont élevées dans l’entourage du chef de l’Etat sénégalais pour fustiger certaines contrevérités contenues dans le livre. Mieux, sous la houlette du Pr. Iba Der Thiam, un comité de rédaction a vite fait de mettre sur le marché un « Livre blanc » qui a eu la vertu de contrebalancer certains passages du livre-pamphlet du journaliste Coulibaly.
Hélas ! Le Sénégal n’est pas le Mali. Car, alors même que la République et son chef sont cruellement attaqués dans leur dignité, ceux qui ne manquent jamais une occasion de se réclamer d’ATT et de son ambition pour le Mali observent un silence… coupable. C’est à croire que certaines personnes, dont les noms ne sont pas encore cités, craignant de se voir traîner dans la fange du déshonneur en organisant la défense, ont abandonné la première institution du Mali à son triste sort.
C’est cela l’analyse de l’éphémère ministre de la Justice, relevé de ses fonctions au moment où il s’apprêtait à donner un coup de pied salutaire dans la fourmilière de la justice malienne. Peut-on réellement accuser le président de la République de régionalisme quand il se sépare d’un de ses frères du terroir au grand dam des justiciables maliens ?
Me Tapo, en demandant à ceux qui sont peu ou prou accusés de se défendre et par conséquent de laver l’honneur souillé de la République, voudrait peut-être qu’ils se servent d’exemples de ce genre pour atténuer les conséquences de l’« ATTcratie » dans l’opinion.
« Beaucoup de ceux qui auraient dû aujourd’hui monter en première ligne et qui avaient si souvent l’habitude de le faire, se terrent curieusement comme pétrifiés, comme s’ils ne se sentent pas directement concernés et comme pour dire au président de la République débrouillez-vous… on est là seulement pour vous applaudir dans les moments de vaches grasses », regrette l’ancien garde des Sceaux.
Mais au train où vont les choses, il faut craindre que la suggestion du brillant avocat, sacrifié sur l’autel d’intérêts sordides, soit balayée d’un revers de main. En effet, c’est maintenant presque une coutume au Mali : chaque fois que des autorités sont interpellées sur des sujets graves, elles répondent par un silence méprisant. En réalité, de nombreuses affaires étalées dans l’« ATTcratie » avaient déjà fait l’objet de révélations dans la presse. Mais, maintes et maintes fois, les mis en cause s’en sont tirés à bon compte, les tenants du pouvoir ignorant superbement les supplications du peuple.
Indifférences
Il en est ainsi des exonérations céréalières. Pendant que le chef de l’Etat renonce à des milliards de droits pour le Trésor public afin de soulager les populations éprouvées par les difficultés dues à une faible pluviométrie, des gens haut perchés s’adonnent à toutes sortes de combines : en détournant en leur faveur les objectifs de la décision. Non seulement l’Etat perd de l’argent, mais les Maliens souffrent de plus bel dans la quête de leur traditionnel bol de riz. Les responsables de cette prédation sont connus. L’opinion a beau protester, notamment à travers des articles de presse, ils continuent pourtant de parader.
Cette affaire et bien d’autres (coulage d’hydrocarbures, gestion de l’Office du Niger…) démontrent que l’impunité, pour certaines catégories de Maliens, est aujourd’hui un acquis. Pourquoi le président de la République dont on dit qu’il est désintéressé s’accommode de la présence à ses côtés d’hommes qui décident de se servir et non de servir ? A-t-on besoin de défendre un chef de l’Etat qui refuse de sanctionner ses proches collaborateurs présumés coupables d’actes répréhensibles ? Si le président de la République se garde de faire du clientélisme, du népotisme… peut-il jurer de la fidélité de ses collaborateurs sur ses principes ?
ATT paraît bien seul aujourd’hui, car si la plupart de ses partisans sont prêts à applaudir ses belles œuvres, peu se mouilleraient sincèrement pour lui dans le rétablissement de la vérité.
Tout en dénonçant des passages de l’ouvrage dont certains méritent le mépris, Me Tapo espère que l’« ATTcratie » puisse provoquer « l’électrochoc chez le président de la République lui-même et générer un mouvement que tout le monde attend depuis quatre ans, c’est-à-dire le respect d’une promesse électorale à laquelle tiennent beaucoup de ses électeurs, ouvrir une nouvelle ère de gouvernance d’où serait banni le népotisme et qui verrait les rouages de l’Etat, des plus hautes aux plus basses structures, confiées à des mains capables, désintéressées et déterminées, animées principalement par le sens de l’intérêt général, seule façon de ramener la confiance des Maliens envers le pouvoir ».
A bien des égards ceci pourrait ressembler aux douze travaux d’Hercule dans le Mali d’aujourd’hui.
A. M. Thiam
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