Les manifestations consécutives à l’adoption par le parlement du Code de la famille et des personnes, les sorties véhémentes de certains responsables d’association religieuse et la lamentable reculade du gouvernement ont fait s’instaurer un véritable marché de dupes entre certains acteurs politiques et les associations islamistes. Qui se joue de qui ?
En aout 2009, le chef de l’Etat a renoncé à promulguer le projet de loi portant Code de la famille et des personnes pourtant adopté par l’Assemblée nationale. Amadou Toumani Touré a expliqué et justifié son geste comme devant concourir à l’apaisement du climat social et à la concorde dans le pays. Nombreux observateurs ont donné raison au président de la République tout en fustigeant le déficit de communication, de diffusion et d’explication qui a entouré l’élaboration de ce texte. Mais cette faiblesse des plus hautes autorités, plus quelques actes isolés mais significatifs, ont eu au moins pour conséquences de fonder deux jugements: certains responsables d’associations islamiques ont jugé qu’elles avaient enfin une certaine capacité d’infléchir ou d’influer sur les questions d’intérêt national ; certains responsables de partis politiques ont jugé qu’ils peuvent utiliser ces associations pour mobiliser l’électorat en leur faveur.
Pour la relecture du nouveau Code, le mouvement islamique, notamment le Haut Conseil islamique (HCI), a tenu à être présent pendant toute la chaine. Aux dires de certains, le toilettage du texte, article par article, ne s’est fait que par les islamistes. Toujours est-il qu’une version relue a été présentée pour approbation au leader d’une communauté religieuse, dans le Sahel occidental. Les mêmes sources indiquent que le président de l’Assemblée nationale, en course pour la conquête de Koulouba, a tenu à ce que le projet revu et corrigé soit soumis à l’appréciation de ce leader, et que pour ce faire, il a délégué deux de ses proches collaborateurs. Quant à Ibrahim Boubacar Kéita, un autre candidat à la présidentielle de 2012, personne n’ignore tous les efforts qu’il déploie, depuis quelques temps, pour se rapprocher de certains dirigeants du HCI. Récemment, Hamed Diane Séméga, chef d’un parti qui brigue la présidentielle, était à Nioro où il aurait échoué à rallié le Cherif, chef de la confrérie hamalliste, à la cause du candidat de son parti. Le cas le plus illustratif est celui de Mountaga Tall, un autre qui rêve de Koulouba. Le président du CNID est un fin connaisseur du Coran et de la religion islamique, qu’il connait plus et mieux que la plupart de tous islamistes qui s’excitent. Il est un des premiers, sinon le premier, à avoir soulevé la question de la légalisation du mariage religieux. En outre, il a fait plusieurs suggestions, propositions ou idées d’avant-projets de lois allant dans le sens d’une meilleure implantation et connaissance de la religion musulmane. Pourtant, en aout 2009, il a voté favorablement le projet de loi portant Code de la famille et des personnes. Ce qui donne à penser que, selon lui, le texte rejeté n’a rien de dangereux pour une religion qu’il ne cesse de défendre.
Alors que penser de tous ces hommes politiques qui courent derrière les associations et organisations islamiques sinon qu’ils comptent sur elles pour se faire élire prochainement. Pourquoi, dans le même temps, les responsables de ces associations et organisations déroulent le tapis rouge devant leurs hôtes d’un jour, si ce n’est pas parce qu’ils sont sûrs de pouvoir les faire gagner ?
Mais à l’analyse, aucun de ces deux jugements ne tient la route. Les associations islamiques croient qu’elles peuvent élire un candidat. Mais elles sont loin d’avoir le nombre de militants qu’elles revendiquent et d’être suffisamment organisées pour réussir une mobilisation électorale. Remplir les stades Omnisports, à Medina Coura, pour des prêches ou du 26 mars, à Yirimadio, pour des contestations socioreligieuses n’est rien à côté d’une campagne électorale au cours de laquelle il faut convaincre l’électeur de voter pour un homme. En outre, les responsables de ces associations et organisations sont trop enclins à manger à plusieurs râteliers pour s’entendre sur un seul et même candidat. De toutes les manières, ils reçoivent tous les candidats par le même cérémonial.
D’autre part, même si les candidats ne doivent pas négliger leur apport, ils auraient tort de ne compter que sur eux.
Il est donc temps pour les unes et les autres de mettre un terme à ce marché de dupes qui les empêchent de prendre part, efficacement et positivement, aux vrais débats. Quant au peuple, qui est le seul en vérité à pouvoir faire élire qui il veut, il est heureusement tenu à l’écart des marchandages douteux.
Cheick Tandina