Le Mali et la pratique de la démocratie : Une réforme constitutionnelle pourquoi ?

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Jusque-là, les réactions à la proposition de réforme constitutionnelle du président de la République ont consisté principalement soit en un rejet de certaines de ses dispositions, à des propositions de reformulation en certains de ses articles, ou à souligner l’inopportunité de certains changements proposés…

 

Il y a en effet lieu de se demander sur les raisons d’une telle annonce, qui en réalité n’en est vraiment pas une, à ce moment précis où la réforme est sur l’agenda de l’Assemblée Nationale et qu’elle est prévue pour être soumise à référendum en 2011. Tout indique que l’entrée des partis qui se sont déclarés de l’opposition dans un prochain gouvernement ne peut que profiter politiquement au président de la république et à lui seul, car le plus grand nombre de partis au gouvernement ne peut qu’assurer une large victoire du OUI au référendum.  Mais que gagneront ces partis à entrer dans un gouvernement dont les jours sont comptés et alors que des échéances électorales d’une grande importance sont pour bientôt ? Sinon de profiter de leur présence au gouvernement pour préparer les présidentielles ? Mais ne risquent-ils pas aussi d’être comptables du bilan d’A.T.Touré et des partis qui ont jusque-là été à ses côtés et ne pas pouvoir ainsi se positionner par rapport à (contre) eux, le temps de la campagne venu ?

 

Le seul homme politique qui jusqu’à ce jour s’est montré très critique vis-à-vis de cette réforme est l’ancien premier ministre de la Transition Zoumana Sacko qui a surtout rejeté la manière et l’opportunité de la réforme tout en lui trouvant des raisons inavouées. Alors que c’est la question même du pourquoi de la réforme qui, à nos yeux, mérite véritablement un questionnement. Pourquoi réformer alors que rien, dans les faits qui ont jalonné la petite histoire des institutions mises en place par cette constitution, n’est venu ébranler l’édifice au point de nécessiter une réforme d’une telle ampleur qui, selon certains analystes, vient plutôt renforcer les prérogatives du président de la République et porter ainsi un coup à l’équilibre des pouvoirs ? 

 

 

Les institutions à l’épreuve des faits, des pratiques  et des stratégies des acteurs politiques

 

1-Dans l’histoire du processus démocratique en cours au Mali, on peut distinguer deux grandes périodes ; la première qui va de 1992 à 2002 avec la présidence de Alpha Omar Konaré et la période 2002 à nos jours avec le président Amadou Toumani Touré. Ces deux périodes ne se distinguent pas seulement par la personnalité contrastée des deux chefs d’Etat, le premier un intellectuel rompu à la politique et le second, un militaire sans parti dont la légitimité tient au fait d’avoir été à la tête du groupe d’officiers militaires qui a renversé le régime autoritaire de la deuxième République. Mais surtout d’être parti du pouvoir après avoir organisé avec succès la Conférence nationale et mené le pays vers la démocratie après une transition et des élections réussies. Les deux périodes se distinguent aussi par le contexte politique, social et économique dans lequel les deux pouvoirs ont évolué.

 

La démocratie à rude épreuve  ou le règne des partis politiques

 

2-Arrivé aux lendemains des graves troubles qui ont secoué le Mali, le pouvoir d’Alpha O. Konaré, marqué par une crise sociale et politique permanente était fragilisé par l’affaiblissement de l’Etat consécutif à la contestation sociale qui s’est poursuivie bien après la restauration de l’ordre constitutionnel. La période immédiate de l’après Transition qui a vu l’organisation d’élections jugées crédibles et transparentes a ainsi été très mouvementée. Et alors qu’on aurait pu s’attendre à voir un climat social et politique apaisé, on a plutôt assisté à la résurgence de la contestation sur tous les fronts. Le mouvement social mené principalement par la jeunesse scolaire a peu faibli et s’est poursuivi encore durant toute la première partie du premier mandat présidentiel.

