Treize ans après la révolution du 26 mars 1991 et l”entrée du Mali dans l”ère démocratique, ce pays est certainement celui qui aura le mieux franchi les étapes d”un processus dans lequel se sont engagés les pays d”Afrique sub-saharienne à la fin des années 1990. Pourtant, l”affirmation progressive de cet "ancrage démocratique" devenu la marque distinctive du pays n”a pas toujours été un chemin de roses.
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Alpha Oumar Konaré, qui gouverna le pays de 1992 à 2002, aura essuyé les plâtres d”un processus qu”il voulait voir se transformer, pour l”ensemble des Maliens, en une véritable culture partagée par tous. Ce que l”on désignera plus tard comme "l”exception malienne", reposait, au départ, sur une profession de foi collective de l”ensemble des acteurs politiques maliens, résumée en ces termes par Alpha Oumar Konaré : "La démocratie fait désormais partie de notre patrimoine". Incarnation et symbole du tournant démocratique opéré en 1991, Alpha Oumar Konaré se retirera du pouvoir en 2002, après avoir assuré deux mandats de cinq ans, conformément aux prescriptions de la Constitution malienne. L”alternance politique a pleinement opéré, dans un climat pacifique.
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Son successeur Amadou Toumani Touré, élu le 12 mai 2002, imprime désormais sa marque personnelle au sommet de l”État. Il s”appuie sur les acquis antérieurs pour les amplifier et, ce faisant, libérer les capacités du pays pour gagner le seul combat qui vaille désormais : celui du "développement et du bien-être des Maliens et des Maliennes".
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La première période du processus fut jalonnée de tensions, de vives oppositions et de multiples menaces contre la jeune démocratie. Il est vrai que les années Konaré furent caractérisées, entre autres, par l”aptitude quasi miraculeuse du régime à surfer entre les périls, à gérer d”interminables contentieux avec ses adversaires – dont certains furent des alliés des premières heures de la "révolution" – et à éviter un retour en arrière en sombrant dans le chaos des luttes politiciennes. Le pire a été évité. Et ce avec d”autant plus de mérite que les dangers qui menaçaient le processus étaient davantage perceptibles de l”intérieur du pays que de l”extérieur.
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De fait, durant toutes ces années de houleuse édification de la démocratie, le pays a continué à présenter, au-delà de ses frontières, une image politiquement exemplaire. En cela, le coefficient personnel du président Konaré aura été déterminant, l”homme étant reconnu comme un "communicateur" hors pair. Il n”a cessé de promouvoir, sur toutes les tribunes du monde, les avancées de la "démocratie malienne" et de dessiner les contours de la "voie malienne", tout en faisant face aux convulsions et remous qui agitaient la vie politique à l”intérieur. Et si le processus a su éviter au pays de basculer dans la violence, c”est parce qu”au-delà des affrontements politiciens, tous les acteurs avaient en partage un idéal commun : la sauvegarde du système issu de la "révolution du 26 mars 1991" qui avait mis fin à la dictature.
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Les divergences qui ont marqué la première époque de la démocratie malienne portaient donc non pas sur la remise en cause du processus démocratique, mais sur la "meilleure manière" de le gérer, et surtout sur une définition comprise et acceptée de tous du nouvel espace politique et des règles qui allaient le régir, s”agissant notamment des rapports entre le pouvoir et son opposition, entre le pouvoir et les différents contre-pouvoirs. L”une des étapes de cette nouvelle configuration sera la proposition, introduite au Parlement durant l”ère Konaré, d”instituer un "statut de l”opposition", incluant notamment le système de financement des partis politiques afin de pallier les inégalités de moyens dans les compétitions électorales.
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La "révolution du 26 mars"
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A l”origine donc du renouveau démocratique, il y eut la "révolution du 26 mars 1991", marquée par la chute du dictateur Moussa Traoré, au pouvoir depuis novembre 1968. Lui-même avait accédé au sommet de l”État à la faveur d”un coup d”État perpétré contre le "père de la nation", Modibo Keita, qui dirigeait le pays depuis son accession à l”indépendance en 1960, selon les principes du socialisme d”État. Le règne de Moussa Traoré – régime autoritaire de parti unique – sera marqué par des atteintes systématiques aux libertés publiques, la déliquescence de l”économie nationale et des crises politiques à répétition, dont l”une des plus graves débouchera sur la mort en détention de l”ancien président Modibo Keita, probablement assassiné.
