Discours du nouvel an de Dioncounda : L’éducation et la justice ignorées: « oubli ou mépris ? »

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Le Professeur « Mathémagicien » nous a habitués à des discours de qualité, toujours très  détaillés, dans un français très correct et très simple, même si c’est souvent très long. Il n’a pas dérogé à la règle lors de son adresse à la nation du 31 Décembre 2012, c’est tout à son honneur et à l’honneur de tous les citoyens et citoyennes maliens du Mali comme de la diaspora. Un excellent speech,  seulement, le Professeur émérite a curieusement ignoré l’éducation (école et université) et la Justice. Quel sacrilège pour un Professeur d’une dimension aussi exceptionnelle! Sans école pas d’avenir. Sans justice pas de paix.

Tout a été donc fait pour donner à l’évènement un habillage solennel marqué du saut de la gravité si on en juge par la posture d’humilité, la longueur et la fermeté du ton qui ont caractérisé cette allocution. C’est une mise en scène qui frappe par sa sobriété, son caractère paternaliste. C’est tout juste si Dioncounda n’a pas arboré sa toge d’un Général d’une armée en alerte maximum.
De même, la qualité formelle de la langue, la longueur de l’allocution avec force détails, tout cela témoigne d’une maîtrise des dossiers qui ne souffrirait d’aucune pression que ferait peser la situation de crise sur les épaules d’un chef qui cherche à rassurer son peuple.
Cette durée n’est pas anodine, c’est celle qui convient aux moments de crise pour séduire un peuple composé de peu d’intellectuels et de beaucoup d’analphabètes plus attirés par la forme et la posture que par le fond.
D’abord l’exposé du contexte général malien et international, ensuite les remerciements et la reconnaissance du Mali à ses amis d’Afrique et du monde, l’absence de toute responsabilité de sa part dans la crise et le blanchiement de ATT en passant,  puis un exposé sur le terrorisme international qui sévit au nord du Mali et sa détermination à le combattre sans ménagement et dans les plus brefs délais, la mobilisation de l’armée et du peuple pour libèrer au plus vite le Mali, la responsabilité unique et totale des groupes terroristes maliens,  l’appel à l’union sacrée et au dialogue avec ces groupes terroristes maliens, un clin d’œil aux sportifs pour les féliciter et leur assurer le soutien de l’Etat, un appel à la jeunesse pour lui demander de bien s’amuser tout en étant prudente et de ne pas oublier la crise, enfin la clôture de l’adresse à la nation  avec ses grandes anaphores oratoires, « mes chers compatriotes », qui reviennent à plusieurs reprises dans le discours.
Derrière cette ambition “historique” du discours, les questions qui viennent à l’esprit sont : « qu’en est-il de l’affirmation de la légitimité de Dioncounda ? S’agit-il simplement de sacrifier à un discours d’usage ? Ou est-ce destiné à affirmer un nouveau paradigme avec à la clé, la sérieuse prise en charge des vraies préoccupations des maliens ? Ou bien s’agissait-il de rappeler au peuple malien que son pays est toujours occupé et qu’il faille le libèrer ? Ce qu’aucun malien n’ignore du reste. S’agissait-il de réorienter la fonction présidentielle en annonçant la fin du duel au sommet de l’exécutif ? Cherchait-il à rappeler au peuple que ce n’est pas lui qui a créé cette crise, ATT non plus ?
Seulement, le Professeur émérite a curieusement ignoré l’éducation (école et université) et la Justice. Quel sacrilège pour un Professeur d’une dimension aussi exceptionnelle!
Bacheliers analphabètes !
L’école qui est le lieu où se forge la conscience citoyenne, l’école qui est aussi le lieu par excellence de l’égalité entre les citoyens devant la République, traverse une crise sans précédent depuis des années, provoquée par des grèves récurrentes des syndicats  d’enseignants et d’élèves. L’année scolaire et universitaire en cours (2012-2013) marquée par la grève illimitée des enseignants depuis l’ouverture des classes n’est pas entrain de faire exception à cette triste règle. Aux dernières informations les autorités viennent de fermer toutes les écoles jusqu’à nouvel ordre.
Aucune vision de l’école malienne qui continue sa triste dégringolade vers les bas fonds de la médiocrité structurelle avec la production industrielle de bacheliers analphabètes qui n’ont même plus le droit d’accès aux universités qui, elles, ont déjà atteint leurs limites au niveau de leur capacité d’accueil. Pendant ce temps, aucune alternative n’est offerte aux élèves pour l’obtention de diplômes universitaires ou de formations professionnelles valorisantes, au grand dam des parents qui ne savent plus à quel saint se vouer. Pourtant, l’accès à l’éducation est un droit inaliénable garanti par la constitution.