 

Le premier quinquennat d’Alpha O. Konaré, période d’apprentissage de la pratique institutionnelle et aussi démocratique, a donc été une période particulièrement difficile du fait notamment d’un conflit persistant entre acteurs politiques et entre le pouvoir et les différents acteurs sociaux que sont notamment les syndicats et surtout l’association des scolaires, l’AEEM.  Mais malgré les difficultés de tous genres auxquelles le pays a été confronté, le premier quinquennat d’A. O. Konaré et la première législature de l’Assemblée Nationale sont bien arrivés à terme. En 1997, furent organisées les deuxièmes élections pluralistes dont les conditions d’organisation ont été dénoncées par les partis d’opposition et les résultats contestés ce qui n’a pas manqué de plonger le pays dans une seconde crise qui a sérieusement handicapé la vie politique.

 

3-Malgré tous ces conflits et une tension sociale qui n’a jamais baissé, les différentes institutions mises en place, pour leur quasi-totalité pendant cette période, n’ont-elles pas malgré tout fonctionné ? Ne sont-elles pas montrées efficaces, au-delà des limites que certainement on peut leur trouver, dans leur rôle de régulateur du jeu politique et dans l’équilibre des différents pouvoirs ? Si elles ont pu connaitre des ratés, elles ne se sont cependant pas effondrées et le Mali n’a pas connu de crise majeure ayant débouché à une paralysie du système. Aussi ne peut-on pas supposer que si le système a pu surmonter toutes ces difficultés, que les institutions ne se sont pas effondrées malgré toutes les crises que le pays a connues, c’est qu’après tout elles ont fonctionné et ont efficacement joué leur rôle dans la gestion des crises et dans l’équilibre des forces en présence ? Reste à savoir quelles sont les limites et les ratés qui n’ont pas pu permettre aux institutions non pas d’empêcher les crises, parfois salutaires, mais de faire en sorte qu’elles puissent s’exprimer dans les cadres et selon les conditions prévus.

 

La capture de l’opposition  et la montée en puissance des « sans- partis »

 

4-De 2002 à 2007 par contre, c’est-à-dire durant le premier mandat d’Amadou T. Touré, on a assisté à une certaine accalmie, notamment au plan social et, dans une large mesure, au plan politique avec l’entrée au gouvernement des principaux acteurs politiques du moment. Les seuls troubles existant venaient du front social sans pouvoir trouver de relais au plan politique. Même au cours de ce deuxième mandat du président Touré, alors que la coalition au pouvoir s’est quelque peu effritée avec le départ du gouvernement d’un certain nombre de partis aux lendemains des élections présidentielles de 2007, le climat politique est loin d’être surchauffé.

 

Avec le président A.T.Touré, les différentes institutions mises en place n’ont, pour leur quasi-totalité, guère fonctionné. Avec la présence de tous les grands partis au gouvernement et à l’Assemblée Nationale, au nom de la démocratie consensuelle, la situation sociopolitique est restée relativement calme. Et puis il faut dire qu’après 10 ans de pratique, les institutions étaient dans une phase de fonctionnement routinier et ont pu par conséquent su maitriser les situations de crise.

 

L’efficace de la routinisation des institutions a certainement eu un effet stabilisateur sur le système au cours des deux quinquennats d’A. T. Touré, mais tout porte à penser aussi que le système s’est montré d’autant plus efficace dans le traitement des crises qu’il aura réussi à affaiblir certains acteurs politiques et à faire participer d’autres à la gestion des affaires de l’Etat, du moins ceux-là qui s’étaient montrés les plus farouches opposants au pouvoir de Alpha O. Konaré.

 

5-Mais, les deux périodes se distinguent surtout par le mode de gouvernance que chacun des deux chefs d’Etat aura tenté avec plus ou moins de bonheur d’instaurer. Avec A. O. Konaré, fut expérimentée, sous la conduite de l’ADEMA, le parti majoritaire de l’époque, ce qu’on a appelé la « gestion concertée des institutions » afin de gérer une situation difficile née des troubles ayant présidé à l’avènement de la troisième république. Avec A. T Touré, on a parle plutôt de « démocratie consensuelle ».

