Diplomatie : Discours de SEM Christian Rouyer

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Dans un discours des plus pathétiques, S.E. M. Christian Rouyer, a rappelé son arrivée au Mali, le 09 mars 2011, où il a découvert un peuple adorable, accueillant et besogneux.

 

Christian Rouyer
Christian Rouyer

« Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les responsables d’institutions officielles,

Mesdames et Messieurs les chefs de missions diplomatiques

Messieurs les officiers généraux et supérieurs,

Madame la Conseillère à l’Assemblée des Français de l’étranger,

Mesdames et Messieurs les Présidents d’associations,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis, chers compatriotes,

Un pincement au cœur…

D’entrée de jeu, je ne vous cacherai pas que j’ai un pincement au cœur, ce soir, en m’adressant à vous pour la dernière fois : – Un pincement au cœur car je quitte un pays que j’ai appris à aimer dans la tourmente !

Un pincement au cœur car j’ai le sentiment de laisser derrière moi de nombreux amis !

– Un pincement au cœur car j’ai l’impression de déserter, alors que le combat n’est pas fini, de quitter le navire à un moment où il n’est pas encore arrivé au port et où bien des obstacles peuvent encore surgir avant qu’il ne soit définitivement sorti d’affaire !

Un pincement au cœur, car après le temps de l’action, vient sans doute pour moi celui de la méditation, après 40 ans consacrés au service de l’Etat !

Mais c’est ainsi !

Un appel du Directeur Général de l’Administration du Quai d’Orsay

L’histoire commence par un appel du Directeur général de l’administration du Quai d’Orsay, un beau jour de la fin juillet 2010. Il m’apprit alors que notre otage Michel Germaneau était mort et qu’on songeait à moi comme Ambassadeur à Bamako. Il me demandait si j’étais éventuellement candidat ! Je ne connaissais rien au Mali. Par curiosité et un certain goût de l’aventure, j’ai accepté de relever le défi.

Convaincu qu’une des meilleures façons d’aborder une telle mission dans un pays comme le Mali, n’est pas tant de se jeter tête baissée dans l’actualité, mais plutôt d’essayer de comprendre en amont, l’âme de sa population, je me suis plongé dans les ouvrages d’écrivains comme Amadou Hampaté Bâ, Massa Makan Diabaté ou Moussa Konaté, et me suis familiarisé avec les musiciens et chanteurs maliens, comme Salif Keita, Boubacar Traoré, Amadou et Mariam et bien d’autres.

Le charme a joué

Le charme a joué et, quand j’ai posé le pied sur le sol malien le 9 mars 2011 , j’étais impatient de découvrir en profondeur le Mali dans toute sa diversité géographique et culturelle.

Vous connaissez la suite. Je ne reviendrai pas sur l’incroyable succession d’événements que nous avons vécus ensemble. Le fait est, que je repars, alors que j’ai encore beaucoup à découvrir, du pays Dogon aux confins de la région de Kayes, en passant par les trois régions du septentrion.

Je repars avec une certaine frustration

Alors, vous risquez de me revoir, dès que les circonstances le permettront, car je pars avec une certaine frustration, n’ayant vu ni le tombeau des Askia, ni la pêche miraculeuse à Bamba, ni la traversée des bœufs à Diafarabé, ni assisté à aucun festival.

Mon séjour au Mali aura pourtant constitué une expérience incomparable sur le plan professionnel et sur le plan humain, car c’est quand ils sont au pied du mur et confrontés à des situations extrêmes, qu’on peut juger les hommes et les femmes et les apprécier le mieux.

Je ne sors pas indemne de cette expérience, mais je ne la regrette pas.

