Dissolution des partis politiques et prolongation de la Transition : Fabou Kanté du Mouvement Tabalé pose son diagnostic
La dissolution des partis politiques et la volonté de certains de vouloir prolonger la Transition de 5 ans continue d'alimenter le débat dans les différentes sphères de notre société. En effet, Fabou Kanté du Mouvement Tabalé qui s'était résolu à ne pas opiner sur ces deux sujets d'actualité a, au nom de la conscience citoyenne et nationale, fini par se raviser.

Au départ, Fabou Kanté ne voyait aucune utilité à consacrer du temps et de l'énergie à des débats qui concernent les partis politiques, animés par une infime minorité des Maliens. Car, un de ses camarades, qui a récemment travaillé sur des statistiques administratives, démographiques et électorales du Mali, a mathématiquement démontré que l'ensemble des partis politiques et leurs militants réunis représentent moins de 5 % de la population malienne. Ensuite, il voulait éviter de mener le combat de gens à leur place parce que chacun a sa lutte qui devrait lui suffire dans la vie. "En tout cas, c'est mon cas. En fait, de quoi s'agit-il réellement en parlant de ces deux sujets", s'est-il interrogé.
Pour lui, il se trouve que les militaires ne sont inscrits que dans une logique de conservation du pouvoir, une attitude qui est la leur et sociologiquement explicable et même compréhensible à bien des égards.
Quant aux partis politiques, ils ont pour raison d'être la conquête et l'exercice du pouvoir. "Nous sommes donc en face de rapports de forces sociales dont les dynamiques sont exclusivement déterminées par des luttes politiques, conduites par des acteurs civils et militaires politiques, pour des raisons strictement politiques. De mon point de vue, le peuple vers lequel penche le plus grand risque de pertes qui échoiraient de ces tiraillements, devrait se mettre à l'écart de ces affrontements pour ne pas servir de pions qu'on actionne, afin de frayer la voie à d'autres pour atteindre des intérêts égoïstes", conseillera-t-il.
A ses dires, un individu qui trépasse à la suite d'un myocarde, parce qu'une prestigieuse équipe de football a perdu un match, alors que les joueurs n'avaient connaissance ni de l'existence ni des conditions de vie du défunt, ce dernier n'aurait alors été victime que d'inconscience et d'idiotie.
Nous mettre dans un cercle mafieux et criminel
Et de s'interroger : "De 1991 à nos jours, à quoi nous ont réellement servis nos partis politiques, si ce n'est nous mettre dans un cercle mafieux et criminel, pour l'acquisition d'avantages et de privilèges au profit d'intérêts personnels, claniques et régionalistes ? Je pense d'ailleurs que plusieurs de leurs leaders ne méritent que la guillotine ou dans le meilleur des cas la condamnation à perpétuité". Avant de laisser entendre qu'il ne doute point que les lecteurs vigilants ont compris, qu'il ne s'agit ici de tomber dans un jugement systématique. Car, tous les partis et leaders politiques ne sauraient être mis dans le même sac, surtout que nous en avons de bons et de sérieux qui doivent être soutenus. Il ajoutera que son appréciation porte sur la majorité de nos formations politiques, surtout celles nées à la faveur du 26 mars 1991 sous le label du Mouvement dit démocratique, dirigé par nos patriotes sincères et démocrates convaincus. Tout compte fait, poursuivra-t-il, qu'il ait suppression ou réduction, le parti qui doit occuper la tête de liste est l'Adéma/PASJ. Cela, mentionnera-t-il, serait la plus belle revanche du peuple malien, du vivant de certains, contre un système de gouvernance qui n'a été pensé que pour des panses.
De son point de vue, s'il y a un parti politique qui est à la base de la déchéance et de la désagrégation du Mali, c'est sans aucun doute l'Adéma. "Quand elle est arrivée au pouvoir en 1992, c'est le lieu de rappeler qu'elle n'avait pas gagné les élections face à l'US-RDA... L'objectif à l'allure de consigne ferme qu'elle a annoncé à ses cadres était sans ambages, œuvrons afin que nous soyons économiquement et politiquement incontournables durant les 30 prochaines années", a-t-il martelé. Avant d'évoquer que "nous avons encore la chance d'avoir parmi nous des témoins qui ont assisté à ces réunions, au cours desquelles ces déclarations ont été faites... C'est cette Adéma qui a eu pour enfants et petits-enfants la quasi-totalité des partis politiques actuels du Mali. Elle n'a toujours pas fini sa mue, comme le disait le Pr. Mohamed Lamine Traoré".
Les cadres valables, valeureux, intègres et patriotes éjectés
Selon lui, quand il tient de tels propos, cela ne signifie pas que l'Adéma n'a pas connu de cadres politiques valables, valeureux, intègres et patriotes. "Loin de là et ces personnes sont bien connues. Elles ont d'ailleurs été dans la plupart des cas soit éjectées, soit combattues ou physiquement agressées à mort, quand elles se sont dressées de l'intérieur de l'Adéma contre ce qu'elles ont qualifié de trahison de la mémoire des martyrs. Honneurs à ces femmes et hommes encore vivants, mais aussi aux défunts", a-t-il ajouté.