 

Si « la gestion concertée » n’a pu rassembler que quelques petites formations autour d’un Pacte dit républicain, qui n’aura duré que le temps pour ces partis de constater leur marginalisation au sein du gouvernement, la « démocratie consensuelle » aura par contre relativement bien fonctionné. Son initiateur, fort de sa légitimité acquise pendant la période transitoire, s’est présenté devant les électeurs en candidat indépendant qui a joué au rassembleur face à des partis divisés, incapables de trouver en leur sein des candidats pour les élections présidentielles. Mais la « démocratie consensuelle » n’a-t-elle pas bien fonctionné aussi parce qu’elle a été accompagnée par une dé-crédibilisation des partis politiques et la promotion des candidatures indépendantes lors des élections législatives et municipales qui ont suivi l’élection du président ?

 

De la surpolitisation à la sous politisation :  contre les institutions, les cadres de concertation

 

6-Ainsi, tandis que durant la présidence de Alpha O. Konaré on a assisté à une instabilité politique, résultant de la surpolitisation de la vie politique marquée par l’échec de tout dialogue entre le pouvoir en place et la classe politique, avec Amadou T. Touré, on assiste à une relative stabilité politique, favorisée par une sous-politisation de la vie politique. Ce qui a eu pour conséquence le discrédit des partis politiques et des acteurs de la classe politique et l’émergence de figures de la société civile présentées comme alternatives crédibles à une disqualification des politiques.

 

La surpolitisation, bien qu’ayant eu pour effet de provoquer l’instabilité politique, aura contribué dans une certaine mesure à renforcer les institutions en leur permettant de réguler le jeu politique et surtout de parvenir à réaliser des compromis entre acteurs politiques pour se maintenir. En retour, la sous politisation tout en instaurant une certaine stabilité politique, aura eu l’effet contraire d’affaiblir les institutions d’abord en raison de l’activité stratégique des acteurs et aussi parce que les institutions n’auront pas participé ou alors dans une très moindre mesure, à la régulation du jeu politique ou du dialogue social. Ce qui explique d’ailleurs la prolifération des commissions et autres cadres de concertation notamment pour la gestion des crises. La création de ces différents mécanismes de concertation, n’auront pas permit aux institutions de jouer leur rôle.

 

7-Il peut paraitre simpliste d’opposer ces deux périodes en moments de surpolitisation ou de sous politisation. La réalité est certainement beaucoup plus complexe. Ainsi si la présidence d’Alpha O. Konaré se caractérise par son instabilité, elle aura connu, il faut le dire, des moments d’accalmie et de fonctionnement normal des institutions. De même, après le premier quinquennat de Amadou T. Touré, on a assisté à la fin du consensus politique, certains partis s’étant réclamé de l’opposition, tandis que d’autres, tout en étant dans la coalition au pouvoir n’en continue pas moins d’avoir à l’horizon les différentes échéances électorales et de développer ainsi une stratégie propre de conquête du pouvoir. C’est pourquoi la précipitation de ces partis à vouloir participer aujourd’hui à un gouvernement apparait incompréhensible, comme s’ils regrettaient déjà d’être dans l’opposition. Pour leur défense, il faut reconnaitre qu’en Afrique la position d’opposant est parfois intenable, longtemps, quand on sait que toutes les ressources financières, économiques, sociales et politiques sont générées principalement à partir d’une position dans l’Etat.

 

 

L’unanimisme politique, effet pervers de la démocratie consensuelle     ou résultat d’une stratégie ?

 

 

8-Ce qu’on a appelé ici la démocratie consensuelle et qui a consisté à faire participer tous les acteurs politiques à la gestion de la chose publique, n’a produit dans les faits qu’un unanimisme de la classe politique unie toute derrière le chef de l’Etat. Le Mali a vécu pendant tout le premier quinquennat du président A.T.Touré sans opposition et sans aucun contre-pouvoir. Tous les grands partis, comme certains petits partis, se sont retrouvés à l’Assemblée Nationale ainsi que dans le gouvernement non (pas) seulement pour apporter leur soutien au président mais aussi pour profiter individuellement et collectivement des avantages que confèrent la position de membre du gouvernement et se constituer un butin de guerre. La seule voix contradictoire à sa politique venait du front social et là tout a été mis en œuvre pour que celle-ci elle ne puisse pas s’exprimer trop bruyamment et trop longtemps, surtout durant tout le premier mandat du président.

