Pour relancer le dialogue inter malien afin de résoudre la crise, un homme intègre et expérimenté a été nommé par le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta en qualité de Haut Représentant du Chef de l’Etat pour le dialogue inclusif inter-malien. Il s’agit de Modibo Keïta, dernier Premier Ministre d’Alpha Oumar Konaré.
Après le premier conseil de ministres du Gouvernement Mara, le 16 avril dernier, le Président IBK avait annoncé qu’il confierai à une personnalité dont le sens de l’Etat et de la Patrie, la probité et le courage politique sont de notoriété avérée, la lourde charge de conduire, sous son autorité directe, les pourparlers, avec les groupes en rébellion certes, mais aussi, comme le stipule l’article 21 de l’Accord de Ouagadougou, avec l’ensemble des communautés du Nord, pour obtenir une paix durable conforme aux intérêts et aspiration de notre peuple. C’est désormais chose faite.
Le mardi 22 avril, le Président de la République a informé le Conseil des Ministres de la nomination de Monsieur Modibo KEITA en qualité de Haut Représentant du Chef de l’Etat pour le dialogue inclusif inter-malien.
Qui est Modibo Keïta ?
Né à Koulikoro, le 31 juillet 1942, Modibo Keïta, marié et père de 5 enfants, est un homme politique connu pour son sens élevé d’homme d’Etat de patriotisme.
Après des études secondaires 1957-1963, il est nommé instituteur en 1963 avant de poursuivre les études universitaires sanctionnées par une maîtrise de lettres modernes en 1969. Depuis, il a entamé une riche carrière professionnelle.
Carrière professionnelle :
En 1972, il est professeur de Lettres à l’Ecole normale supérieure, avant d’être nommé Directeur du centre de recherches pédagogiques et de production audiovisuelle.
En 1977, Modibo Keïta devient Directeur de l’Institut pédagogique national avant d’occuper le poste Directeur de Cabinet du Ministre de l’Education nationale en 1979.
De 1982 à 1999, il a été successivement Ministre de l’Emploi et de la Fonction publique et des Affaires étrangères et de la coopération internationale ; Ambassadeur du Mali en République fédérale d’Allemagne ; Conseiller pédagogique au Ministère de l’Education nationale ; Conseiller à l’éducation au Secrétariat Général de la Présidence et Secrétaire Général de la Présidence en 1999.
Du 18 mars 2002 au 09 juin 2002, il est nommé Premier Ministre par Alpha Oumar Konaré pour gérer la phase de l’élection présidentielle, suite à la démission du Premier Ministre Mandé Sidibé. Il sera désigné Président de la Commission préparatoire des Etats généraux sur la corruption au Mali En 2008.
Tous ces loyaux services rendus à la nation font de lui un homme expérimenté avec la probité et le courage politique avéré, d’où son choix par le Président IBK pour conduire cette lourde tâche.
Oumar KONATE
Le combat pour la réconciliation et la reconstruction nationales, quelques pistes de réflexion
Il ne s’agit pas ici de faire le récit des évènements douloureux qu’a connu le Mali et encore moins de situer les responsabilités, mais de faire un état des lieux et réfléchir comment éviter que ces évènements se reproduisent dans l’espoir d’amorcer une paix durable et pérenne au Mali en général et au Nord en particulier dans un souci de réconciliation et de reconstruction.
Au-delà même de la reconstruction physique, il s’agit de la recomposition, permanente et patiente, d’une société en état de choc. L’objet de cette contribution est d’explorer et d’analyser ces défis. Naturellement, il est toujours difficile d’étudier dans sa complexité une situation d’urgence et ses conséquences. La pacification et la réconciliation au Mali prendront du temps et les obstacles auxquels elles devront faire face seront nombreux. Elles exigeront que l’on s’engage à long terme dans la mise en place d’une structure, à tous les niveaux, qui mobilise toutes les ressources porteuses de réconciliation au sein de la société malienne et les soutiens extérieurs. L’Etat doit mettre en place un Conseil National de Dialogue et de Réconciliation qui a valeur d’institution de la République et en devrait définir les organes et les missions.
Le défi du Mali aujourd’hui est la reconstruction étant donnée l’ampleur des destructions qu’a connues le pays, mais elle va demander un effort considérable et soutenu. C’est un processus à long terme dont la première mission est de rétablir l’ordre et mettre des abris et de la nourriture à la disposition des personnes réfugiées et déplacées. Les troupes Serval et de la Minusma ayant rétablies l’intégrité territoriale du Pays doivent encadrer et coordonner tout le processus de reconstruction et de réconciliation.
