Intime conviction : Le gouvernement enlisé dans son ballon d’essai sur la migration

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Qu’est-ce que le ministre néerlandais des Affaires étrangères, M. Bert Koenders, était réellement venu faire à Bamako ? L’Union européenne avait-elle besoin de faire déplacer un ministre pour une séance de travail avec le gouvernement malien alors qu’elle a une représentation digne de ce nom à Bamako ? Quelle est la nature exacte du document signé par Bert Koenders et Abdoulaye Diop ?

Aujourd’hui, il faut peut-être dans le secret des Dieux pour dire exactement qu’elle était la motivation de cette visite juste pour une séance de travail et ce qui a été réellement signé dans le dos du peuple malien. Officiellement, la visite au Mali de M. Bert Koenders s’inscrivait dans le cadre du «dialogue de Haut niveau sur toutes les questions de coopération, notamment la migration». Des échanges initiés entre le Mali et l’Union européenne depuis le sommet de La Valette (Malte) tenu les 11 et 12 novembre 2015. Mais, c’est surtout la nature du document qui a sanctionné cette rencontre qui a plongé le gouvernement dans une zone de turbulence mettant au grand jour la méfiance que le peuple malien a à son égard. Et cela d’autant plus que les démentis ne rassurent que peu de gens.

Dans un premier temps, le document a été présenté par le ministère des Affaires étrangères néerlandais et l’Union européenne comme un premier «Accord» du genre. Il vise notamment à lutter contre «les causes profondes de la migration irrégulière» et à «favoriser le retour des migrants maliens depuis l’Europe». Pour le gouvernement malien, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un «communique conjoint» pourtant brandi par les deux ministres comme des trophées de guerre sur les images officielles de la rencontre. Les autorités maliennes indiquent que «nulle part, il n’a été question de signature d’un quelconque accord qui permettrait d’expulser nos compatriotes en situation irrégulière en Europe». Et le ministère des Affaires étrangères… précise surtout qu’un «communiqué conjoint n’a pas la valeur juridique d’un accord en droit international».

Plusieurs membres du gouvernement (Affaires étrangères, Coopération Internationale et de l’Intégration africaine ; Communication, porte-parole du gouvernement ; Maliens de l’extérieur) sont montés au créneau pour «démentir» avec des déclarations encore plus ambiguës que le texte du communiqué conjoint qui nous a personnellement donné du tournis ! Finalement, le gouvernement des Pays-Bas et le ministre Bert Koenders ont, à la demande de Bamako, démenti catégoriquement par un message diplomatique l’existence d’un accord signé par le Mali sur la migration ou les demandes d’asile. Mais, au même moment, les dirigeants de l’UE réunis à Bruxelles (Belgique) en rajoutaient à la controverse en soulignant avoir examiné les progrès accomplis dans la mise en œuvre des «pactes» conclus avec cinq pays africains d’origine ou de transit. Ils ont déclaré que, à la lumière de l’expérience fournie par «la mise en œuvre des pactes avec l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Nigeria et le Sénégal», d’autres pactes ou d’autres formes de coopération «pourraient être envisagés». Les juristes sauront vous éclairer sur la différence entre un «Accord» et un «Pacte».

Communiqué conjoint, accord ou pacte ?

Selon nos investigations, ces pactes font partie de l’approche globale de l’UE visant à réduire la migration illégale le long de la route de la Méditerranée centrale. Pour ce faire, l’UE aide les pays africains à s’attaquer aux causes profondes des migrations. Elle coopère également «étroitement» avec eux pour «augmenter les taux de retour». Pour tordre la main aux dirigeants africains concernés, l’UE a concocté des accords mettant dans «la balance tout à la fois l’aide au développement, les questions de sécurité, la lutte contre l’immigration irrégulière, la facilitation du retour dans les pays d’origine…», indiquent nos confrères de La Croix (France). Cette logique, lancée en novembre 2015 au sommet de La Valette (Malte) avec un fonds de 1,8 milliard d’euros, commence à prendre forme.

C’est ainsi que, le dimanche 11 décembre 2016, un premier accord UE-Mali a été signé. Et le jeudi 15 décembre, en marge du Conseil européen, c’était au tour du Niger de signer. Dans les mois qui viennent, indique le Conseil européen, trois autres «pays pilotes» doivent leur emboîter le pas, notamment le Nigeria, le Sénégal et l’Éthiopie. Le Conseil européen a par ailleurs soutenu le plan d’investissement de 44 milliards d’euros proposé par la Commission européenne pour le développement économique en Afrique. Même si cette compensation financière reste à confirmer par le Parlement européen.

Le gouvernement malien a-t-il signé un accord avec l’Union pour le rapatriement forcé de nos immigrés ? Les autorités maliennes démentent sans convaincre. Il leur est d’ailleurs difficile de convaincre d’autant plus que tout va dans le sens de cet engagement. Le  document brandi comme «communiqué conjoint» a tout d’un accord aussi bien sur le fond que sur la forme avec de nombreuses ambigüités dans le contenu. Celui-ci mentionne par exemple «l’accompagnement des retours d’Europe des personnes vivant en situation irrégulière, sur base des procédures standard, conclus entre les deux parties tout en respectant leurs obligations mutuelles». Explicitement, il s’agit du retour forcé des migrants en situation irrégulière en Europe. «Cette dernière disposition reste trop ambigüe et porte tous les risques pour nos compatriotes vivant en Europe et se prête à toutes les interprétations possibles. Surtout que le texte est écrit dans la langue française, très subtile à tous points de vue», dénonce sur les réseaux sociaux l’honorable Yaya Sangaré de l’ADEMA.

