Difficile mise en place de la Ceni : La main invisible de Koulouba

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C’est un secret de Polichinelle, la composition de la CENI version 2012 divise l’ensemble de la classe politique malienne ainsi que l’administration. A ceux-ci s’ajoute les citoyens Lambdas. Si rien n’est fait pour amener les différents protagonistes à la raison, le calendrier électoral risque d’être chamboulé étant donné les leaders de l’opposition envisagent une action judiciaire au cas où leurs exigences ne seraient pas prises en compte.  Une autre conséquence de la léthargie provoquée par la constitution des membres de la CENI est relative à une éventuelle contestation des résultats des élections avec son corollaire de tensions politiques, économiques et sociales.

Dans cette confusion, certains analystes de la scène politique y voient la main invisible du président de la République. Il serait en dessous de tout cet imbroglio. Selon eux, il veut rester maître du jeu politique jusqu’au 8 juin 2012. Il sème la confusion pour que finalement la classe politique en appelle à son arbitrage. Cela lui réconfortera dans sa mission de contrôler le processus électoral du début jusqu’à la fin. Autrement dit, il veille au grin pour que celui qui lui succédera soit un de ses protégés. Pour qui connaît le rôle d’une Commission Electorale Indépendante dans le processus électoral d’un pays comme le nôtre, on comprend aisément qu’elle est au cœur même de l’organisation des élections.

Les conséquences de la gestion consensuelle du pouvoir

Que les partis politiques définissent leur position afin de faciliter la tâche à l’administration. Ils en ont été incapables. La réunion du cadre de concertation entre l’administration et les partis politiques du 14 juin 2011 au département de l’administration territoriale a étalé à la face du monde démocratique malien que la gestion consensuelle du pouvoir n’a pas produit que des effets positifs sur l’évolution démocratique. Et pour cause, dans un système démocratique, il est nécessaire d’avoir une majorité et une opposition. Des partis politiques et des hommes politiques à la recherche de strapontins qui, contre vents et marrées, contre les intérêts, les valeurs, les idéaux de leurs formations politiques ont accepté de pactiser avec le diable. Ils sont aujourd’hui mis devant les faits accomplis. A la réunion de concertation, les partis politiques ont fait face aux effets collatéraux de la gestion consensuelle du pouvoir prônée par le président ATT.

Le problème actuel

L’opposition exige la répartition selon la loi c’est-à-dire dix pour les partis politiques et cinq pour la société civile. Elle rejette de façon catégorique le  neuf, cinq, un de la majorité. La majorité présidentielle oppose donc à l’opposition la notion d’équité pour lui proposer un seul poste contre neuf. De son côté, l’opposition, se fondant sur le même principe, propose que les 10 postes de la CENI qui reviennent aux partis politiques soient repartis sur la base de cinq contre cinq. Ce qui est légal selon certains hommes de droit tel que l’ancien président de l’AMDH, ancien membre de la CENI et actuel Président de l’Union interafricaine des droits de l’homme, Me Brehima Koné. Il a suggéré un consensus pour mettre fin à ce jeu de Ping- pong. Pendant ce temps, l’opposition tient ferme sur sa compréhension de la loi et menace d’aller devant les tribunaux. Selon Dr Oumar Mariko, au cours d’une de ses sorties médiatiques, la majorité a réussi à imposer sa vision de la notion d’équité : « Cette année, la majorité voulait rééditer cet exploit en imposant à l’opposition le neuf contre un », a-t-il dit. A son avis, la majorité,  comme son gouvernement, soutient que l’équité ne signifie pas égalité. Et en procédant à une analyse de l’état des forces dans la scène politique au Mali, il n’existe à leurs yeux qu’une seule opposition : celle qui siège à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire le parti SADI. Pour lui, à ce titre la majorité estime qu’elle n’a droit qu’à un seul siège au niveau de la CENI. Et de poursuivre : « Or, pour nous, la notion d’équité repose sur des valeurs, une éthique et sur la crédibilité ». De son côté, Ouanargoum Cissé, secrétaire politique du Bara, a déclaré que : « Les partis politiques de la majorité sont dans un dispositif d’organiser la fraude lors des élections de 2012. A cet effet, ils ne souhaitent pas avoir un nombre élevé de représentants des partis politiques de l’opposition à la CENI ». Il a fustigé la volonté de la majorité d’avoir une CENI aux ordres.

