Avocat, homme politique et écrivain, le président du Rassemblement National pour la Démocratie, Me Abdoulaye Garba Tapo, arrive à concilier ces trois amours. C’est justement après la sortie de son dernier roman "Faantankin", qu’il a bien voulu accepter de se confier à l’Indépendant. Même en tant que signataire de la plate-forme pro-ATT pour l’élection présidentielle de 2007 et natif de Mopti comme le président, l’homme a ses vérités à dire. Et il a tenu à les dire en parlant de l’avenir politique immédiat du Mali.
L’Indépendant : Faantankin est votre second roman, de quoi parle-t-il ?
Me. Abdoulaye Garba Tapo: Mon premier roman, L’héritage empoisonné, publié en janvier 2004 à l’Harmattan, Paris, parlait du lévirat, et des conflits entre tradition et modernisme. Cette fois, c’est un tout autre registre. Faantankin, comme ce nom l’indique si bien en bambara, traite de la vie dans une cité pauvre, du quotidien de ses habitants, leurs joies et peines, sans verser dans aucun misérabilisme. Les habitants de Faantankin, malgré la dureté implacable de cette pauvreté qui les happe, essaient de vivre normalement, de s’organiser, et ils y parviennent si bien qu’ils donnent l’impression de vivre une vie normale. Le livre se termine par une note d’espoir, quand les habitants prennent conscience que la solution à leurs malheurs se trouve entre leurs propres mains, et qu’il leur appartient de se battre collectivement contre le mauvais sort et de ménager à leurs enfants une vie bien plus souriante.
L’Indép.: Comment conciliez vous votre carrière d’avocat et celle d’écrivain ?
Me A.G.T : C’est une situation qui ne pose aucun problème. Ces deux activités peuvent même aller de pair, car dans l’avocature aussi, on écrit beaucoup, notamment avec les conclusions. L’écriture se concilie avec tout, même si elle nécessite une forte concentration et vous occupe tellement l’esprit. Seulement il faut vraiment aimer, car c’est une activité ingrate qui exige un très grand sacrifice, de temps surtout, et qui ne vous procurera pas des gains faciles. Vous vous en tirez cependant avec une satisfaction morale extraordinaire, de la fierté et de l’orgueil quand vous avez devant vous le fruit de longues nuits d’insomnie, et l’impression que vous avez peut-être produit une œuvre qui survivra même à votre descendance. Plus que tous les éloges, c’est ce sentiment de vous être incrusté dans la durée qui est la plus belle des récompenses.
L’Indép. : Vous avez été un éphémère ministre de la Justice. Qu’est ce que vous avez réussi et qu’est ce que vous auriez préféré faire ?
Me A.G.T : Pourquoi éphémère (rires) ? Je l’ai été quand même pendant 18 mois, ce qui n’est pas aussi court que ça. Ce qui est important, ce n’est pas le temps passé dans une telle fonction, mais plutôt ce qu’on a eu réellement envie de faire, et la détermination que l’on y met, sans laquelle même si vous restez 10 ans, votre action n’aura aucune portée véritable. Je suis très mal placé pour apprécier ce que j’ai pu réussir, ou pas, et sur ce plan je laisse plutôt l’opinion juger, et les acteurs du monde judiciaire aussi. J’ai essayé seulement de créer un élan, semblable d’ailleurs à la recette que j’essaie d’inculquer aux habitants de Faantankin, qui visait à faire comprendre à la famille judiciaire que notre destin est entre nos seules mains, et que c’était à nous, surtout à ceux placés à des niveaux de responsabilité, de nous assumer pour que cette mauvaise réputation disparaisse et que nous puissions trouver notre vraie place dans la société et répondre aux attentes placées en nous. Je n’ai pas eu le temps de juger si mon appel a été entendu ou pas par les destinataires, mais si je me fie à mes relations avec la plupart des membres du corps judiciaire, tout aussi bonnes, sinon mêmes meilleures maintenant qu’au temps où j’étais ministre, je n’ai vraiment pas l’impression d’avoir prêché dans le vide, malgré les incompréhensions que mon discours, inhabituel dans la bouche d’un Ministre de la Justice, ont pu provoquer à l’époque. Je ne pense donc pas avoir perdu mon temps. Je suis persuadé qu’au fil du temps la justice redeviendra ce corps respectable qu’il a été, et je sais que la plupart de ses acteurs sont conscients de la nécessité de cette remise en cause, et ils l’évoquent ouvertement à toutes les occasions. Peut-être que mon discours est venu un peu trop tôt.
L’Indép. : Qu’est ce qui explique la présence de votre parti, le RND, à l’ADP ?
