L’élection législative partielle en commune V du District de Bamako vient de rendre son verdict. C’est la candidate du Rassemblement pour le Mali (Rpm), parti présidentiel, Mme Togola Jacqueline Marie Nana, qui a été élue. Désormais, elle remplacera feue Oumou Simbo Keïta à l’Assemblée nationale. Selon les résultats provisoires proclamés par le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Abdoulaye Idrissa Maïga, cette ancienne ministre de l’Education nationale a été élue avec 12.788 voix soit 53,65% des suffrages exprimés contre 11.050 voix (46,35%) pour son adversaire de l’Union pour la République et la démocratie (Urd), Boubou Diallo.
Ce qu’il faut retenir de cette élection, c’est le taux de participation alarmant des électeurs (autour de 10%). Peu d’engouement pour le scrutin. Cela est dû au fait qu’au départ, nous avons échoué à donner un sens à la politique. On n’avait pas une culture politique. Le politicien devait être un nanti pour pourvoir aux besoins particuliers des populations, aux dépens de l’intérêt général, car on ne perçoit pas le développement comme un produit de la politique. Les hommes politiques en ont profité pour recruter des militants avec l’argent. En fait, c’est le système politique même qui a permis cela. Les militants ayant reçu de l’argent, ils ne voient plus que cela et en font la règle du jeu. À chaque fois qu’ils ont des problèmes sociaux, ils vont voir le leader politique. Ce dernier se sent également obligé de satisfaire les demandes sociales parce qu’il va se dire que s’il ne le fait pas, ses militants vont aller vers d’autres leaders du même parti ou simplement vers d’autres partis politiques. Donc, c’est faussé dès le départ. C’est mal parti. C’est tout un système qu’il faut changer et malheureusement, depuis l’alternance politique à la tête de l’Etat, on voit comment les gens adhèrent au parti du nouveau président. Et ce n’est pas par conviction, sinon ils l’auraient fait auparavant. Ils le font par intérêt. À dire vrai, les mentalités sont sous-développées ; il faut donc les changer. Que les gens élisent des hommes politiques qui vont penser et œuvrer au développement et non pour qu’ils leur paient leurs factures et leurs ordonnances. Sinon, on doit se poser des questions. Un maire qui a 50.000 Fcfa d’indemnité et qui doit assister chaque citoyen pour ses cérémonies familiales et ses charges sociales, comment va-t-il s’y prendre ? S’il est rigoureux, il épuise ses indemnités et n’a plus rien à donner ou bien, il cherche d’autres moyens même illégaux de répondre aux sollicitations individuelles. Le pire est que tout homme politique vous dira qu’il est obligé de le faire, sinon un autre le fera et gagnera les élections.
Si la politique est communément perçue comme un art et une valeur de gestion de la cité, c’est précisément en raison de sa finalité qui est d’assurer à tous et à chacun le bien-être auquel tout être humain peut légitimement prétendre lorsqu’il passe de «l’état de nature à la vie sociale», comme dirait Rousseau. Assurément, la réalisation de cet objectif suppose à tout le moins un sens de la vie en société, une conviction, un choix et une morale. Ces pré-requis renvoient de façon générique à l’intérêt général, à la citoyenneté, à la liberté et aux vertus.
En Afrique en général et au Mali en particulier, la politique est une négation de tout cela. Ici, la politique joue contre le développement. D’abord, les rapports de l’individu à la politique sont faussés. Dès le départ, nous avons deux groupes en présence. Le premier groupe formé par les politiciens inscrits dans une quête effrénée de pouvoir et d’argent, et décidés à profiter de l’Etat et de la politique à des fins personnelles. Le deuxième groupe constitué par les populations nécessiteuses aussi bien en avoir qu’en savoir, et préoccupées par les problèmes de survie au quotidien. Le premier point de contact entre ces deux groupes est l’argent. Comme l’illustre cette expérience, il faut avoir de l’argent pour se faire élire à la base. Il faut toujours de l’argent pour fidéliser les militants. L’argent devient ainsi l’élément fondateur et régulateur des relations entre le politique et le citoyen aux dépens d’un projet de société profitable à tous parce que tourné vers le développement collectif et le bien-être individuel. Ce clientélisme politique et ce chantage social sont “institutionnalisés et officialisés” au Mali. Dans un tel contexte, que peuvent bien valoir une conviction, une idéologie, un projet de société, un engagement collectif ? Rien ! Absolument rien.
Il s’ensuit que la politique est par définition le domaine du faux, du mensonge, de la tromperie et de la trahison. Bref, c’est le domaine de la non-vertu, du profit individuel et de l’enrichissement illicite impuni. Tant et aussi longtemps qu’il en sera ainsi, la politique sera l’obstacle principal aux progrès des sociétés africaines. C’est certainement cela qui a probablement amené certains à se demander «si l’Afrique refusait le développement».
Bruno E. LOMA