Même s’il a toujours nié (publiquement) avoir un dauphin pour sa succession à la magistrature suprême en 2012, le président de la République Amadou Toumani Touré travaille bel et bien au sacre d’un des potentiels candidats. En voulant trop maintenir dans la pénombre son dauphin, ATT a fini par exposer au regard indiscret des observateurs de la scène politique la silhouette de Modibo Sidibé. Explications.
Les experts en science politique nous enseignent que les tenants du pouvoir ont ceci en commun qu’ils refusent tous, et à juste titre, de laisser trainer dans la rue le nom de leurs successeurs au risque de les exposer aux « agressions des adversaires potentiels.
Le président ATT a-t- il assimilé la leçon ? En tout cas, il s’y prend moins habilement que recommandé.
Esquivant intelligemment toute question relative à sa succession, on l’a vu plusieurs fois « jurer » la main sur le cœur qu’il n’a aucune préférence pour tel ou tel candidat. « La volonté du peuple malien sera la mienne » a-t-il répondu à un de nos confrères.
Ce principe qui consiste à faire l’innocent tout en étant l’unique et le vrai manœuvrier est malheureusement bien connu. Son prédécesseur Alpha O Konaré n’avait lui aussi pas de dauphin jusqu’à la veille du vote en 2002. La musique a horreur de la cacophonie disait un célèbre philosophe.
Le spectacle auquel ATT nous oblige à assister n’est rien d’autre qu’une façon de nous abrutir davantage.
Le surprenant remaniement ministériel avec pour particularité la nomination d’une femme à la tête du gouvernement s’inscrit en filigrane dans le même registre que les multiples diversions dont nous avons souffert pendant très longtemps.
D’abord, la décision tombe comme un couperet et donne lieu tout naturellement à des interprétations des plus crédibles aux plus farfelues (c’était bien l’effet recherché). Exemple : pour une banale lecture d’une liste de membres du gouvernement, l’ORTM envoie Salif Sanogo (Présentateur vedette) à Koulouba pour un one man show de très mauvais goût.
Tous les regards restent rivés sur les écrans télé où Salif s’efforce de faire croire que lui aussi va découvrir en même temps que le Malien lambda, la liste des membres du gouvernement. La diversion est en marche. Les Maliens oublient de si tôt l’affaire du « cargo de la cocaïne » qui faisait la manchette de toute la presse et se consacrent aux élucubrations savantes sur les raisons du départ de Modibo et ses hommes.
Tantôt, on apprend qu’il s’agit d’un limogeage, tantôt il ne s’agirait ni plus ni moins que d’une façon de mettre le « dauphin » à l’abri d’éventuels assauts virulents des adversaires potentiels prêts à tirer sur tout ce qui bougerait en direction de Koulouba dans la perspective 2012.
Comment donc croire à un limogeage alors que le discours du président lors de la cérémonie officielle de départ de Modibo et de son gouvernement était si élogieux au point d’arracher des larmes d’émotion au partant et à ses sbires.
Sous d’autres cieux on ne peut avoir droit à une telle « oraison » panégyrique sans avoir reçu une distinction proportionnelle.
Le second acte qui continue d’animer la chronique, est relatif au spectaculaire limogeage de l’ensemble des DAF des différents ministères.
La mesure est parfois perçue comme un cinglant désaveu au même gouvernement sortant.
Les commentaires de la presse locale et internationale sont sans équivoque. Il s’agit là pour ATT, de couper les vivres aux chapelles politiques auxquelles appartiendraient certains DAF et de préserver le trésor public des prédateurs les plus cupides. Si telle était l’intention du président ATT, la purge ne fait donc que commencer.
Or, au fond, rien ne prouve que le président ATT a des griefs contre son Premier ministre sortant et son équipe.
Pourquoi Modibo est le dauphin de ATT ?
A l’analyse et selon toute logique, le président sortant tient à la préservation des acquis de son PDES et à la continuité des actions initiées sous sa gouvernance.
En qui peut-il mieux placer sa confiance que les hommes et les femmes qui l’ont aidé à obtenir l’honorable bilan qui fait aujourd’hui la fierté de la majorité des Maliens ?
Parmi ces hommes, le mieux placé est sans conteste Modibo Sidibé qui cumule plusieurs années d’expérience de gouvernance faisant preuve d’une fidélité et d’une loyauté sans faille envers son mentor ATT.