Me A.G.T : L’ADP est peut-être notre destination naturelle avec tous les liens que nous sommes supposés avoir avec celui pour le soutien auquel ce groupement a été mis sur pied. Nous sommes de tout temps, bien avant maintenant, parmi les plus anciens soutiens au Président ATT. Toutes ces raisons font que notre présence à l’ADP ne peut vraiment constituer une surprise. Dès les balbutiements de ce mouvement, il y a bientôt deux ans, nous sommes parmi les premiers à qui il a été fait appel pour réfléchir et participer à sa mise sur pied.
L’Indép. : Vous avez décidé de soutenir ATT contre quoi ?
Me A.G.T : Contre rien, je vous assure. Nous pensons avoir eu une attitude toujours cohérente sur ce plan. Mais cela ne nous a pas valu toujours que des avantages, mais au moins nous pouvons nous regarder nous mêmes en face. J’ai failli un jour me faire lyncher lorsque j’ai rétorqué lors de la formation d’un gouvernement à laquelle nous devrions éventuellement prendre part que nous étions disponibles, mais pas demandeurs. Notre manière de voir n’a pas changé. Nous ne nous compromettrons jamais pour aucun avantage, de quelque nature qu’il puisse être. Nous ferons toujours la politique à notre manière, et toute collaboration se fera dans le respect mutuel, selon nos convictions, sans avoir à baisser les yeux devant qui que ce soit, ni surtout à jouer aux flagorneurs. Le peu qu’on obtiendra dans de telles conditions nous suffira largement.
L’Indép. : Est-ce que cette décision est partagée par tout le bureau du RND ?
Me A.G.T : Certainement, et par l’ensemble de nos cadres et militants. Nous n’avons entendu à ce jour aucune voix discordante. Nous ne sommes pas le genre de parti changeant, comme une girouette, avec le vent. Nous l’avons soutenu bien avant que sa candidature ne soit annoncée à l’époque. Nous continuerons à le soutenir tant que nous penserons qu’il fait l’affaire du Mali.
L’Indép. : L’avenir du RND ?
Me A.G.T : Nous le voyons souriant. Le RND est à nos yeux un parti fort, même s’il ne figure pas parmi les plus gros. Nous avons l’avantage par rapport à beaucoup d’avoir la stabilité et une image qui est loin d’être négative aux yeux de l’opinion. Pourquoi d’ailleurs je me suis particulièrement réjoui du récent sondage d’Info Matin publié le lundi 20 Novembre 2006 qui classait le RND parmi les 10 partis les plus crédibles et les mieux vus. C’est quelque chose d’inattendu et qui fait toute notre fierté, eu égard à toutes les difficultés qui ont émaillé la vie de notre parti et les rudes coups que nous avons pris à des moments inattendus, et où ça pouvait faire très mal.
Plusieurs fois, nous avons frôlé la mort, et vous voyez que nous tenons toujours, à la grande surprise de tous les pronostics, notamment lorsque nous avons fait la une de la presse avec la démission supposée de 19 membres de la direction nationale sur 24. Tout le monde a pu voir avec quelle vitalité, nous avons surmonté cette situation. Et encore plus récemment, avec ma sortie du gouvernement à moins d’un mois des élections municipales, un coup qui aurait pu nous mettre hors course, et qui nous a vu, à la surprise générale arriver 11ème, avec des résultats honorables, même dans des zones comme Koutiala, Kayes où personne ne nous attendait.
Depuis lors, nous fonctionnons bien, avec des initiatives qui suscitent bien des interrogations sur nos soutiens cachés, alors que nous n’en n’avons pas et que nous n’avons l’habitude de solliciter l’aide de personne, ne comptant que sur nos moyens propres. Le RND n’a, je le rappelle, aucun cadre bien placé, nulle part dans l’administration, peut-être un ambassadeur, notre Secrétaire Général qui a été proposé à ce poste au temps d’Alpha Oumar Konaré, sous le mandat duquel toute la procédure de nomination a été engagée, et cela uniquement sur la base de son parcours personnel, et non pas de son appartenance politique. Cela ne nous amène nullement à baisser les bras ou à crier à l’injustice. Ce n’est pas dans nos habitudes de jouer à la victime.
Nous pouvons en réalité compter, malgré tout, sur des militants, surtout des jeunes, déterminés, dévoués à notre parti en raison de la confiance placée en sa direction, et qui acceptent toutes sortes de sacrifices, et c’est ce qui a permis à notre parti de survivre à tous ces coups du sort et de continuer à figurer en si bonne place dans l’opinion.
L’Indép. : Les perspectives pour le Mali après ces élections ?
