Traditions, poids de la religion, déficit d’éducation, pesanteurs socio-économiques : telles sont les raisons les plus communément avancées pour expliquer la condition inférieure qui est celle de la femme au sud du Sahara. Mais que dit le droit ? Le législateur africain a-t-il fait le maximum pour éviter que les femmes ne soient victimes de discriminations ? En matière de droit au travail, à la propriété et à l’héritage, la réponse est non.
Nombre de pays Africains ont depuis plusieurs années tenté d’élaborer un droit moderne moins inégalitaire que les règles héritées de la période coloniale et de la couronne, mais des principes discriminatoires persistent dans la législation de nombreux pays.
En règle générale, les femmes mariées sont toujours soumises à la tutelle de leur époux, élevé au rang de chef de famille par les codes et les lois régissant les rapports personnels.
Toutefois, la plupart des nouveaux textes africains consacrent la capacité de la femme à exercer une profession séparée de celle de son mari, à effectuer des actes juridiques, à ouvrir un compte de dépôts ou de titres en son nom personnel. Reste que ces droits sont limités, ici et là, par certaines clauses et formulations ambiguës.
En général, chaque époux a le droit de décider librement d’exercer une profession séparée. Mais l’un est souvent plus libre que l’autre…
La plupart des législateurs d’Afrique, ont en effet opté pour une restriction “douce” de la liberté de l’épouse : la femme peut travailler sans autorisation de son mari, mais celui-ci peut s’y opposer si l’intérêt de la famille est menacé.
Au Cameroun, la femme peut, depuis 1981, exercer une profession sans autorisation préalable de son mari. Mais ce dernier a le droit de s’y opposer, par exemple si son salaire n’est pas supérieur aux dépenses occasionnées par son absence du foyer ou si l’emploi qu’elle désire occuper menace, selon lui, sa santé.
Au Nigeria, la constitution de 1979 (suspendue par les militaires) dispose que l’Etat doit assurer à tous les citoyens, sans discrimination d’aucune sorte, l’accès à des “moyens suffisants d’existence” et leur “garantir un emploi convenable”. Or, traditionnellement, ces notions ne recouvrent pas la même chose selon qu’elles s’appliquent à des hommes ou à des femmes. Résultats, les femmes peuvent être “légalement” exclues de certaines professions, considérées comme non convenables par leur communauté.
Au Swaziland, l’assujettissement de la femme est plus grave encore. Malgré les lois fixant l’âge de la majorité à 21 ans pour tous et l’”Employment Act”, qui interdit toutes les formes de discrimination fondées sur le sexe, les femmes célibataires ou mariées désirant voyager doivent produire une autorisation signée par un parent masculin. De même, elles ne peuvent ester en justice que par procuration, puisqu’elles doivent s’y faire représenter par un homme.
“Irresponsables” juridiquement
En Afrique les femmes sont par ailleurs freinées dans leurs désirs d’investir dans la création d’une entreprise par les difficultés d’accès au crédit qu’elles rencontrent. Dans certains pays, les femmes mariées ne peuvent pas emprunter en leur nom propre et les célibataires doivent demander à leurs collatéraux de produire des garanties à leur place.
Dans la plupart des autres pays, les restrictions à leur droit de propriété les soumettent à l’arbitraire des hommes de leur famille pour emprunter : ne disposant que rarement de biens propres, elles sont en effet incapables de produire des garanties aux banques.
En matière de droit à la propriété, les législations nationales ont souvent évolué en faveur de la femme depuis l’indépendance.
Dans plusieurs pays comme le Gabon, le Cameroun, le Mali, la Guinée et le Sénégal, les femmes qui exercent une profession séparée peuvent percevoir librement leur salaire, le gérer comme elles l’entendent et ouvrir un compte en banque personnel.
Au Cameroun, selon le droit moderne (code civil et lois diverses), la femme mariée a la capacité de gérer ses biens propres, d’en user et d’en jouir après s’être acquittée de sa contribution aux charges du ménage. Toutefois, pour disposer de ses biens, les vendre par exemple, elle doit obtenir le consentement de son mari. De plus, lorsqu’elle gagne sa vie, toutes les charges du ménage lui sont souvent abandonnées. Si les Camerounaises peuvent ouvrir un compte bancaire personnel et disposer des fonds qu’elles y déposent, les créanciers de leur mari ont le droit d’y prélever des fonds s’ils établissent que la dette du mari a été contractée dans l’intérêt du ménage.
Au Kenya, diverses lois ont été promulguées depuis 1970. La femme s’est vue reconnaître le droit de propriété… sauf si son mari s’y oppose. Ainsi, l’épargne constituée par une femme sur un compte en banque séparé, pour créer un petit commerce par exemple, peut-elle être purement et simplement confisquée par son conjoint.
En côte d’Ivoire, pourtant “moderniste”, la liberté de gestion des biens n’est pas reconnue à la femme de façon générale. Seules les femmes commerçantes ont le droit d’administrer les biens acquis dans l’exercice de leur profession. Mais, si elles exercent une profession non commerciale, la loi ne leur reconnaît ce pouvoir que sur décision de justice et si le mari ne s’acquitte pas de ses obligations familiales. En dehors de ces cas, il gère seul les biens de la communauté et peut même percevoir les salaires de son épouse.
Persistance de la coutume
Malgré l’entrée en vigueur de nouveaux instruments juridiques, la femme est souvent soumise à l’arbitrage de la coutume. Dans certains domaines clés comme la succession, des lois coutumières dominent encore.
Au Kenya, le “Law of succession act” reconnaît à la femme le droit d’hériter de biens qu’elle a fait tomber dans l’escarcelle du ménage. Mais les lois coutumières continuent à prévaloir. Or, selon la coutume animiste, les veuves et les filles sont totalement exclues de la succession.
Selon le droit musulman, les veuves qui ont des enfants reçoivent un huitième de la succession et un quart si elle n’en ont pas. Quant aux filles, elles ont le droit à la moitié de la part de leurs frères. Au Sénégal, cette même règle est en vigueur puisque le privilège de masculinité hérité du droit musulman domine le droit des successions.
Au Tchad, où il n’existe de code civil que celui de la période coloniale, la coutume animiste ou musulmane impose également sa loi.
Selon la première, les biens du ménage sont systématiquement reconnus comme appartenant au mari et la femme est écartée de la succession lorsque son époux meurt.
Les femmes célibataires n’héritent pas non plus à la mort de leurs parents.
En revanche, si la coutume musulmane est adoptée, elles peuvent hériter mais en vertu des règles inégalitaires de cette coutume.
Au Rwanda, le code de la famille
Entré en vigueur en mai 1992 et la loi sur la sécurité sociale ne font aucune distinction basée sur le sexe. Mais dans ce pays comme au Burundi voisin, l’incapacité successorale de la femme reste la règle, bien qu’un tel principe soit anti-constitutionnel.
“La majorité des pays africains ont ratifié la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination contre les femmes et ont en partie modifié leur législation”, résume une spécialiste de l’Unesco. “Mais le problème est qu’il n’y a pratiquement pas d’Etat de droit en Afrique. Quand une loi est promulguées, elle n’est pas pour autant appliquée”.
S.Boukari