En plus de vingt années d’amitié et de collaboration, les deux hommes ont presque tout partagé, tout vu, et tout connu du Mali, des Maliens et de leur réalité.
Quel drame se serait abattu sur ces deux hommes au point de rompre un si fort lien combien sacré ?
En tout cas, de mémoire de Malien, on ne relève presque rien de si scandaleux.
Même s’il ne s’est jamais prononcé publiquement sur sa candidature à l’élection présidentielle de 2012, Modibo ne cache plus ses intentions, pardon ses ambitions présidentielles même s’il n’est pas bavard.
D’ailleurs, selon de très crédibles indiscrétions, il aurait abordé le sujet avec son complice, pardon son patron ATT.
Ce dernier n’y aurait vu aucun inconvénient.
Peut-on croire que Modibo soit si dupe au point de s’engager dans une si périlleuse aventure sans l’accord préalable de celui à qui il doit presque tout en termes de privilège dans la haute administration ? Modibo connait bien ATT. Une telle « désobéissance » occasionne généralement d’impitoyables représailles. Et c’est bien connu.
Et si c’était le cas, Modibo aurait-il donc mis en péril ses galons ?
Pour escalader les marches de Koulouba, il ne suffirait pas à Modibo d’avoir de solides brodequins. Il lui faut aussi des hommes et des moyens.
En ce qui concerne les hommes, ATT semble les avoir déjà fournis mais discrètement, très discrètement.
Le maintien au gouvernement de certains ministres dont Hamed Diane Séméga, Hamane Niang, Tièmoko Sangaré et bien d’autres, correspond à un message facile à être décodé.
En réalité, le PDES que dirige Diane Séméga, semble déjà être « mis à la disposition » de Modibo Sidibé, histoire de mettre fin à un conflit interne qui menaçait de faire exploser la jeune formation politique. Malgré sa jeunesse, le PDES est aujourd’hui l’un des partis les plus riches en ressources financières et humaines pour prétendre être une force incontournable lors des compétitions électorales de 2012.
Il ne faut surtout pas se tromper sur les ambitions des « loups » du PDES : Il s’agit de récupérer le pouvoir central à travers un président élu avec le soutien du PDES. Et à ce niveau, le mieux placé parmi les plus habiles n’est autre que Modibo Sidibé.
En plus de cette force incontournable au service exclusif de ATT, il faut ajouter une forte « colonie d’abeilles » venant de la ruche.
A n’en pas douter, le débat actuel qu’animent les partisans de Modibo Sidibé au sein de l’ADEMA, n’aura d’autre aboutissement qu’une fracture. Une de plus, à la différence que cette fois-ci, l’acteur principal s’appelle Modibo Sidibé.
La nomination de Soumeylou Boubèye Maïga au gouvernement et le maintien de Tièmoko Sangaré constituent un savant stratagème visant à offrir à Modibo des « partisans » et pas des moindres au sein de l’ADEMA sur qui on pourrait compter au moment opportun.
La fronde engagée et dirigée par Zoumana Mory Coulibaly, dont les amitiés avec ATT ne sont plus un secret que pour les plus naïfs des observateurs, est un message clair.
Rappelons que ZMC fait partie des premiers cadres de l’ADEMA à manifester à visage découvert son soutien au candidat ATT en 2002. Entre les deux hommes, les rapports n’ont pas changé.
Qu’il l’admette ou pas, le dauphin lui-même pourra difficilement s’éloigner de ce landernau et croire à un quelconque soutien crédible.
Mais de toutes les façons, il revient à l’homme lui-même de s’approprier ce conseil du Président ATT presque traduit en ces termes « le pouvoir ne s’acquiert pas en se cloitrant au fond d’un bureau climatisé ». En clair, il s’agit pour Modibo de sortir enfin et de se frotter à la réalité du pays, au quotidien des Maliens (s’il ne se faisait pas déjà tard).
Ce message qui s’adressait principalement à Modibo avait il déjà été reçu ?
Il faut en douter.
Dans tous les cas, même si Modibo semble mieux incarner la continuité du PDES que d’autres, il est chimérique de croire que les portes de Koulouba s’ouvrent si facilement.
Il faut donc mouiller le maillot. Etre dauphin ne fera de personne un président pendant ces temps où les Maliens sont de plus en plus hostiles aux notions de candidats naturels, successeurs virtuels, et de dauphin.
Qu’il gagne ou qu’il échoue, Modibo est sans nul doute le dauphin du Président ATT.
Abdoulaye Niangaly