En remettant sa lettre de démission à la Fonction publique de l’Etat malien, l’Inspecteur général de police, Modibo Sidibé, s’est désormais lancé à corps perdu dans une bataille : celle d’accéder par les urnes à la Magistrature suprême, dont il ignore les méandres où les «embuscades au tournant» sont légion. L’ «excellent» Commis de l’Etat qu’il fut, peut-il être le brillant et rusé politicien sur les marches du Palais présidentiel ? Nous nous sommes efforcés à décortiquer les enjeux de sa candidature en 2012.
En 1991, à la suite des insurrections populaires historiques du Mouvement démocratique, un certain Amadou Toumani Touré est apparu à la tête d’un groupe de jeunes officiers et sous officiers. Il a été présenté comme étant le chef de la junte, après les tractations qui refusent encore de livrer tous leurs secrets. Face aux civils représentés par des sommités intellectuelles comme Mamadou Lamine Traoré, Ali Nouhoum Diallo, Bocar Tréta, Bakary Konimba, Yoro Diakité, Drissa Traoré, Dioncounda Traoré, pour ne citer que ceux-ci, les militaires de la junte affichaient un net complexe. Il leur a fallu chercher et trouver au sein de l’armée des intellectuels de même rang. C’est ainsi que par pur hasard, ATT entendit qu’un certain Modibo Sidibé, officier de police et Conseiller technique au Ministère de la Défense détenait un Doctorat en criminologie. Il le fit chercher par ses services et le nomma dans le cabinet présidentiel du CTSP (Conseil de Transition pour le Salut du Peuple).
C’est ici que sont parties la fraternité, l’amitié et la très grande confiance entre les deux hommes. A propos, ATT lui-même a laissé entendre qu’il avait demandé à son successeur Alpha Oumar Konaré de le garder dans son équipe. Ce que le président Konaré s’est engagé à faire pendant ses deux mandats où Modibo a occupé des postes de souveraineté sans jamais faillir. S’il est vrai que les deux présidents ont fait de Modibo un serment, il faut reconnaître que l’homme lui-même n’a pas démérité.
De simple «bouffe-la-craie» à l’ENA, Modibo s’est forgé une personnalité : celle d’un cadre digne de respect. A l’esprit pratique, Modibo ne perd pas son temps à des vétilles. Ce bourreau du Travail, a «blanchi» sous la tonne de paperasserie administrative au Secrétariat général de la Présidence avant de boucler sa carrière au perchoir de la Primature où, contre les écueils du temps, il a réussi à forcer l’admiration et le respect des partenaires au Développement. Du réseau diplomatique du Mali, il s’est fait un répertoire surchargé. Aujourd’hui donc, l’homme peut légitimement prétendre au suffrage universel pour accéder à la fonction suprême de l’Etat. Les raisons sur lesquelles se fondent cette légitimité sont multiples, mais nous n’en citerons que quelques unes.
D’abord, les deux présidents démocratiquement élus sous lesquels il a servi en tant que cadre de haut niveau, n’ont jamais fait cas, du moins de notre mémoire, de déloyauté de Modibo Sidibé. Ensuite, pendant près de 20 ans d’exercice au plus haut sommet de l’administration, Modibo n’a jamais été mêlé à aucun scandale de quelque nature que ce soit, contrairement à d’autres dont les carrières ont été précocement abrégées par des tolets sur leur gestion. Il reste enfin, l’un des rares cadres pour des fonctions qu’ils ont occupées, qui demeurent dignes d’une retraite paisible, sans aucun démêlé avec la justice et qui peuvent résister à toutes les formes de pression, de chantage. Il faut rappeler qu’ATT a continué à faire confiance à Modibo malgré que ce dernier ne «sentait» toujours pas bon dans la belle famille présidentielle, où on fait et défait les cadres selon qu’ils soient «photogéniques» ou pas aux yeux de la «Reine» dont l’humeur ne se traduit généralement pas par son large sourire aux vents.
Le sérieux et l’attachement de l’homme aux principes déontologiques et d’équité qui cadrent avec les hommes de son rang, ont fait de lui une référence au plan national en matière de gestion administrative. Ses valeurs morales qui ne font l’ombre d’aucun doute, font de lui un exemple de sa génération.
Malgré ces atouts personnels, pourquoi Modibo a-t-il trainé avant de rendre ses galons ?