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La faillite patente du pays conduit le régime, à l”instar de nombreux autres pays du continent, à appliquer sans aucune restriction, dès le milieu des années 1980, les programmes d”ajustement structurel prescrits par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Des programmes appliqués à la hussarde par un régime dépourvu d”initiative et de capacité de rebond, déjà emporté dans le trou noir de sa propre faillite. Les manifestations de protestation se multiplieront dans le pays, souvent discrètement encadrées ou organisées par plusieurs groupements à caractère politique créés dans la clandestinité, desquels émergeront bientôt les "sensibilités" qui investiront le champ politique à l”heure de l”instauration de la démocratie.
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Du 22 au 25 mars 1991, le Mali connaîtra ce qu”on appellera les "journées folles", à savoir des affrontements généralisés entre manifestants civils et les forces de l”ordre qui n”hésitent pas à tirer sur les foules. C”est dans cette atmosphère quasi insurrectionnelle qu”une partie de l”armée entre en scène pour démettre le président Moussa Traoré de ses fonctions et le mettre aux arrêts (condamné à mort en 1993 au terme d”un procès jugé exemplaire par tous les observateurs, Moussa Traoré sera gracié par le président Alpha Oumar Konaré puis libéré le 19 mai 2002, après dix années de détention).
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À la tête de ces putschistes, qui reçoivent d”emblée l”onction populaire en qualité de "libérateurs", un certain lieutenant-colonel Amani Toumani Touré dirige un Comité militaire de réconciliation nationale. Ce comité sera par la suite relayé par un Conseil de transition pour le salut du peuple (CTSP), toujours sous la présidence d”Amani Toumani Touré – désigné par l”opinion par les trois lettres "ATT", un surnom définitivement adopté à travers le monde. Pour celui qui avoue n”avoir, avant le 26 mars 1991, "jamais été préparé à exercer le métier de président", c”est un véritable baptême politique. Le CTSP rétablit les libertés publiques et, de 1991 à 1992, "ATT" organise méthodiquement la transition vers la démocratie.
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L”un des instruments majeurs de cette transition fut la tenue d”une Conférence nationale réunissant toutes les "forces vives de la nation", sorte d”États généraux chargés d”établir le bilan politique, économique, social, voire moral du pays. Les acteurs de cette conférence se sont inspirés, en spectateurs attentifs, de la première Conférence nationale jamais organisée, qui avait permis en 1990 au Bénin voisin d”opérer, quasi miraculeusement, un changement inédit de régime politique, passant d”une dictature militaire à une démocratie pluraliste sans la moindre manifestation de violence. De la même manière, la Conférence nationale malienne décrète la restauration de la démocratie, consacre le pluralisme et propose un régime politique de type présidentiel, le tout inscrit dans une nouvelle Constitution qui sera adoptée par référendum le 12 janvier 1992.
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"ATT" veille à l”organisation et à la tenue d”élections libres – municipales, législatives et présidentielle – et rend les clés du pouvoir après la proclamation de la victoire du premier président élu en démocratie, Alpha Oumar Konaré, le 8 juin 1992. C”est la naissance de la IIIe République. Le départ de "ATT", qui s”était gardé de participer à la compétition électorale, est salué par l”ensemble de la communauté internationale. Il fait figure, depuis, de cas d”école.
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La "flamme de la paix" avec les Touaregs
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Alpha Oumar Konaré préside désormais aux destinées du pays, soutenu principalement par l”Adema (Alliance pour la démocratie au Mali), sa formation politique. Un parti imprégné d”idéaux révolutionnaires et qui a mené durant les années de clandestinité une réflexion approfondie sur une "nouvelle manière de gouverner", fondée sur une politique de "rupture" et de réformes. Parmi les actes majeurs posés par le régime, on retiendra la résolution d”un conflit qui durait depuis plus d”une décennie dans le nord du pays, issu de revendications politiques de l”ethnie touareg et alimenté par des affrontements récurrents entre groupes armés et troupes gouvernementales.