Une coordination des autorités coutumières indépendante au sein d’une société civile active pourrait donc constituer une force d’équilibre nécessaire au maintien d’une culture de pacification pérenne politique et démocratique
Si les acteurs nationaux et locaux ont un rôle essentiel à jouer dans le processus de pacification et de reconstruction, les forces internationales ne seront pas moins importantes : les ONG internationales, des institutions spécialisées de l’ONU et certains gouvernements étrangers. Cependant, il faut signaler qu’ils ont souvent des intérêts très divergents qui s’inscrivent dans un ensemble souvent disparate de préoccupations nationales et internationales : les politiques étrangères, souvent peu compatibles, étant donné que la société malienne est actuellement complètement désorganisée, des intérêts étrangers financièrement puissants pourraient aisément prendre le pas sur les intérêts des populations, et, si elles sont mal contrôlées, contribuer de surcroît à aviver les rivalités en son sein. Il faut donc un processus coordonné qui prévoit en effet un effort de reconstruction à tous les niveaux qui mobilisent des acteurs divers, aussi bien maliens qu’internationaux.
Auparavant, il convient d’identifier les acteurs les plus importants de ce processus ainsi que les intérêts qu’ils défendent. Une commission indépendante d’évaluation et d’identification des différents acteurs doit être mise en place et doit prévoir que le processus de reconstruction et de réconciliation repose sur le principe d’une association aux décisions de l’ensemble des acteurs car c’est au niveau des relations interpersonnelles et des interactions les plus quotidiennes que peut surgir un potentiel positif de transformation exigeant un travail de soutien aux personnes choquées et endeuillées ; mais aussi un traitement des sentiments profonds de peur, de colère et de rancœur qui résultent du deuil, personnel ou familial
Si les principaux acteurs ne sont pas suffisamment associés au processus de réconciliation et de reconstruction, il est possible que les divisions sociales s’en trouvent avivées, ou que l’émergence de nouvelles tensions nourrisse de nouveaux conflits. En l’absence d’une véritable participation, la réconciliation et la reconstruction ne seront ni contrôlables ni transparentes. Cela pourrait susciter un mécontentement populaire, voire des réactions violentes de la part de groupes qui se sentiraient exclus. L’empoignade autour des fonds alloués au Mali pour la reconstruction, qui a déjà débuté, désigne clairement ces risques.
Par ailleurs, les tensions pourraient encore s’accroître si la conduite de la reconstruction était accaparée par des consultants internationaux, nationaux à forte rémunération, excluant les ressources humaines locales. Parmi les problèmes auxquels le processus doit faire face, l’un des plus ardus est la mobilisation, au service de la réconciliation et de la reconstruction, de milliers de jeunes chômeurs du Nord Mali sans aucune qualification. L’existence d’une population importante de jeunes chômeurs offrirait en effet les conditions de troubles sociaux graves, d’autant que nombre de ces jeunes furent fortement mobilisés par les mouvements d’occupation, les milices et certaines associations opportunistes. La reconversion de ces jeunes à travers la création de vrais emplois civils devra constituer une priorité. Aujourd’hui, il est clair pour tous que la réconciliation et la reconstruction est un processus extrêmement complexe qui répond à la concurrence d’agendas locaux, nationaux et internationaux divergents. Certaines sources potentielles de conflits sont d’ailleurs aisément repérables. Ainsi, les fonds qui affluent au Mali répondent aux besoins urgents de la reconstruction, mais amènent également le risque d’inégalités importantes, notamment entre habitants des villes et des campagnes et à l’intérieur de chacun.
Ainsi, les tensions les plus fortes résulteront, de la combinaison de divisions profondes propres à la société malienne et de l’héritage laissé par la mal gouvernance. Une reconstruction pacifiée exige une participation interactive, dans la durée, des populations locales au processus de restructuration. En effet, si les communautés n’ont pas le sentiment de s’approprier la réconciliation et la reconstruction de sa propre société, que ce soit sur le plan social, sur le plan politique ou sur le plan économique, alors les tensions vont rester très fortes et l’arrivée massive de capitaux étrangers ne fera que les accroître. Le scénario le plus inquiétant résulterait d’un processus imposé de l’étranger qui n’associerait pas les populations locales et qui ne réaliserait pas davantage une réconciliation nationale.