Modibo connaît bien son ami et frère ATT. Il sait très bien que le président de la République est un homme capable de presque tous les coups du genre à briser les cadres qui s’entêtent à défier son autorité. Lorsque le président ATT déclarait publiquement et presqu’à chaque occasion que pour prétendre être président, il faut sortir et aller vers son électorat, Modibo savait bien qu’il s’agissait de lui et de lui seul. ATT a ceci de drôle qu’il n’a pas le courage de dire souvent en face ce qu’il pense de ses collaborateurs. Il profite d’être dans son «grin» ou dans un discours improvisé pour envoyer des messages à décoder. Avec Modibo, c’était le cas. Paradoxalement, lorsqu’à travers le vaste projet de l’INITIATIVE RIZ, le Premier Ministre Modibo s’est retrouvé sur le terrain, avec des paysans et commençait à prendre des bains de foule, le Palais présidentiel a immédiatement «lâché les chiens» à ses trousses. Il est accusé de vouloir s’accaparer la paternité de l’un des projets majeurs du mandat. Comme si cela ne suffisait pas, le chef de l’Etat lui-même profite d’une sortie sur le terrain pour lancer des mises en garde aux acteurs de l’INITIATIVE. Modibo a compris que le chef n’était pas trop content de lui et s’engouffre discrètement dans ses bureaux. Les marchés d’intrants et de matériel lui passent par-dessus la tête. Commence alors le festin des prédateurs proches de Koulouba. Diadiè Ba, Seydou Nantoumé et autres. Et lorsque Modibo a été remercié de la Primature de la manière que l’histoire révèlera sans aucun doute, on lui fait porter le chapeau du déluge financier. Le chef de la Brigade du Pôle économique chargé d’enquêter commet l’erreur de se tromper de cibles. En lieu et place de Modibo Sidibé, il interpelle les amis du grand chef. Il en eut pour son grade. On ne le laissera pas traîner de «très honnêtes» amis dans la boue. Il est simplement limogé en catimini.
Ainsi, Modibo Sidibé a préféré attendre d’avoir les hommes qu’il faut pour se lancer officiellement dans la course pour Koulouba. Pour les moyens, il n’y a aucun souci pour quelqu’un qui a déjà investi plus de 5 milliards dans la logistique. Mais, Modibo sait qu’il ne doit pas encore dévoiler tous ses moyens, au risque de s’attirer des représailles présidentielles. En clair, il fallait attendre qu’ATT soit préoccupé ailleurs plutôt que de s’occuper du cas Modibo. Nous sommes bien dans ce contexte où la contestation de la reforme constitutionnelle coupe désormais les sommeils du Président.
Le vin est enfin tiré, doit-on le boire ?
S’il est clair que Modibo est désormais lancé dans la course, il faut alors poser le débat sur l’homme face aux défis qui se dressent arrogamment à l’horizon. Le premier qui vient à l’esprit et qui se pose en priorité, se rapporte à la stabilité politique. En quoi Modibo peut-il garantir la stabilité ? Notre sous-région est agitée par des troubles politiques violents qui se sont soldés par des effusions de sang, des pertes en vies humaines et des changements de régime. Le Mali est aujourd’hui le seul pays où les pouvoirs politiques ont su maintenir la cohésion sociale et anéantir les menaces qui paraissaient certaines. Impérativement, notre pays a besoin d’un président rassembleur capable de garantir au peuple malien la paix, la stabilité et la cohésion sociale.
ATT sait mieux que quiconque que les épreuves qui attendent le futur locataire de Koulouba ne lui laisseront aucun répit. Modibo pour avoir été le dernier des candidats à quitter la gestion des affaires de l’Etat, est lui aussi conscient au même titre qu’ATT des défis majeurs. Pour cette raison, il saura faire preuve de discernement entre les priorités.
Au plan politique, il peut sans trop d’effort rassembler les forces politiques en présence autour des questions essentielles qui concernent l’avenir immédiat du Pays. Tout en espérant qu’il réussisse à surmonter son handicap majeur qui est de «regarder tout le monde de haut», car ses partisans les plus fidèles laissent entendre qu’il peut bien changer en soignant son image en améliorant son style.
Il faut reconnaître que l’homme réussira difficilement à être un bon homme politique, même s’il a pratiqué le milieu pendant très longtemps.
D’ailleurs, Modibo sait bien qu’il ne connaît pas «le marigot politique» où baignent les caïmans aux crocs de toutes tailles et de toutes obédiences avec des mâchoires plus solides les unes que les autres.
Il aura sans aucun doute plus besoin d’hommes politiques rusés pour lui assurer un rang honorable au décompte final en 2012.
Avec Modibo, que gagne le Mali ?
La question n’est pas bête, d’autant plus que l’homme lui-même ne nous en dit presque rien pour l’instant. Mais, nous savons que dans la plupart des régimes politiques en Afrique, il y a une constante : celle qui consiste à remettre en cause les réalisations, les programmes, engagements politiques de celui à qui on a succédé. Dans le cas de Modibo, la réalité est tout autre du fait qu’il partage le bilan de la gestion des deux présidents de l’ère démocratique du Mali. Avec lui donc, nous gagnons d’être dans la continuité et la stabilité. Ceci n’est pas rien si nous réussissons nous-mêmes à le capitaliser.
Deuxième acquis probable, Modibo est riche des expériences cumulées sous les quatre derniers mandats avec des présidents de styles différents. Il connaît leurs répertoires. Il sait comment rentabiliser les axes de coopération. Il sait aussi que sous les quatre derniers mandats, les deux chefs d’Etat ont commis des erreurs. En tant que policier et Commis de l’Etat, il connaît l’histoire de la gestion politique et économique du Mali pendant les 20 dernières années. On estime qu’il est intelligent et qu’il saura éviter de tomber dans les erreurs des autres.
Pour le reste, il est hasardeux de s’aventurer sur l’attitude du «presque futur président» face aux défis économiques qui se profilent à l’horizon. Aussi, nous ignorons tout de la thérapie dont il dispose contre le mal social qui ronge le Malien, avec lui tout espoir d’un lendemain meilleur… N’allons pas trop vite en besogne… Le chemin du Palais présidentiel reste encore long.
Abdoulaye NIANGALY