«Un militaire, même déguisé en civil, est une menace pour la démocratie, c’est un recul». Cette boutade est d’Alpha Oumar Konaré qui a guidé les premiers pas du Mali démocratique. Paradoxe : c’est lui-même qui a manœuvré à la fin de son second mandat pour faciliter le retour aux commandes de la République du Général Amadou Toumani Touré, alias ATT, admis quelques mois auparavant à une retraite anticipée en violation des textes. Quelques exceptions à cette assertion de l’ex-président Konaré existent en Afrique où les hommes en uniforme font irruption sur la scène publique. Au Ghana, le capitaine d’aviation John Jerry Rawlings, un officier patriote, révolutionnaire et visionnaire, a permis de propulser ce pays anglophone de l’Afrique de l’ouest au rang des démocraties exemplaires. Aujourd’hui, John Jerry vit tranquillement dans son Ghana natal et est perçu à travers la planète comme une référence, voire une source d’inspiration pour la nouvelle génération.
De Moussa Traoré à la bande d’Amadou Haya Sanogo en passant par ATT, le Mali n’a pas eu un officier putschiste qui a l’envergure de Rawlings. Dans ce pays où certains continuent de se glorifier des faits d’armes de leurs ancêtres, l’histoire a démontré que la gestion des affaires publiques par les militaires a toujours conduit le pays vers un désastre national. Après 23 ans de dictature qualifiée de « 23 ans de mensonge » par Feu Amadou Seydou Traoré dit Amadou Djincoroni (Paix à son âme), le Général Moussa Traoré est balayé par un coup d’Etat suite à un soulèvement populaire dans un véritable bain de sang. On n’a pas besoin de rappeler l’état de la nation après la gestion hasardeuse et laxiste des affaires publiques par le Général ATT. « Le bilan de sa gestion du pouvoir fut une calamité pour le Mali : mauvaise gouvernance, gestion patrimoniale du pouvoir, gabegie, corruption généralisée, impunité, discrédit général de l’État, affairisme politique, faillite morale… Il fabriqua à plein régime toute une caste de généraux et d’officiers supérieurs tout aussi voraces qu’incompétents. Faute de bataillons, de compagnies, de brigades et de corps d’armée à commander, il multiplia des postes au sein de l’appareil administratif de l’État en guise de prébende. Presqu’à l’improviste, l’administration du pays fut militarisée avec la complicité de la classe politique dans sa grande majorité », écrit Pr Issa N’Diaye dans une contribution intitulée « Mali : silence on démocratise ! » parue dans « Recherches Internationales » n°97 octobre-décembre 2013.
Le pourrissement de la situation était tel que les mutins de Kati ramassaient le pouvoir par terre alors que les partenaires du Mali vantaient une démocratie exemplaire. Ces jeunes soldats se sont révélés être une bande de petits brigands qui s’est engagée dans une course effrénée pour l’enrichissement personnel. Le capitaine Amadou Haya Sanogo et ses compagnons, dont certains sont aujourd’hui rattrapés par leurs dérives et règlements de comptes, ont non seulement craché sur leurs galons de militaires mais aussi jeté l’opprobre sur les forces de défense et de sécurité du Mali. Ils se sont attribué des grades au mépris des règles militaires. Ils se sont jetés comme une meute sur les biens publics et privés. Ils se comparaient à Charles De Gaule, oubliant que n’est pas De Gaule qui veut. Et maintenant, ils veulent avoir la jouissance pleine et entière du pouvoir politique alors qu’ils ont été formés par le pays pour assurer sa défense à travers le métier des armes.
Soundiata Kéïta, au lendemain de sa victoire sur le roi du Sosso, Soumaoro Kanté, disait ceci : « Que ceux qui font la guerre fassent la guerre, que ceux qui font du commerce fassent le commerce, que ceux qui pratiquent l’agriculture pratiquent l’agriculture, ainsi le Mandé sera agréable à vivre, le Mandé sera prospère ».
En ces moments d’incertitudes et d’angoisses, faisons extrêmement attention.
Par Chiaka Doumbia