Me A.G.T : Je les souhaite radieuses, bien plus que celles que ce premier mandat a apportées à notre pays. Je pense que tout est peut-être question de priorités et celles sur lesquelles l’action du Président actuel a porté ne sont pas négligeables, avec des résultats appréciables, notamment en matière d’infrastructures, etc.…Mais je pense pouvoir me permettre de rappeler au Président ATT qu’il sera désormais face à son destin, car il ne pourra plus se permettre le moindre faux pas durant le mandat à venir, où il devra briller de tous bois s’il veut laisser dans les cœurs et les esprits une image semblable à celle dont il a héritée de son passage durant la transition. Je suis de ceux qui pensent d’ailleurs que ce retour au pouvoir ne devait paraître que comme une autre transition, quel qu’en fut la durée. Il devait servir à corriger les inévitables errements que la première expérience de la démocratie plurielle ne pouvait que générer, et en corriger les travers, bref permettre l’émergence d’un nouveau visage de la politique, plus crédible, et surtout l’émergence d’une nouvelle race de politiciens, plus soucieux de l’intérêt général, et coupés de ces traditions malsaines, telles que la courtisanerie, les basses flagorneries, une cupidité sans borne, et la transhumance qui honore moins ceux qui en bénéficient que le transhumant lui-même.
On espérait voir aussi disparaître des pratiques, telles que le népotisme et le clientélisme, la corruption qui semble atteindre des sommets endémiques, et l’émergence d’une gouvernance rigoureuse qui donnerait leurs chances aux fils les plus capables de ce pays, les plus honnêtes et les plus déterminés. Voilà tout ce que les Maliens attendaient et attendent encore de ce retour du Président ATT, et ce n’est ni honnête envers lui, ni même lui rendre service que de lui faire croire que ces objectifs sont atteints ou même en voie de l’être, avec tous ces bruits de casserole qui tournent autour de la plupart de ceux qui ont en main les destinées du pays, et qui gardent curieusement un profil tellement bas à l’heure où devraient redoubler les cris tapageurs auxquels la plupart d’entre eux nous avaient habitués quant à leur dévouement pour la cause du Président et celle du pays.
Nous espérons vraiment pour le Président de la République, s’il était réélu, que ce second mandat lui permette de montrer ce visage que tous ceux qui l’aiment sincèrement et ont cru en lui aimeraient voir, celui d’un homme déterminé et inflexible, peu porté à la complaisance, et qui n’aura en vue que l’intérêt de ce pays, et qui comprendra qu’à lui tout seul, une hirondelle ne faisant pas le printemps, il ne pourra jamais atteindre les objectifs qu’il s’est fixés pour le pays, et qu’au rythme où les choses vont, ce sera lui qui s’en tirera le plus mal, avec une image écornée et ternie, malgré ce que chantent les laudateurs, ceux là mêmes qui seront prompts à s’en servir pour prétexte pour aller offrir leurs services à ses successeurs. Ceux qui clament qu’ATT est une chance pour le Mali, quelles que soient parfois leur obscure motivation, n’ont d’ailleurs pas tort, car jamais aucun Chef d’Etat n’a eu et n’a autant de cartes en main pour faire avancer le Mali, pour s’attaquer à des chantiers vitaux tels que l’éducation où il y a tant à faire, et où les mesures les plus courageuses devraient être prises sans tarder pour sauver notre école aujourd’hui dans un état lamentable, et aussi la bonne gouvernance, une lutte sans merci contre le laxisme, l’impunité et tous les errements que certains comportements irresponsables engendrent dans ce pays. C’est en s’attaquant à ces chantiers qu’il donnera la pleine mesure de ses capacités d’homme d’Etat, à l’image de ces Chefs d’Etat qui par leur inflexibilité, leur détermination sans failles, ont hissé leur pays à des sommets enviables et rendu confiance en l’avenir à leurs sujets. Voilà ce que nous attendons du pouvoir ATT à l’orée de l’après élections présidentielles de 2007.
A partir de là ATT pourra sans doute s’engouffrer pour de bon par cette grande porte dans l’histoire malienne que lui ont déjà largement ouverte, avec une verve sans pareille, les courtisans et laudateurs qui commencent de plus en plus à faire penser à cette fameuse fable de la Fontaine où on voit que finalement celui qui profite souvent le plus de la basse flatterie, c’est plus le flatteur que la victime elle-même. Les flatteurs, plutôt les courtisans puisque nous sommes dans un contexte politique, ont cette étonnante capacité d’adaptation qui fait que, une fois repus et ayant atteint leurs objectifs, ils sont plus occupés à sauvegarder les gains de leur courtisanerie et leur nouvelle fortune qu’à penser à la renommée de leur bienfaiteur, ni même à voler à son secours en cas de difficultés.
On l’a vu récemment avec le Sphinx où pas un de ceux qui avaient l’habitude tonitruante de clamer leur fidélité et leur dévouement à ATT n’ont osé lever le petit doigt pour le défendre ouvertement à un moment où jamais il n’a éprouvé le besoin de se sentir appuyé qu’à celui-là. On les as vu curieusement ressortir timidement la tête lorsque le Président est revenu de sa tournée américaine avec toute cette pluie de milliards qui font tant saliver ici, comme s’ils n’étaient prêts à partager avec lui que ces succès acquis à la faveur de son aura.
Propos recueillis par Fatoumata Mah THIAM DOUMBIA
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