 

La personnalisation du pouvoir

 

9-On a vite assisté ainsi à une personnalisation très outrancière de la fonction de chef d’Etat ce qui n’a fait que favoriser une gestion solitaire du pouvoir par le président de la république. C’est pourquoi il ne faut pas voir dans les limites de la constitution les raisons de cette personnalisation. C’est plutôt dans les pratiques et les stratégies des différents acteurs de la classe politique et même de la société civile que se trouvent les explications aux tendances populistes et solitaires du pouvoir d’A.T.Touré. Un exemple banal, mais assez significatif du mode et du style de gouvernement sous la période d’A.T.Touré est l’omniprésence du chef de l’Etat dans les médias et le fait que chaque ministre, chaque responsable administratif et politique qui porte la parole publique ne manque jamais de le citer ou de faire référence à son PDES à chaque fois qu’il passe dans les médias notamment publics.

 

Pour assurer la réélection d’A.T.Touré pour un second mandat, la moindre velléité de revendication était étouffée par le pouvoir et cela par tous les moyens. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi après les avoir repoussé continuellement sans véritablement les résoudre, on assiste aujourd’hui à la résurgence et à la multiplication des revendications et surtout les revendications les plus maximalistes avec des syndicats très déterminés alors que dans le même temps les grandes centrales syndicales sont restées atones. L’exemple de l’Ecole avec les grèves interminables des enseignants auxquelles on assiste en ce moment, maintenant qu’élèves et étudiants semblent devenus plus responsables et plus soucieux de sauver leur scolarité gâchée, est la parfaite illustration des conséquences sociales et politiques de l’unanimisme voulu par le chef de l’Etat et accepté par l’ensemble de la classe politique malienne et qu’on cite partout comme un exemple de pratique démocratique.

 

Le HCI et la naissance d’un contre-pouvoir

 

10-Malgré les nombreux cadres de concertation et de dialogue mis en place aucune solution globale à la crise de l’Ecole n’a vu le jour et on est à la création d’un Forum qui apparemment peine à apporter des solutions satisfaisantes. Si aux yeux de certains, les syndicats d’enseignants sont devenus maximalistes, jusqu’au-boutistes, voulant tout, tout de suite, c’est sans doute parce que leurs dirigeants ou eux-mêmes ont fini par rompre avec les pratiques passées qui consistaient à se contenter du peu qu’on leur proposait plus des promesses. Il y a sans doute aussi le fait que le pouvoir ne peut plus ou ne veut plus continuer avec ces pratiques de sapeurs pompiers le temps d’une élection qui ont permit de par le passé de réduire au silence tout mouvement contestataire.

 

Mais plus significative de l’effet pervers de cet unanimisme politique est la grande mobilisation réussie du Haut conseil islamique contre le Code des personnes et de la famille. Ce code a été voté à la quasi unanimité des députés présents à l’Assemblée Nationale. Même ceux d’entre eux qui étaient contre le texte ont fini par la voter pour respecter la volonté du chef et se ranger à la loi du système. En l’absence d’une opposition, aussi bien parlementaire qu’extra parlementaire, le Haut conseil islamique est devenu par la force des choses l’unique porte parole-porte de tous ceux qui sont contre certaines des dispositions de ce code qui heurtent leur sensibilité religieuse, leur valeur sociale voire leur éthique de vie familiale et communautaire.