Elle a conforté en moi une double conviction : – la première, c’est qu’il faut avoir le courage de dire les choses : il n’y a pas d’amitié sans franchise et une amitié qui ne résiste pas à la franchise, n’est pas une amitié ; si mes propos ont pu heurter certains amis maliens au cours des deux ans écoulés, qu’ils acceptent mes regrets, mais soient convaincus que je l’ai fait sans malveillance ni arrogance, avec la conviction que c’était pour le bien de leur pays ; de même, n’ayant jamais été animé par un esprit courtisan ou carriériste, je crois qu’il est du devoir d’un ambassadeur de parler vrai à ses autorités et d’écrire, même ce qu’elles n’ont pas envie de lire parce que cela bouscule leurs certitudes.

– la deuxième conviction, c’est que la solution de facilité est rarement une bonne solution : c’est souvent reculer pour mieux sauter, faire le jeu de l’adversaire. Quand on est confronté à une menace quelle qu’elle soit, la solution n’est pas dans la fuite, ni dans la démission face à ses responsabilités par l’application frileuse d’un principe de précaution, elle est dans la détermination à s’opposer à cette menace. Merci à la communauté française de l’avoir compris et d’être restée à Bamako dans l’adversité, malgré les pressions exercées sur elle pour qu’elle parte.

Une population victime de fautes de gouvernance

Je n’en sors pas indemne, non plus car on ne peut rester indifférent devant les malheurs d’une population avant tout victime de fautes de gouvernance, ni à ceux d’une population soumise du jour au lendemain à une loi inique et à une justice moyenâgeuse, comme ce fut le cas à Tombouctou, Gao ou Ansongo.

Je n’en sors pas indemne car je garderai à l’esprit l’image des cercueils recouverts d’un drapeau tricolore, de jeunes militaires français, tombés loin de chez eux, sur une terre étrangère pour faire reculer la bêtise, l’obscurantisme et la grande criminalité, au moment de l’ultime hommage, avant le rapatriement de leur dépouille en France.

Je ne regrette pas cette expérience

Mais je ne regrette pas cette expérience. Je crois, Mesdames et Messieurs les Ministres, qu’ensemble, chacun avec nos modestes moyens, nous avons fait œuvre utile pour tenter de sortir peu à peu le pays de l’ornière. Comme je le disais samedi dans un cercle plus restreint, vous m’avez toujours ouvert vos portes et répondu à mes appels téléphoniques, parfois à des heures indues.

Je suis heureux de partir alors qu’un chronogramme des élections se précise. J’espère que ces élections ouvriront la voie à des changements que la majorité de la population appelle de ses vœux.

Processus de reconstruction de l’Armée amorcé

Je suis heureux de voir que le processus de reconstruction de l’armée malienne est bien amorcé avec le début aujourd’hui même de la formation dispensée par la mission européenne dite EUTM, que les plaies ouvertes entre bérets rouges et verts se cicatrisent et j’ose espérer qu’elles se refermeront sous peu complètement à la faveur de nouvelles libérations.

Commission dialogue et réconciliation : Recherche de solution

Je suis heureux aussi que cette fameuse Commission dialogue et réconciliation prenne enfin corps car sa tâche est immense et chaque jour qui passe, compte pour reconstruire un tissu social sérieusement mis à mal et avoir le courage de rechercher une bonne fois pour toutes une solution aux problèmes de gouvernance et de développement qui se posent à l’ensemble du pays, mais plus particulièrement au Nord.

J’ai ressenti maintes fois cette chaleur humaine

Je ne regrette pas l’expérience car j’ai ressenti, en maintes occasions, cette incomparable chaleur humaine dont les Maliens savent faire preuve, celle dont j’ai notamment été entouré lors de déplacements à Mopti, à Kourouma ou, plus récemment, à Ouéléssébougou, celle que j’ai ressentie en partageant une fête de Tabaski à Kayes dans la famille d’un ancien ministre, ou un repas convivial chez tel ou tel d’entre vous, celle que j’ai ressentie aussi dans les messages qu’un grand nombre d’entre vous m’avez adressés à l’annonce de mon départ. La chaleur humaine, ce sont aussi ces saluts amicaux des agriculteurs dans les champs, rencontrés au fil de mes pérégrinations en début de séjour, et ces sourires d’enfants courant au devant des toubabs.