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En 1992, Alpha Oumar Konaré initie un "Pacte de paix" avec les représentants des combattants touaregs. Ce pacte sera à plusieurs reprises mis à mal par de nouveaux accès de violence : la fin officielle de ce qu”il est convenu d”appeler le conflit touareg n”interviendra qu”en 1996, lors d”une cérémonie de "la flamme de la paix", durant laquelle quelque trois mille armes appartenant aux groupes armés touaregs sont symboliquement brûlés. Depuis, chaque année à la date du 29 mars, les Maliens commémorent sur l”ensemble du territoire cette flamme de la paix.
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En arrivant à la tête du Mali, Alpha Oumar Konaré héritait d”un pays à maints égards sinistré. Mais c”est l”optimisme chevillé au corps que le nouveau président aborde son mandat, convaincu qu”avec toutes les idées élaborées avec ses compagnons durant les années où, dans le secret, ils s”appliquaient à inventer des lendemains radieux pour le Mali, il parviendrait a opérer un tournant décisif. Mais, très vite, le train de réformes qui devait servir de moteur à la nouvelle "culture politique", va se heurter à plusieurs écueils : la réalité d”un pays classé parmi les dix plus pauvres du monde ; la confrontation du projet et des contraintes extérieures, essentiellement les exigences des bailleurs de fonds ; la gestion des attentes multiformes et impatientes des acteurs sociaux et politiques à l”intérieur ; enfin la difficulté à contenir les dérives systémiques et individuelles au sein même du régime – corruption, guerre de succession, politisation extrême de la gestion des affaires publiques – provoquées par l”habitude ou la dégradation du pouvoir. Tout cela marquera d”une tache sombre les dernières années de la présidence d”Alpha Oumar Konaré.
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Ces années font en effet du Mali une zone de haute tension politique : grèves spectaculaires et interminables d”étudiants, échanges véhéments aux allures de prémisses de guerre civile au sein du Parlement, crises internes des partis politiques soutenant le pouvoir et création de nouveaux partis allant rejoindre le camp de l”opposition, tentatives de réconciliation et de dialogue toujours contrariées, voire impossibles entre les protagonistes de ce qui deviendra une crise politique récurrente.
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Il n”empêche, c”est avec une réputation de démocratie exemplaire, maintenue contre vents et marées, que le Mali vivra les années Konaré. Une exemplarité souvent contestée par l”opposition qui n”hésitera pas, aux plus chaudes heures de ses affrontements avec le pouvoir, à accuser ce dernier de "dérive autoritaire". Les opposants usent aussi de "l”arme fatale" du boycott des élections, espérant ainsi jeter un discrédit sur le régime et, partant, démontrer à l”adresse de l”opinion internationale que le fameux "modèle malien" était pure mystification.
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"Idéal socialiste" et "réalisme mondialiste"
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Pourtant, Alpha Oumar Konaré se retrouvera pratiquement sans challenger et gagnera une nouvelle présidentielle, en 1997, avec un score embarrassant de plus de 80 % des voix, pour un deuxième et dernier mandat. Politicien doué, expert en rhétorique et champion du paradoxe, il poursuivra son chemin avec le même credo : œuvrer à la pérennisation d”une culture démocratique malienne. Le message est bien reçu par les bailleurs de fonds et les partenaires pour le développement, dont les États-Unis d”Amérique. Ceux-ci se montrent très généreux à l”égard du Mali, dont les programmes de développement sont abondamment financés.