L’immaturité de la classe politique malienne

Après vingt ans de pratique démocratique, les leaders politiques de notre pays semblent être figés. Ils n’ont pas évolué avec le temps. Sinon comment comprendre qu’il ait tant de problèmes pour la constitution de la CENI. On se rappelle, c’est elle-même, la classe politique bien entendu, qui avait demandé dans les années 1997, après les chaudes empoignades politiques, la mise en place de la CENI. Au Mali, on se rappelle, au lendemain des élections générales de 1992 organisées par l’Administration à l’issue de la transition démocratique jugée satisfaisant par l’opinion nationale qu’internationale. Pour la sauvegarde de la démocratie de la paix et de l’État de droit, les partis politiques de l’opposition parlementaire malienne ont, pour la plupart, déclaré accepter les résultats desdites élections, et reconnaître la légitimité des institutions qui en sont issues. Ainsi, est née la 3ème République présidée par le Président Alpha Omar Konaré. Celui-ci a donc bénéficié de l’adhésion quasi-unanime de tous les partis politiques. Il a pu ainsi, conformément à ses promesses électorales, mettre en œuvre un concept qui lui était cher, la gestion concertée du pouvoir, par la formation d’un gouvernement de large ouverture, avec la participation de la plupart des partis politiques de l’opposition.  Cette gestion concertée du pouvoir s’est concrétisée à travers le Pacte républicain élaboré et proposé à l’ensemble de la classe politique par le Président Konaré qui va pouvoir, de 1992 à 1994, présider aux destinées de la nouvelle démocratie malienne dans un contexte politique totalement apaisé. Mais à partir de 1994, les agitations scolaires et estudiantines combinées aux différentes crises sociales qui sont les conséquences de la détérioration des conditions de vie des populations, aggravée par la dévaluation du franc CFA, vont contribuer à exacerber les tensions politiques. En février 1994, les partis politiques de l’opposition qui participaient au gouvernement se sont retirés. Le climat politique se durcit et les partis politiques commencent déjà à penser à l’alternance et à s’interroger sur les conditions d’organisation d’élections transparentes et démocratiques à l’issue du 1er mandat du président Konaré. Leur principale revendication va porter sur la création d’une structure indépendance de gestion des opérations électorales, marquant ainsi leur défiance par rapport à l’administration jugée partiale. Les concertations pour l’élaboration d’une loi électorale consensuelle qui commencent entre les protagonistes dès 1995, vont s’enliser jusqu’en novembre 1996 où l’opposition, face à l’échec de l’intercession de la société civile, notamment, les confessions religieuses, l’AMDH (Association Malienne des droits de l’Homme) et des différentes chancelleries, va solliciter la médiation du barreau, pour l’élaboration d’un code électoral consensuel. Cette médiation, acceptée par les partis politiques de la majorité sous l’égide du barreau, sera unanimement saluée par l’ensemble de la classe politique et elle aboutira à l’adoption de la loi n° 97-008 du 14 janvier 1997 portant code électoral. Cette loi portant code électoral a été qualifiée de loi consensuelle. Elle a été discutée et élaborée sous l’égide du barreau, par l’ensemble des partis politiques de l’opposition et de la majorité. Ils se sont mis d’accord sur le mode de scrutin, la création d’une Commission Electorale Nationale Indépendante, sa composition, ses attributions, son mode de fonctionnement. Ce rappel historique était nécessaire pour camper le décor et permettre à nos lecteurs de s’imprégner des conditions dans lesquelles la CENI version malienne est née.

Etre membre de la CENI et le goût de l’argent

Beaucoup d’observateurs de la scène politique soutiennent que le boucan autour de la constitution bureau de la CENI a un enjeu financier colossal. Au delà des préoccupations et calculs politiques, les émoluments et autres avantages au niveau de la CENI sont très élevés. Un représentant d’un parti politique siégeant à la CENI de 2007 nous a confié qu’il a construit sa vie à la CENI. « C’est avec mon salaire, mes indemnités et autres avantages que j’ai pu acquérir un terrain, construire une maison d’une valeur de 13 millions de FCFA, acheté une voiture de marque RAV 4 à plus de 5 millions de nos francs », nous a-t-il dit et de poursuivre : « Cela après plusieurs années de travail au sein de l’administration malienne ». Que voulez-vous c’est le Mali. Ils sont nombreux ceux qui arrivent au niveau de la CENI avec cette intention  de se faire l’argent. En plus, de faire de face à leurs besoins personnels, c’est-à-dire l’amélioration de leurs conditions de vie, les représentants des partis politiques à la CENI ont un devoir moral vis-à-vis de leur formation politique. La direction du parti, à leur prise de fonction, exige un quota. Elle oblige son représentant à mettre un peu d’argent dans les caisses du parti afin de faciliter le financement des activités aux périodes des campagnes électorales. Pour comprendre les difficultés de la composition de la CENI, il est indispensable de prendre en compte le côté sous.

Moussa Mamadou Bagayoko

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