Le Mali et son peuple accueillant et besogneux

Ce séjour m’a aussi permis d’entretenir, pendant deux ans, avec l’ensemble du corps diplomatique, des relations confiantes et cordiales. J’espère que nos routes pourront se croiser de nouveau.

Le pincement au cœur, je ne l’ai pas seulement à l’idée de quitter le Mali et son peuple accueillant et besogneux, je l’ai aussi à l’idée de quitter la communauté française. Je lui dois un coup de chapeau pour son sang-froid. Je dois un coup de chapeau aux chefs d’entreprises français qui, quels que soient les obstacles qu’ils rencontrent dans le quotidien, font tourner leurs entreprises, défendent l’emploi de leurs salariés et contribuent à la croissance. Je salue aussi le travail des associations et celui des chefs d’îlot et îlotiers pour leur disponibilité et leur dévouement.

Pensée particulière aux Compagnons du Beaujolais

Permettez-moi d’avoir une pensée très particulière pour un groupe plus spécifique de compatriotes, les Compagnons du Beaujolais, bien représentés ce soir ! Ils sont un échantillon très fidèle de la diversité sociale de la communauté française, de son engagement au côté des Maliens, le reflet aussi d’un certain art de vivre français qui ne s’encombre pas de faux-semblants. Ils ont été un peu ma famille pendant ces deux ans. Je les en remercie.

Deux ans, c’est vite passé. Je me revois débarquant du vol de Paris, accueilli par un représentant du Protocole, par le Premier conseiller d’alors, Vincent Hommeril, et par les chefs de services de l’Ambassade, dont plusieurs sont en fin de séjour.

Nous avons fait un bout de route ensemble…

Si vous êtes tous ici ce soir, c’est que peu ou prou, nous avons fait pendant ces deux ans un bout de route ensemble. Votre présence est pour moi le plus beau cadeau de départ que je pouvais espérer.

Je repenserai à vous dans quelque temps, en donnant suite à un vieux rêve, celui de suivre les chemins de Compostelle. Rien de mieux pour méditer et entretenir les souvenirs, que de faire une longue route, avec la satisfaction du devoir accompli, avec la satisfaction d’être resté fidèle à soi-même, de n’avoir cédé ni aux vanités du pouvoir, ni aux tentations de l’argent et d’avoir été tout au long de sa vie un défenseur des valeurs démocratiques et des droits de l’homme.

Tous mes vœux accompagnent le Mali et les Maliens, tous mes vœux vous accompagnent chers compatriotes dans la poursuite de votre existence en terre africaine ! Je ne vous oublierai pas.

Je vous embrasse ».

 

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4 COMMENTAIRES

  1. J’ai eu le privilège de vous rencontrez a un séminaire organise par l’AMS-UNEEM dont vous étiez l’invite d’honneur, c’était au pyramide des souvenirs en décembre 2012 a bamako
    vous étés un homme juste.

  2. Bravo S.E.M ! Mission accomplie en bon soldat de la RF!
    Sans amertume, bon boulot à 80% même si KIDAL n’est pas intégré au MALI !
    Au cas où, vous ne serez plus soumis au secret professionnel, auriez-vous le courage; l’honnêteté de nous édifier sur le cas de KIDAL?
    KIDAL est-il un remix de la conférence de Berlin en 1884-1885 (tracé des frontières des pays africains) concocté par les chancelleries de l’Algérie, la Mauritanie, le Burkina-Faso, les USA et la France avec la bénédiction de l’ONU ?
    En effet, les contextes du 19e & du 21e siècle sont différents. Pour KIDAL, les enjeux divergents et antagonistes nécessitaient un compromis entre vos chancelleries très impliquées dans la résolution des problèmes du Mali. D’un côté les otages français, AREVA et de l’autre côté la sécurité pour l’Algérie.
    On nous dit pas tout (dixit Anne ROUMANOFF) !
    Pour KIDAL, ayez le courage de dire la vérité aux Maliens que vous prétendez être attaché et à vos concitoyens Français d’origine Malienne.
    Bon vent!

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