Au même moment, l’enseignement supérieur malien est sur le point de connaître sa énième année blanche. Les crises se succèdent d’année en année, mais aucune perspective de solution n’est en vue comme si les autorités et les différents acteurs avaient choisi le remède du pourrissement jusqu’à disparition totale de l’université publique au Mali.
Sinon comment comprendre qu’après avoir procédé à la fermeture des universités et des grandes écoles au cours de l’année 2010-2011, histoire de planifier une année blanche (sauf dans quelques facultés) qui mettrait de l’ordre dans le calendrier de la rentrée universitaire suivante, les autorités se retrouvent encore entrain de gérer les mêmes problèmes un an après. Ce qui a fini de créer les conditions objectives d’une nouvelle invalidation de l’année en cours avec la fermeture totale des écoles. Après la commercialisation des diplômes au profit des étudiants, les postes d’enseignants monnayés, l’université malienne a fini de toucher le fond avec l’aberration des années blanches de réajustement de calendriers. Du n’importe quoi ! Et tout le monde fait semblant d’y croire comme si nous avions choisi d’être tous des idiots au même moment. Comment peut-on dans ces conditions prendre au sérieux les acteurs de l’école et de l’université, l’Etat à leur tête, quand ils font des professions de foi pour une éducation moderne, démocratique et de qualité ? C’est pour toutes ces raisons que nous disons que l’absence de l’éducation dans ce long discours de Dioncounda, très loin d’être un simple oubli, ne témoigne pas seulement d’un manque de solutions ou d’une absence de vision pour l’éducation, mais c’est la preuve d’un mépris manifeste des autorités vis-à-vis des élèves et des étudiants qui s’intègre parfaitement dans une stratégie globale de sabotage, entamée il ya deux décennies et dont le Pr. Dioncounda Traoré non moins méga enseignant est l’un des acteurs les plus éminents et les plus assidus.
Vive impunité !
Dans une société qui évolue et qui veut cultiver l’espoir au sein des populations, la promotion de la justice doit être érigée en super-priorité afin que la vengeance ne lui soit jamais substituée. Le bon fonctionnement de la justice représente donc un baromètre pertinent de l’apaisement des rapports sociaux et d’instauration de la bonne gouvernance. Des scandales financiers, des confiscations et des détournements de biens fonciers de pauvres citoyens sans défense ont continué de faire les choux gras de la presse bamakoise depuis quelques années. Les rapports du Vérificateur Général ont épinglé, pour mauvaise gestion, certains dignitaires politiques connus pour avoir occupé des fonctions importantes au niveau de l’administration centrale et des collectivités locales. Pourtant le citoyen ordinaire attendait légitimement des autorités de la Transition un plein exercice d’une Justice indépendante et forte qui permet de faire respecter les droits de chacun, en particulier,  en punissant ceux qui ont mal agi, pour l’assainissement des mœurs politiques, économiques et morales. C’est pour cette raison que l’opinion avait applaudi des deux mains quand le sérieux Ministre de la Justice avait commencé à poser des actes forts au niveau de la réorganisation de certaines juridictions du Mali et que certains dossiers avaient fini d’atterrir sur le bureau du nouveau Procureur. Le fait que le Président Dioncounda ait fait l’impasse sur ces questions de haute portée nationale démontre encore une fois qu’il ne les encourage pas et ne soutient pas les tenants de cette démarche de clarification des gestions et des contentieux antérieurs à Mars 2012. Ce que les autorités ne savent pas ou n’intègrent pas dans leur stratégie de promotion de l’impunité, c’est que la seule alternative qui s’offre aux victimes, c’est l’exercice de la vengeance qui rassure  l’offensé comme dans la logique de « oeil pour œil, dent pour dent ».
La crise du nord a bon dos, mais n’explique pas et ne justifie pas toutes les carences, toutes les dérives, tous les manquements des dirigeants ?
Aliou Badara Diarra

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1 commentaire

  1. ” Discours du nouvel an de Dioncounda : L’éducation et la justice ignorées: « oubli ou mépris ? »…/// … Pourtant il est issu d’une famille politique qui a beaucoup fait pour l’éducation et l’école… Dioncounda ne peut pas se permettre de faire moins…!

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