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Du coup, la politique du gouvernement ressemble aux deux faces d”une même médaille : d”un côté, la fidélité à un discours "social", voire "socialisant" ; de l”autre, l”adhésion aux règles et prescriptions libérales. En somme, une composition aujourd”hui éprouvée relevant d”un compromis schizophrénique entre "l”idéal socialiste" et le "réalisme mondialiste"…
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L”ère Konaré aura été celle des réformes engagées tous azimuts et dans de nombreux secteurs, notamment l”éducation, la santé, et surtout la réforme de l”État visant à faire de la décentralisation "le socle de la démocratie malienne". Des réformes sophistiquées, mais généralement plombées par une situation politique délétère, par la mise en œuvre hasardeuse des programmes d”ajustement structurel, plus tard par la corruption dans les cercles du pouvoir.
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Si le pire n”est jamais sûr au Mali, c”est qu”en arrière plan d”un tableau agité, ce pays a, malgré tout, poursuivi son parcours vers l”affirmation de sa spécificité. Dès la restauration de la démocratie, furent instituées ce qu”on appelle les "interpellations populaires" : Sorte d” "agoras", elles avaient lieu un jour par semaine, durant lequel les citoyens pouvaient rencontrer les responsables politiques – gouvernants et autres acteurs – dans un espace ouvert. Ces séances de questions-réponses, souvent très animées, permettaient de recueillir des explications sur le sens et le bien-fondé des projets du gouvernement et des diverses options politiques, économiques et sociales de l”État. Dans un pays où la contradiction et l”exercice de la parole relèvent de l”art social, c”était un moyen de rechercher, au-delà de toutes les confrontations, la manifestation du compromis, de souscrire à la nécessité de la sauvegarde du bien commun et aux règles universelles de la praxis politique.
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En se retirant du sommet de l”État dans le strict respect de la loi fondamentale, Alpha Oumar Konaré a définitivement inscrit son empreinte dans la construction de la destinée collective de son pays. Un an après son départ du pouvoir, il sera élu à la présidence de la Commission de l”Union africaine… Lors des élections de 2002 – auxquelles il ne participe pas -, il surprend une fois encore, en apportant discrètement son soutien non pas au candidat de son parti, mais à l”ancien général Amani Toumani Touré, revenu sur la scène politique et qui se présente à la présidentielle sans formation politique.
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Le retour d”"ATT"
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À 53 ans, jouissant d”un capital d”estime exceptionnel aussi bien à l”intérieur qu”à l”extérieur de son pays, "ATT" remporte donc les élections, le 12 mai 2002, avec 64,35 % des voix. C”est encore un chapitre de la démocratie malienne qui s”ouvre. Le nouveau président associe à son gouvernement la quasi-totalité des formations politiques du pays, qui lui apportent un soutien sans réserve. Du coup, ce "président sans parti" se retrouve pratiquement sans opposition.
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On craint alors que la démocratie malienne ne se réduise à une manière de compromis global, sans contre-pouvoir et sans le débat contradictoire en l”absence duquel une démocratie ne serait que vue de l”esprit. Mais il n”en est rien. Le Mali, avec Amadou Toumani Touré, dessine, depuis 2002, un nouvel espace politique qui, sans renvoyer aux clivages et frontières classiques entre deux camps politiques dressés en permanence l”un contre l”autre, ne s”expose pas pour autant aux tentations d”un système de connivences, voire du monolithisme. Les formations politiques représentées au gouvernement conservent toute leur autonomie d”action et de jugement – elles ont d”ailleurs retrouvé toutes les vertus de la compétition lors des élections locales de juin 2004.
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Transposant au Parlement les fameuses "interpellations populaires" du régime Konaré, les parlementaires "interpellent" régulièrement les membres du gouvernement, avec exigence et vigilance, sur leurs initiatives et leurs programmes. Il semble même que, liés par ce contrat social et politique d”un type inédit, les membres du gouvernement se sentent investis d”un surcroît de devoir envers la population, et se montrent davantage conscients de leur "obligation de résultats".