Aussi, les principaux éléments qui permettent de concevoir une paix durable doivent s’intégrer dans un processus d’ensemble, qui relève de plusieurs niveaux de l’activité politique, les années d’occupation ont laissé les communautés en état de choc, travaillées par des tensions sociales fondamentales et par une défiance généralisée. Les différents groupes de la société vont peut-être ou certainement connaître de nouveaux conflits qui trouveront leur origine dans la revendication de biens de toutes sortes, notamment des terres, dans des désirs de vengeance ou encore dans des querelles ancestrales entre familles ou entre clans.
Faute d’un système judiciaire effectif, les indications de délinquance et de désordre généralisé auront une fréquence alarmante. Etant donné que maintenant le processus de réconciliation et de reconstruction est effectif et en marche par les nouvelles autorité à travers le Ministère de la réconciliation nationale et du développement des régions du Nord, deux exigences éthiques me paraissent d’une importance particulière : La première, consiste à encourager le dialogue entre les acteurs du conflit puis à leur permettre de trouver des terrains d’entente en dépit de leurs différences et que le dialogue l’emporte sur la violence. La seconde c’est l’attitude à adopter à l’égard des activistes les plus extrémistes dans les zones de conflit. Faut-il les exclure du processus de reconstruction pour rompre les relations qu’ils entretiennent avec des groupes plus modérés ? Ou faut-il, au contraire, les associer à un projet de pacification aussi large que possible ?
Cependant, le dialogue ne peut, seul, résoudre tous les problèmes, il doit se doubler d’une éthique de la différence qui supposerait de créer les conditions nécessaires pour que les différents « ennemis » puissent dialoguer et vivre ensemble sans que leurs interactions dégénèrent en violence. Il nous semble que trois enjeux joueront un rôle déterminant dans le processus de passage à la paix : la réconciliation nationale ; la mise en place d’institutions démocratiques solides ; et la promotion du bon voisinage transfrontalier.
Ainsi, il est nécessaire de mettre en place un processus dont l’aspect essentiel de la réconciliation et de la reconstruction sera de les penser au-delà de la seule punition des responsables des actes de toutes sortes mais concilier le souci des traumatismes du passé à celui d’un avenir plus paisible. C’est dans le domaine de la réconciliation que l’interaction entre promotion du dialogue et acceptation de la différence va jouer le rôle le plus crucial. Comment, en effet, envisager de construire un avenir de paix sur la base d’un passé de violence ? Plus précisément, comment traiter les souvenirs de douleur et de mort qu’ont engendrés des décennies de mal gouvernance, de corruption, de rebellions récurrentes, d’autorisation de création de milices ou d’associations apparentées et de forces de sécurité incontrôlées ? De quoi, et de quelle manière, faut-il se souvenir ? Que faut-il oublier ? Est-il suffisant de punir les auteurs d’un crime pour que l’on puisse parler de justice ? L’amnistie est-elle une solution ? Si oui, pourquoi ? Si non, pourquoi pas ? Etc.
En fait, pour que le processus de réconciliation soit un succès, il devra combiner recherche de la justice et capacité de pardon. Bien sûr, un devoir de mémoire s’applique aux horreurs du passé, et de ce devoir résultent des actes nécessaires, dont les poursuites à l’encontre de personnes coupables de crimes contre l’humanité. L’instruction de tels dossiers a également la fonction essentielle d’offrir aux victimes une certaine reconnaissance publique de leur souffrance. Au-delà même des procédures judiciaires, le dévoilement et l’analyse historique des crimes du passé peuvent faciliter la guérison et la réhabilitation des victimes. Encore faut-il déterminer de quoi précisément il faut garder le souvenir, et quoi, inversement, doit s’oublier. Et qui, d’ailleurs, doit en décider ? Ces questions sont sans réponse en dehors d’un processus dialogique inscrit dans la durée et ouvert le plus largement possible aux différentes composantes de la société.
Une reconstruction pacifique et durable du Mali en général et du Nord en particulier passe par l’acceptation de la différence, quitte, pour chacun, à vivre en paix aux côtés de ses ennemis. Pour que naisse l’espoir, il faut que les représentants des populations locales, les dirigeants nationaux, les organisations internationales enfin bref, tous ceux qui prennent part à la reconstruction et à la réconciliation du territoire doivent relever le défi d’un avenir qui transforme les restes d’un passé de violence en modes plus paisibles d’interaction humaine.
Mohamedoun Ag Hamalouta, Economiste, Animateur du Territoire
Email : timtars@yahoo.fr. Tel : 00 (223) 67 88 63 73
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