A ses dires, ce sur quoi il voudrait surtout insister est d'attirer l'attention sur le fait que le système de gouvernance que ce parti a instauré au Mali ne s'est fondamentalement appuyé que sur des comportements déviants érigés en norme sociale, qui ont malheureusement été la source d'ouverture de la page la plus sombre de l'histoire de notre démocratie. Il renchérira que les conséquences de la gestion de l'Adéma ont fait tomber ce pays plus bas que terre. "Bien sûr qu'il faut aussi poser ici une question simple. Quand on parle de l'Adéma, s'agit-il uniquement de ses responsables et de ses militants ? Absolument pas ! C'est pourquoi il faut aller en profondeur dans ces débats, surtout que c'est la même Adéma qui occupe la ligne d'un des principaux alliés des militaires au pouvoir", a-t-il fait remarquer.
Ceci dit, la suppression des partis politiques ou leur réduction pose quand même de sérieux problèmes et pour cause, dira-t-il, son camarade, ami et papa, le doyen Amadou Traoré dit Amadou Djicoroni, lui disait un jour à la faveur d'une de leurs régulières causeries dans la Ruche aux livres, que traiter un sujet au brouillon et le recopier au propre existe à l'école mais pas en politique parce que dans la dernière matière, les erreurs se payent toujours cash.
Rien ne saurait justifier la suppression des partis politiques
A l'en croire, il imagine en ces temps le profond regret que pourraient éprouver les militaires au pouvoir pour avoir commis trois atermoiements politiques entre 2020 et 2024. Il s'agit : de la non-suspension de la Constitution de février 1992 suite aux événements du 18 août 2020 ; de la juxtaposition d'une charte de la transition mal conçue à la Constitution ; de l'élaboration et de l'adoption par vote référendaire d'une nouvelle Constitution en juillet 2024.
En effet, précisera-t-il, s'il faut rester dans une posture républicaine, fondée sur le respect de la loi et de la garantie des libertés individuelles et collectives, rien ne saurait justifier la suppression des partis politiques. Car, parallèlement au garde-fou construit par la Loi fondamentale, il est personnellement d'avis qu'on accorde la liberté à chaque Malien de créer un parti politique si tel est son choix. "Si nous évoluons jusqu'à 500 partis politiques ou plus, je n'y verrai aucun inconvénient. Comparaison n'est toujours pas raison. La France compte plus de 200 partis politiques, contrairement à ce que beaucoup pensent. Cette situation ne cause aucun remous sociopolitique, du fait de l'existence d'un cadre institutionnel bien défini et respecté par tous les acteurs. Il suffit d'encadrer et d'organiser la création et le fonctionnement des partis politique", a-t-il affirmé.
Dans son réquisitoire, il dira que sa seconde réprobation contre la dissolution des partis politiques renvoie à une question de justice. Et de poursuivre que c'est désormais un secret de polichinelle que les militaires au pouvoir plus politiques que tous les politiques que le Mali a connus de 1960 à nos jours, ont fabriqué à moins d'une année le tiers du nombre total des partis politiques qui ont été créés en 30 ans.
"S'il y a donc suppression qui toucherait un parti qui à l'âge d'un bébé, d'un adolescent ou d'un adulte, les nourrissons doivent être obligatoirement concernés pour faire place nette. Dans le cas contraire, nous serions devant une injustice flagrante, et il est connu que l'injustice est constamment cause de convulsions et même de rébellions", s'est-il indigné.
Les militaires au pouvoir plus politiques que tous les politiques
Selon lui, pour ce qui est de la réduction des partis politiques, sa réserve à trait à une lecture qui ne lui semble pas être intégrée par ceux qui soutiennent cette proposition dans leur réflexion. Ainsi, dira-t-il, supposons que l'on réduise les partis à cinq ou même à 10. "Quelle sera l'objectivité des critères sur lesquels on se basera pour éliminer un parti au profit d'un autre ? En optant pour la réduction, avons-nous formulé l'hypothèse que cela créerait les conditions idoines pour ces quelques partis, pour maintenir les citoyens dans le chantage et la manipulation, du moment où l'exclusivité des cadres d'engagements politiques reviendrait uniquement à ces partis ? N'allons-nous pas produire le contraire de l'effet souhaité par cette réduction ?", s'interrogera-t-il.
Pour finir, il précisera que le plan qui serait en marche avec visée d'accorder cinq ans supplémentaires à l'actuel président de la Transition, Assimi Goïta, ne peut lui donner l'occasion que de rappeler à ce dernier ces trois proverbes rwandais, tamasheq, bambara et cette sagesse politique : "Là où on doit mourir, on s'y rend tôt le matin" ; "Ne laisse pas la bête qui veut te dévorer t'approcher de près pour sentir ton odeur" ; "Celui qui a épuisé sa durée de vie est inattentif aux conseils qu'on lui prodigue" ; "Ceux qui profitent des jours fastes du pouvoir, sont prêts à sacrifier le chef de l'Etat plutôt que de perdre leurs avantages".
Boubacar Païtao
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