Courage, le mot semble étonnant lorsqu’il est adressé au juge. Car il revient à celui-ci d’assurer aux citoyens la protection de leurs droits fondamentaux, de rendre des décisions conformément au droit c’est-à-dire à la loi chaque fois qu’il est appelé à se prononcer. Dans un Etat de droit, il garantit l’effectivité de la démocratie. Un des moments forts de la démocratie dans un Etat républicain est le choix dont dispose le peuple de désigner librement par le vote ses gouvernants. A cet effet, les élections marquent naturellement un temps fort de la démocratie même si elles sont en Afrique des périodes difficiles et souvent sources de crise institutionnelle. Cette liberté d’expression la plus sûre et la meilleure garantie pour le peuple de placer à la commande du pouvoir les hommes et femmes de son choix est devenu un exercice de formalité. L’issue étant connue d’avance.
La célèbre formule, suivant laquelle « en Afrique, on n’organise pas une élection pour la perdre », illustre bien ce constat qui a fini par avoir raison de l’espoir des électeurs de connaître un jour la traduction par les urnes de la réalité de leur choix. Voilà pourquoi ce grand appel de l’exercice démocratique, à savoir le vote, est gangrené terriblement aujourd’hui par l’absentéisme. Ce comportement des électeurs s’explique et se justifie aussi par une désaffection liée aux causes suivantes : lassitude, désintérêt pur et simple pour la chose publique ou déception tout court. L’achat des voix, le bourrage des urnes et les fraudes de tout genre participent assurément à ce discrédit croissant du politique et de ce climat de crise de la démocratie représentative. Trouver une solution à l’absentéisme exige au contraire l’exemplarité du processus électoral. Or, la manière dont aujourd’hui se présentent les choses, est plus qu’inquiétante.
En donnant à la rentrée judiciaire le thème « Le juge et le processus électoral », il convient de s’arrêter un instant sur le rôle de ce dernier. L’importance de son rôle exige qu’on lui offre les moyens de garantir, avec fermeté, la sincérité des futurs scrutins.
Au regard des statistiques, une seule fois dans l’histoire de notre jeune démocratie (13 avril 1997) la cour constitutionnelle a annulé une élection législative sur l’ensemble du territoire. Ce courage de notre jeune institution, trois ans après son installation démontre que le juge malien, quand le politique lui laisse travailler, assure le respect de la loi électorale. Qu’il sanctionnera avec fermeté les innombrables manquements et comportements répréhensibles des candidats. L’habilitation textuelle, fondement de l’interventionnisme du juge dans le processus électoral, fait ressortir les caractéristiques générales du contentieux électoral. Et fait intervenir le juge civil, le juge administratif, le juge constitutionnel voire le juge pénal selon qu’il est question successivement de l’inscription sur la liste électorale, du contentieux des élections locales et nationales ou de la répression des délits électoraux. En conséquence, le partage des compétences des juges en matière électorale doit conduire à offrir au citoyen la légitimité de son choix.
Cette place qu’occupe le juge dans le processus électoral semble s’enraciner dans la Constitution elle-même dès lors que l’article 86 dispose « La Cour Constitutionnelle statue obligatoirement sur la régularité des élections présidentielles, législatives et des opérations de référendum dont elle proclame les résultats. » Cette disposition confère au juge constitutionnel par exemple la compétence de recevoir, d’arrêter la liste des candidats après les opérations de vérifications. Il peut également, invalider un résultat si celui-ci est entaché d’irrégularités contraires aux pratiques édictées par la loi électorale. Ce pouvoir du juge doit être tempéré, limité car selon Louis Favoreu et Loïc Philip, « Aucune élection n’est totalement régulière ». A ce titre, si le juge de l’élection doit être juge des irrégularités, il serait amené à annuler toutes les élections, or la pratique révèle que lorsqu’il est saisi d’une contestation liée aux résultats, sa décision doit être soit en une annulation, soit en une réformation des résultats. La leçon aujourd’hui tirée de la crise post électorale ivoirienne doit susciter une grande prudence du juge malien. Son statut d’indépendance lui impose de garantir le choix des électeurs et le cas échéant, lorsqu’il estime les effets des irrégularités entachés le scrutin, sa réponse reste l’annulation. On comprend ainsi que le juge électoral « n’est pas juge de la régularité de l’élection. Il est seulement juge de la sincérité des résultats ». Et par là, il faut comprendre que la mission qui lui est confiée consiste à garantir que le résultat tel qu’il est proclamé soit conforme à la volonté du corps électoral.
La configuration du paysage politique, le pouvoir de nomination, le contexte bref l’environnement influencent beaucoup les décisions des juges électoraux rendant la tâche de ces derniers difficile. Faute de pouvoir garantir la parfaite régularité d’une élection, le juge doit avant tout s’assurer que les résultats du scrutin, tels qu’ils sont proclamés, reflètent fidèlement la volonté des électeurs.
C’est pourquoi la régularité des opérations électorales n’est pas une fin en soi mais seulement un critère permettant d’apprécier la sincérité globale d’une élection. Il importe surtout pour le juge d’examiner si, les irrégularités ayant affecté l’élection ont pu modifier les résultats du scrutin. De ce fait, le comportement illicite des candidats, les fraudes, les infractions à la loi électorale donneront donc lieu à l’annulation de l’élection à la seule condition qu’elles aient pu par leur gravité, leur répétition ou leur nature, porter atteinte à la liberté et la sincérité du scrutin ; et donc à la liberté de choix des électeurs. Organiser les élections transparentes, crédibles suppose que le juge dans toute sa dimension dispose de moyens suffisants pour exercer sa fonction. Que l’exercice de cette fonction est dans son effectivité la garantie même de l’état de droit.
Ce rôle du juge n’est pas à minimiser et doit être relativisé car, ne signifie pas non plus qu’il est le responsable des manipulations électorales. Les conclusions du commissaire du gouvernement TOUVET aide à comprendre son attitude vis-à-vis du processus électoral « A ceux qui n’y sont pas familiers, et à l’intention surtout de ceux qui nous lirons au-delà de ce prétoire, la méthode réaliste du juge électoral. Il ne s’attache pas à rechercher et sanctionner les irrégularités (sinon il devrait annuler de nombreuses élections entachées de petites irrégularités), mais seulement à étudier si le résultat des opérations électorales a pu être modifié ou mis en doute par des irrégularités qui en ont altéré la sincérité. Vous regardez avec attention, dans chaque cas, si le résultat reflète sincèrement la volonté des électeurs. Ce résultat risque donc d’être d’autant plus facilement altéré que l’écart de voix entre les candidats est faible ».
Le juge au bout de sa fonction offre la protection et l’espoir. Dans un Etat républicain et démocratique, il garantit l’alternance. Le Mali est notre maison à tous ; si elle brûle, nous coulons tous. Rien que pour cette raison, nous devons accompagner les juges pleinement dans l’exercice de leur compétence. L’Afrique a suffisamment donné d’exemples pour qu’on ne puisse pas, nous, commettre les mêmes erreurs.
DE SOULEYMANE
Enseignant-chercheur assistant en droit public, FSJP