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Amani Toumani Touré instaure donc le "consensus" comme un système de gouvernement. Comme il le précisera plus tard, "la gestion consensuelle des affaires publiques est une école d”humilité et de modestie. Ce consensus ne signifie nullement absence de divergences ou d”opposition ; il nous oblige tout simplement à les dépasser par la voie du dialogue et de la concertation". Commentaire de Choguel Maïga, ministre de l”industrie et du commerce et leader du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), l”une des formations présentes au gouvernement : "Nous sommes en train de vivre une expérience certes inédite, mais historiquement et politiquement nécessaire. (…) Au-delà de l”expérience actuelle, nous serons amenés un jour ou l”autre, ne serait-ce que lorsque le président Touré quittera le pouvoir, à retrouver de nouveau le schéma classique d”une majorité et d”une opposition, avec de nouvelles règles en fonction des besoins historiques du moment. (…) Le jeu politique n”est pas une fin en soi. Ses règles doivent être fixées dans le seul but qui vaille : œuvrer au développement économique et au progrès social…"
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Un "exemple économique"
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Pour faire aboutir son programme économique, le régime compte essentiellement sur la préservation de la paix sociale. Il faut dire que, pour la première fois depuis dix ans, le pays n”a plus connu de manifestations sociales ou ces grèves scolaires qui étaient devenues une caractéristique malienne. Toutefois, l”embellie économique soulignée par la communauté des bailleurs des fonds ne se traduit pas encore concrètement par une amélioration du panier de la ménagère. Avec 6 % de croissance et un taux d”inflation "négatif ", le Mali est considéré comme un "exemple économique" dans la sous-région d”Afrique occidentale. Mais le régime pense qu”il lui faudra encore améliorer l”indice de croissance, afin de satisfaire tous les besoins ordinaires des citoyens.
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Pays pauvre, le Mali a été admis, dès 1998, par les bailleurs de fonds, à bénéficier parmi les premiers de "l”Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE)". L”Association internationale de développement (IDA) du Groupe de la Banque mondiale et le FMI avaient indiqué, en 2000, que le pays avait "atteint le point d”achèvement au titre du cadre initial de l”Initiative (…) et peut donc commencer à bénéficier de manière irrévocable d”un allègement du service de la dette de 220 millions de dollars…". Avec les résultats enregistrés en 2003, le régime malien est assuré de bénéficier d”une procédure d”allègement ou d”abandon de la dette pour une valeur de 30 milliards de F CFA par an sur une période de trente ans.
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Ayant rempli les critères du PPTE en matière d”assainissement économique et de mesures structurelles, le Mali n”est plus, en principe, soumis aux contraintes des programmes prescrits par le FMI. Mais la situation économique étant à maints égards très fragile, le pays devra encore avoir recours aux ordonnances des programmes "d”ajustement renforcé". L”encours de la dette extérieure représente 62 % du PIB (2 763 milliards de F CFA).
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Il fallut donc initier de nouvelles réformes structurelles. Mais le programme mis en place en 2002 allait malheureusement souffrir des conséquences de la crise en Côte d”Ivoire, qui a entraîné pour le Mali, entre septembre 2002 et décembre 2003, une perte de recettes de près de 60 milliards de F CFA. Il faut dire que 70 % du trafic commercial du pays était réalisé à partir du port d”Abidjan. Menacé de désorganisation soudaine de ses circuits traditionnels, l”État malien a dû trouver sans délai d”autres voies pour acheminer ses flux de marchandises, en se tournant vers des pays tels que le Bénin, le Togo, le Ghana, l”Algérie et la Mauritanie.
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Il a aussi bénéficié d”une confiance accrue de ses partenaires en développement, qui approuvent "la remarquable capacité du pays à mobiliser les ressources extérieures pour financer les actions stratégiques du gouvernement". C”est dans ce contexte que Bamako a obtenu, en 2003, le soutien de la Banque africaine de développement, de l”UE et des Pays-Bas. En décembre 2003, plus de 40 milliards de F CFA étaient mobilisés en faveur du Mali, dont 27 milliards accordés par l”Union européenne, complétés de dons d”urgence destinés à amortir les effets de la crise ivoirienne.