 

11-Avec les syndicats, mais plus encore que les syndicats dont les revendications et les actions sont plus sectorielles et plus corporatistes, le HCI est aujourd’hui le seul véritable contre-pouvoir au système généré par « la démocratie consensuelle ». Et quand même on ne partagerait pas tous le points de vue du HCI, on en vient à saluer le fait que grâce à lui on se rend compte que l’unanimisme n’est finalement pas aussi parfait que cela parait, qu’il reste limité au champ politique, la sphère sociale échappant à son emprise. Et on en vient à regretter par contre que cette forte mobilisation ne soit rendue possible que contre le Code. On aurait voulu aussi voir ces forces religieuses, qui sont en réalité les véritables acteurs de la société civile mobilisés pour défendre une certaine morale, organiser de tels grands rassemblements à chaque fois qu’il y a une atteinte aux libertés individuelles et collectives, contre la corruption devenue banale et pourquoi pas contre la réforme de la Constitution. On n’a encore vu justement aucune organisation de la société civile se prononcer sur cette réforme. Pourtant rien ne saurait justifier leur silence, même pas celui du HCI.

 

A défaut du HCI, on aurait voulu voir en effet d’autres acteurs de la société civile, eux qui se sont crées avec des objectifs de défense de la société ou de promotion de certaines valeurs, mais qu’on n’entend ni ne voit sur le terrain de la lutte sociale. Ils sont au contraire restés emmurés dans leur silence comme si ces débats ne les concernent pas, en raison sans doute de la compréhension qu’ils ont de leur rôle qui doit être de neutralité, de distance par rapport à la politique. Comme du temps de l’UDPM avec les différentes Unions (de jeunes, de femmes, etc.), la démocratie a donné naissance aux Conseils (Conseil national de la Jeunesse, de la société civile, etc.) dont certains responsables, à défaut d’être des agents de l’Etat, en sont les appendices, recevant subsides de l’administration. A l’instar de ces organisations de la société civile, on veut faire du chef de l’opposition un personnage de l’Etat qui sera le porteur de valise du président la république pour, dit-on, mieux assurer son indépendance. Indépendance vis-à-vis de qui ? Du pouvoir qui lui accorde ces moyens ou des membres de l’opposition qu’il est censé représenter ?

 

Société civile ne signifie pas neutralité par rapport aux grands débats qui traversent la société, par rapport aux mouvements sociaux visant l’autorité publique, par rapport aux luttes contre les pouvoirs en place. Bien au contraire, la société civile est née pour défendre la société, ses droits, ses valeurs contre les politiques publiques ou pour remédier aux défaillances, aux manques et aux limites de celles-ci. On a souvent déploré le fait qu’en Afrique il n’existe pas de société civile indépendante par rapport au pouvoir et aux forces politiques en présence, ayant une capacité de proposition et d’action face à la toute puissance publique. Avec le HCI dont les dirigeants ont résisté à toutes sortes de pression, financière, politique voire au « terrorisme » intellectuel de la part des pouvoirs publics, le Mali peut maintenant être cité aussi en exemple pour sa société civile.

 

La politisation de l’administration publique

 

12-Autre effet pernicieux de la démocratie consensuelle, c’est d’avoir fait des ministères, les chasse-gardés des partis. Ce qui a eu pour effet secondaire, l’unanimisme aidant, le développement de la corruption, des détournements, la promotion de la culture de la médiocrité et la politisation de l’administration publique. Chaque responsable de parti nommé à la tête d’un département ministériel appelle en effet autour de lui des militants et des sympathisants, nomme ses proches collaborateurs non pas selon leurs compétences mais en premier lieu en fonction de leur appartenance à son parti, notamment pour ce qui concerne certains postes stratégiques ou financièrement intéressants (DAF, Projets, etc.) Une fois son dispositif mis en place, le ministre a ainsi le loisir sinon l’obligation d’apporter sa quotte part au renflouement de la caisse de son parti. Chacun des partis agissant de même, plus personne pour dénoncer cette situation.