Et la communication du gouvernement a été très maladroite sur cette crise de confiance entre le gouvernement et les Maliens. Loin d’apaiser, les déclarations ont renforcé le doute. Le problème est que le contenu du communiqué est très ambigu et, dans le fond, ressemble beaucoup plus à un «Accord» qu’à un «communiqué conjoint». Et quand l’U.E brandit un tel document comme un accord signé et que le gouvernement a des précédents dans le déni de la réalité voire dans «le mensonge d’Etat», le doute sur sa sincérité est inévitable. Sans compter que le passage du ministre porte-parole n’a pas été visiblement préparé avec toute la rigueur requise. Il a accentué le doute et la méfiance parce qu’il n’a semblé en aucun moment être convaincu de ce qu’il défendait. Il est donc logique que le démenti officiel n’ait jamais eu l’effet escompté. Et Surtout quand fait le buzz sur les réseaux sociaux un document officiel annonçant que «des fonctionnaires maliens se rendront dans les pays membres de l’UE pour aider à déterminer l’identité des migrants, afin d’accélérer leur retour…».

La survie de l’Union européenne en jeu

Le gouvernement malien a-t-il été piégé par l’Union européenne ? Ou est-ce que le fameux communiqué conjoint était un ballon d’essai pour tester la réaction des Maliens par rapport à la gestion d’une question aussi stratégique que l’immigration ? Nous sommes convaincus de la seconde hypothèse. Et le gouvernement a été surpris par la réaction des Maliens. Ce qui explique les cafouillages dans la communication gouvernementale. Aujourd’hui, la question de la migration a un enjeu crucial pour l’Europe, surtout après le Brexit (sortie de la Grande Bretagne de l’Union). Et cela d’autant plus que l’afflux massif des migrants est avancé comme un terreau fertile à la montée vertigineuse de l’Extrême droite en Europe. Et les leaders de ces formations politiques extrémistes, à l’image du Front National en France, sont foncièrement opposés à l’UE. Les propositions pour mieux juguler l’immigration seront une donne fondamentale dans l’élection du président en France 2017. Et sur ce plan, la Gauche est en retard sur la Droite qui n’hésite pas à chasser sur le terrain de l’Extrême droite en la matière.

C’est aussi le cas en Allemagne avec des élections importantes à l’horizon pour Angela Merkel. On comprend alors que les dirigeants européens soient prêts à tout pour leur faucher l’herbe sous les pieds (les nationalistes) par une solution radicale à l’immigration clandestine. C’est le sujet principal qui a d’ailleurs été abordé par la Chancelière allemande Angela Merkel avec les dirigeants africains lors de sa récente tournée qui l’a conduite au Mali, au Niger et en Ethiopie, avant de recevoir chez elle d’autres dirigeants africains. Il est vrai que nos Etats ont toutes les raisons de contribuer aujourd’hui à la lutte contre l’immigration clandestine entretenue pas des réseaux criminels au mépris de la vie des migrants. La multiplication des drames en méditerranée ne peut laisser aucun gouvernement responsable indifférent. Officiellement, au moins 376 jeunes maliens sont morts dans la Méditerranée en 2015.

Un enjeu économique et politique crucial pour l’Afrique

Mais, quelle que soit la pression des Européens, nos dirigeants ne doivent pas abdiquer parce que les enjeux de l’immigration ne sont pas aussi négligeables pour nos Etats. D’après les statistiques officielles, les envois de fonds réalisés par les migrants à destination des pays en développement auraient doublé entre 2002 et 2007, pour atteindre 305 milliards de dollars en 2008, selon la Banque mondiale. Ces flux représentent une part importante des entrées de capitaux dans les pays moins développés, puisque leur montant est près de deux fois supérieur à celui de l’aide publique au développement et équivalent aux deux tiers du montant global des investissements directs étrangers. En  2009, la Banque mondiale évaluait à plus de 230 milliards de francs CFA l’apport des migrants au développement du Mali. Et, selon d’autres sources, les migrants maliens injectent en moyenne 400 milliards de FCFA (environ 608 millions d’euros) par an dans l’économie malienne.

«En 2012, au moment où toutes les aides internationales étaient suspendues, la diaspora malienne a contribué à envoyer 431 milliards de FCFA (près de 655 120 000 d’euros)», a précisé un conseiller technique au ministère des Maliens de l’extérieur, lors d’une récente conférence-débat organisé sur le sujet par l’Association malienne des expulsés (AME). Il convient de signaler que, malgré la pression économique, politique et diplomatique de Nicolas Sarkozy, le régime d’Amadou Toumani Touré dit ATT n’avait pas accepté de signer un quelconque accord avec la France si l’immigration. C’est la raison du désamour entre les deux Chefs d’Etat et aussi de la déstabilisation du Mali via la Libye.

Si Accord il y a, il doit d’abord viser à régulariser ceux qui sont déjà sur place au lieu de les rapatrier. Ensuite, il faudra aider nos Etats à maîtriser l’immigration clandestine. Et pour ce faire, nous n’avons pas besoin d’une aide financière de l’Europe. Mais, juste que ces multinationales arrêtent d’abuser de nos richesses et que les pays membres de l’UE arrêtent de déstabiliser nos Etats pour leurs intérêts politiques et géostratégiques, comme nous le vivons aujourd’hui dans notre pays et aussi en Libye, voire dans la bande sahélo-saharienne. D’où l’importance de la motion de censure déposée vendredi dernier (16 décembre) par 18 députés de l’opposition contre le gouvernement de Modibo Kéita.

Dès le début de cette polémique, nous avions souhaité une interpellation du ministre des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et de l’Intégration africaine au Parlement. Nous osons donc espérer que, même s’il y a peu de chance qu’elle emporte le gouvernement, que cette motion permette d’éclaircir cette situation on ne peut plus ambiguë !

Moussa BOLLY

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