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De vastes chantiers
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Devenu premier producteur de coton africain en 2003 (600 000 tonnes), le Mali met en place un ambitieux programme industriel de transformation de ce produit. Sachant que seulement 0,8 % du coton est traité sur place, les pouvoirs publics souhaitent que ce chiffre atteigne les 15 % d”ici cinq ans, et bien plus dans vingt ans. Même orientation pour la deuxième ressource majeure du pays, l”or, dont le Mali est devenu le troisième producteur sur le continent. Enfin, si le Mali, malgré les aléas climatiques, s”est hissé au rang du plus grand exportateur de produits vivriers de la sous-région, la transformation des ressources naturelles est devenu le principal objectif d”une politique de revitalisation des secteurs cardinaux de l”agriculture, du commerce et de l”industrie. Dans ce dernier domaine, il s”agit d”organiser l”exploitation d”autres ressources naturelles telles que le phosphate, le kaolin, la bauxite, le fer, le manganèse ou l”étain.
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Une autre priorité est la mise en œuvre d”une politique des transports et des télécommunications. Pays enclavé de 1 240 million de km2 pour 11 millions d”habitants, avec seulement 2 % de terres cultivées, le Mali, aux deux tiers semi désertique, partage des frontières avec sept pays (Sénégal, Mauritanie, Burkina Faso, Niger, Algérie, Côte d”Ivoire et Guinée). L”enclavement a de tout temps constitué pour ce pays de l”hinterland un obstacle majeur. Il s”agit à présent de transformer ce handicap en avantage en développant les axes de communication vers les pays frontaliers et en réduisant les distances entre les régions rurales productrices et les zones de consommation ; en somme, de réussir le double pari d”un désenclavement tant intérieur qu”extérieur. L”année 2004 verra le démarrage du Projet intérimaire des transports : 54 milliards de FCFA seront investis dans la remise en état des infrastructures routières, ferroviaires et fluviales, et l”achèvement de la restructuration des aéroports du Mali.
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D”autres secteurs clés de l”action gouvernementale sont l”éducation, la santé et l”emploi, celui des jeunes particulièrement. Et aussi, la maîtrise de l”eau dans un pays où la pluie est une ressource rare. Grâce à l”appui d”une nouvelle Agence malienne pour l”eau potable, en partenariat avec la Banque africaine de développement, un Plan national d”accès à l”eau sera mis en oeuvre pour la période 2004-2015, permettant la création de 10 000 nouveaux points d”eau modernes dans les zones non encore desservies.
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Autant de vastes chantiers pour un pouvoir conscient des défis, des nombreuses difficultés structurelles et des résistances, notamment la persistance de certaines mauvaises habitudes que l”on voudrait révolues, telles que la corruption ou la politisation excessive des secteurs de l”administration publique. Alors que, dans la sous-région, le Mali est considéré comme le pays qui offre aujourd”hui le plus vaste champ d”opportunités aux investisseurs et partenaires industriels, la question demeure de savoir comment l”État pourra remplir toutes les charges qu”il s”impose en un mandat de cinq ans.
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Pour tenir ses promesses face aux impatiences qui pourraient se manifester de nouveau sur le front des revendications sociales, le président Amadou Toumani Touré, souhaite, à l”égard de ses ministres, "promouvoir la culture de la récompense et aussi de la sanction". Après un premier gouvernement de "consensus", le chef de l”État a procédé, le 4 mai 2004, à un profond remaniement ministériel. Avec la nomination d”un nouveau premier ministre en la personne d”Ousmane Issoufi Maïga, "ATT" invite la nouvelle équipe – un "gouvernement de travail", supposé rompre avec le précédent conglomérat de représentants de formations politiques – à renouer avec le " sens de la mission [par] une gestion saine et transparente des affaires publiques, domaniales et foncières et une saine distribution de la justice où l”éthique, le droit et l”équité retrouvent droit de cité…".
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Avec un mélange de lucidité, de pragmatisme et de volontarisme, "ATT" voudrait s”appuyer sur la confiance des Maliens et sur la maturité démocratique du pays pour donner corps à son projet. Pour l”heure, la majorité des citoyens attendent encore une amélioration sensible de leurs conditions de vie. Et le président sait qu”il lui faudra, en plus du soutien et de la participation de ses concitoyens, mettre le temps de son côté.
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Journaliste, chargé de cours de géopolitique à l”Essec (Paris)
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