 

Tandia, Wade, ATT et le silence des forces sociales

 

13-Cependant, on ne saurait accuser le président A.T.Touré de tendance ou de dérive autoritaire encore moins autocratique. En bon politique ou plutôt en bon stratège (c’est un général avant tout !), il n’a fait qu’agir avec les ressources humaines et politiques dont il dispose et les possibilités qui s’offrent à lui. En tant que chef d’Etat, il lui appartient d’entreprendre en ayant une marge de manœuvre face aux forces adverses et selon ce que lui autorise la loi quitte à l’enfreindre s’il le faut d’autant qu’il n’y a pas de force opposée pour l’en empêcher. La démocratie consensuelle lui a ouvert un boulevard. La tendance presque naturelle d’un pouvoir, c’est de s’étendre, d’élargir son champ d’action jusqu’à ce qu’il rencontre un autre pouvoir (« Le pouvoir arrête le pouvoir »). Le président A.T.Touré n’a jamais eu de contre-pouvoir. Il n’a eu que des soutiens, des supporters qui sont prêts de mourir pour lui. Comment voulez-vous que dans ses conditions on n’en vient pas à réunir toutes les cartes entre ses seules mains et (à vouloir) rester le seul maitre du jeu ?

 

J’ai coutume de dire que si dans les pays occidentaux, on ne voit pas ces cas de présidentialisation à outrance ou de pouvoir personnel, ce n’est pas parce que dans ces pays, les hommes politiques sont naturellement démocrates et que sous les tropiques, ils ont des dispositions génétiques au despotisme. C’est tout simplement que les forces sociales et politiques en présence ne toléreront pas une telle tendance en Occident tandis qu’en Afrique, elles les favorisent. Si Wade a pu nommer sans problème son fils à la tête du plus grand ministère de son gouvernement et que Sarkozy n’a pas réussit à placer son fils à la tête du plus grand Conseil général de France, ce n’est pas faute d’avoir essayé mais parce qu’il existe en France une opinion publique qui s’est montrée hostile à une telle initiative.

 

Si A.T.Touré a un pouvoir personnel ou exerce le pouvoir de façon solitaire, ce qui lui a autorisé de créer un comité dont il aura nommé le président pour réformer la constitution, c’est d’abord parce qu’il est à ce moment le seul maitre à bord dans la champ politique malien avec tous ces partis et associations qui continuent de se créer pour le soutenir alors qu’il est en fin d’un mandat qu’il ne compte nullement prolonger ou renouveler. Et on se dit alors que ceux qui continuent de le soutenir le font peut-être par gratitude ou pour l’aider à finir sa présidence en toute beauté. A moins, pour ses nombreux supporters de chercher à se positionner comme dauphin pour le remplacer très prochainement. Est-ce pour autant qu’il faille écarter comme hypothèse ce qui, selon Z. Sacko, est clair « comme de l’eau roche aux yeux de tous et de chacun » ? 

 

Vers une sacralisation de la constitution

 

14-Pour terminer, revenons à notre question de départ. Pourquoi une réforme constitutionnelle d’une telle ampleur, maintenant ? La question mérite d’être posée en en précisant encore tout son contour. Elle est d’autant plus à poser que, on ne peut pas raisonnablement et à juste raison dire qu’en pratique, les institutions ont montré leurs limites, qu’elles ont donné toute la mesure de leur efficacité, qu’elles ont été suffisamment soumises à l’épreuve du temps, des réalités, du jeu et des dynamiques politiques pour qu’elles soient réformées. Par conséquent la refondation de la constitution ne doit même pas être à l’ordre du jour.

 

Une constitution est sacrée, en tout cas elle doit être considérée comme telle pour qu’on ne puisse pas, même à la faveur d’un référendum, la changer comme on veut. C’est parce qu’ils n’ont pas justement ce rapport sacré à leur constitution que les dirigeants africains se permettent selon leur bon vouloir de la suspendre, de la manipuler, de la tripatouiller et même de la jeter comme un chiffon de papier à la poubelle pour assouvir leurs ambitions les plus illégitimes.

 

La constitution française est celle qui nous a permit d’accéder à l’indépendance. Elle n’a jamais changé depuis 1958, tout au plus modifiée en certains de ces articles et cela au fur et à mesure par différents gouvernements qui se sont succédé. La constitution américaine a plus de 200 ans, elle est la même depuis sauf peut-être en quelques uns de ses articles. Mais aucun président, aucune majorité parlementaire, n’a songé et ne songerait aujourd’hui à la transformer de fond en comble ou la rejeter en prétextant que ce texte qui a fondé les Etats-Unis d’Amérique est dépassé ou dire que c’est pour consolider une démocratie immature. En Angleterre, il n’existe pas de constitution. Le pays est régit par une tradition que nul ne trouverait dépassée, encore moins la rejeter en la considérant comme rétrograde. Dans nos pays africains, toutes nos anciennes valeurs sont aujourd’hui reniées parce que selon leurs pourfendeurs, elles relèvent de la tradition.

 

Contre les pouvoirs absolus, la vigilance citoyenne

 

 15-Le caractère sacré des différentes constitutions des pays occidentaux n’ont pas un fondement religieux, même si aux Etats-Unis tout président élu jure sur la bible, un acte en rien obligatoire mais dont il ne peut se soustraire sans essuyer une forte réprobation ou précipiter son départ, du fait d’une tradition à jamais ancrée. Je vois déjà le tollé que provoquerait une telle proposition au Mali, ce que le Niger a réussit à faire, au nom d’une laïcité mal assimilée et surtout imposée. On me dira que cela n’a pas empêché Tandia de jeter leur constitution à la poubelle pour en proposer une autre à son goût. D’aucuns disent aussi que c’est parce qu’il l’a fait après avoir juré le coran qu’il est parti. Peu importe si cela est vrai ou faux, l’essentiel c’est d’y croire. La sacralité des constitutions des pays développés n’est donc pas religieuse, elle est d’abord celle des valeurs républicaines et de démocratie partagées par le plus grand nombre.

 

La constitution qui nous régit aujourd’hui au Mali doit être à nos yeux aussi sacrée, d’autant plus sacrée qu’elle a été obtenue au prix du sang de tous ceux qui ont accepté de se sacrifier et qu’elle n’a pas été rédigée par un comité présidé de surcroit par un responsable de parti. Il est plutôt le fruit d’un consensus national auquel ont pris part toutes les couches sociales du pays, toutes les sensibilités politiques, tous les corps professionnels. Pour la mémoire de tous les martyrs de la révolution, de tous ceux qui ont donné leur vie ou ont versé leur sang pour qu’aboutisse la lutte pour un Mali libéré du joug d’un régime qui a été jusqu’au bout de la cruauté et de la répression, nul ne doit se permettre, fût-il un des principaux artisans, dirigeants ou instigateurs de cette Révolution, à défaut de défendre cette constitution, de la protéger contre tous ceux qui seraient tentés de la désacraliser, de changer quoi qui puisse porter atteinte à l’intégrité physique de notre texte fondamental, à l’esprit et à la philosophie qui ont guidé ses rédacteurs. Si on arrivait à imposer cela, d’une manière ou d’une autre, par le coran, la bible, par une vigilance citoyenne, à tout homme politique qui brigue la magistrature suprême, la démocratie malienne sera encore plus forte que par une réforme constitutionnelle.

 

Si un article de cette constitution doit être revue pour en préciser davantage son contenu, son sens, nul ne trouverait à redire. Si les prérogatives d’une des institutions doivent être réduites ou élargies pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle face aux autres institutions et permettre un fonctionnement de l’ensemble du système, on ne trouvera personne pour s’opposer à une telle démarche. Mais pourquoi vouloir transformer cette constitution au point de bouleverser l’équilibre des forces et des pouvoirs sans que rien, dans le fonctionnement des institutions et la viabilité du système, ne justifient un tel changement ? A moins de croire, comme l’a affirmé cet acteur politique, que les vrais mobiles ne sont « devenus subitement inavouables ».

 

                                                                                              

                                                                             Bamako, le 17 mai 2010

                                                                                                         

                                                                                     Mahamadou DIAWARA

 

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