LA DEMOCRATIE MALIENNE : Ombres et lumière

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La chute du mur de Berlin, symptôme prémonitoire de la dislocation du bloc communiste et de la fin de la guerre froide, a ouvert le vaste chantier de la démocratisation des systèmes de Gouvernement, singulièrement dans les pays de l’Europe de l’Est et en Afrique au Sud du Sahara Un monde nouveau s’annonce à l’horizon dont les mots clés seront : Démocratie, Capitalisme, Intégration.

Au Mali, la quête radicale d’une démocratisation immédiate, triomphante et pluraliste a ébranlé tout le pays. Le choc a été terrible avec ses blessures, ses morts et son lot de souffrances. Le souvenir de ces douloureux évènements est encore vivace dans notre mémoire commune .

La charge émotionnelle a été forte et intense. Les rêves et les fantasmes ayant nourri la tempête démocratique constituaient pour chaque citoyen un devoir d’exigence: exigence de cohérence, exigence de progrès véritable . De ce fait, la perspective de l’ instauration au plan Institutionnel d’ une "vraie" démocratie, stable, transparente apte à renforcer les libertés individuelles et collectives à résorber le chômage massif d’une jeunesse désemparée et désabusée, à améliorer de façon significative les conditions de vie des citoyens, à juguler le népotisme et la corruption a été déterminante dans l’engagement et l’adhésion des masses laborieuses. Telle était la compréhension qu’il fallait, peut-être, avoir de l’objet du mouvement populaire, et tels étaient le sens et les défis qui étaient assignés au mouvement démocratique.

La liberté au cœur de la problématique démocratique

L’ordre ancien caractérise au niveau domestique par le parti unique, avec ses règles, ses idées dominantes, ses structures de pouvoir s’est écroulé, cédant l’espace Institutionnel et social à un ordre nouveau symbolisé par le pluralisme dont les principes intangibles demeurent, quel que soit l’espace géographique le débat – c’est à dire la parole libre et courtoise sobre et digne, argumentée et ferme, dépouillée de toute arrogance et de toute invective, attentive et attachée à l’obligation de respect dû au contradicteur- et la liberté de choix en vue d’ une finalité précise préalablement définie. La liberté est au cœur de la problématique démocratique. Elle est essentielle déterminante et décisive.

Elle est le reflet de la capacité du citoyen à s’affranchir des contingences, et des interférences diverses et variées susceptibles de dénaturer son choix entre plusieurs offres possibles. Un choix libre, est un choix réalisé en toute connaissance de cause, sans aucune contrainte et sans aucune interférence . La tâche à accomplir dans le cadre du contrat démocratique qui lie les citoyens à leurs leaders est précise Les engagements et les promesses des uns vis à vis des autres en constituent le fondement. Les procédures et les conditions de réalisation choisies pour asseoir, renforcer et conforter la démocratisation de la vie publique dans notre pays sont le multipartisme intégral et l’accès des partis politiques aux ressources publiques dans le cadre normatif de la loi fondamentale définissant avec une clarté et une rigueur indiscutables les contours d’un régime présidentiel. Le président de la République clef de voûte des institutions est élu au suffrage universel direct. Il est le Chef de l’Etat , Chef Suprême des Armées, Chef de l’exécutif disposant de la majorité parlementaire et en conséquence inspirateur du jeu législatif.

La cohérence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir parlementaire assure au gouvernement la stabilité et les moyens lui permettant d’agir concrètement et efficacement dans le sens de la réalisation des engagements souscrits devant les citoyens et plus généralement de trouver des réponses adéquates aux préoccupations fondamentales des populations. Dans cet exercice le rôle des partis politiques est, sans aucun doute, vital pour la démocratie parce que les citoyens leur délèguent précisément le soin de produire des projets répondant à leurs attentes de les traduire en programmes d’action gouvernementale, et de fournir une équipe qui aura la responsabilité de surveiller et de contrôler l’ action gouvernementale .

Le parti politique, une affaire marchande

Une nette distinction entre une majorité qui gouverne et une opposition qui contrôle les activités du gouvernement assure à l’institution parlementaire un fonctionnement harmonieux et transparent conforme à l’ esprit d’une démocratie pluraliste, gage de stabilité et d’efficacité. Cette option procède d’une reconnaissance explicite du rôle central et stratégique dévolu au politique . Dans notre pays, les partis politiques sont si nombreux -environ une centaine- que leur distinction reste purement nominative et quelque peu anecdotique. Toute catégorisation de nature idéologique ou programmatique demeure virtuelle.

La formation d’ un parti politique se confond avec une affaire marchande où l’espérance et l’intérêt d’ un gain hypothétique de décrocher un mandat et de surcroît se trouver, peut être, en position d’arbitrer en faveur de telle ou telle combinaison constitue le sésame. La diversité des opinions dans le corps des citoyens garantit à n’importe quel parti des chances non nulles d’ avoir au moins un élu.

Un pouvoir de blocage et de nuisance exorbitant peut ainsi être confié à des minorités qui peuvent s’amenuiser jusqu’a se réduire à un représentant unique. Chacun a pu constater des alliances contre nature et contre toute logique à seule fin d’empêcher l’émergence d’une majorité claire et nette. Les tractations entre appareils de partis échappent totalement au contrôle des citoyens qui se trouvent être floués et pris en otage La démocratie est biaisée. Le spectre d’une démocratie au rabais est à nos portes. Ce qui est malsain et contribue à saper la crédibilité du politique.

L’inflation des partis et probablement l’insuffisance de l’encadrement réglementaire qui entoure leur mode de fonctionnement ont pu rendre improbable et purement contingente l’émergence d’un parti majoritaire au scrutin législatif précédent. Par une sorte de myopie étrange, cette absence de majorité a été mise au second plan, négligée ou ravalée à une affaire de commodité circonstancielle. Les conséquences dommageables liées à l’ absence d’une majorité parlementaire , imputables dans une certaine mesure à la pléthore de partis et à la possibilité offerte aux élus de réaliser -grâce à la mobilité- des combinaisons de toute nature, incitent à se préoccuper clairement de la nécessité de donner du sens aux suffrages des citoyens. La législature qui s ‘ achève a été tout simplement surréaliste, singulière et cocasse au regard de la rationalité et de l’éthique. Que reste-t-il d’ une démocratie lorsque le lien avec les électeurs n’obéït à aucune obligation, ni au respect d’aucun engagement et lorsque les règles sont assujetties au seul jugement du décideur qui les adopte ou les rejette selon les exigences de son humeur ou des desseins qui lui sont propres? Quel gâchis pour l’image de la démocratie!

L’attrait du portefeuille ministériel plus fort que la conviction

La colonne de tous ceux qui sont fermement déterminés à échanger leur droit légitime dans l’ ordre de la réflexion et de la critique contre un plat de haricots-verts ou blancs gouvernemental accentue la confusion et contribue manifestement à brouiller les règles du jeu démocratique et le jugement du citoyen.

L’attachement au poste gouvernemental s’ est révélé dans bien des cas exponentiellement plus puissant que la conviction politique. L’ expérience de la pratique d’ un regroupement de partis en grappes hétérogènes dont l’épaisseur et la consistance restent inversement proportionnelles à une représentativité véritable et à une conviction forte, n’ a démontré aucune capacité de résistance face à l’appétit du pouvoir.

Les effets pervers liés à une telle approche sont évidents. Elle facilite l’émergence d’ un pôle dominant hégémonique en lieu et place d’ une alliance politique, majoritaire, sans doute, mais cependant soucieuse de sauvegarder le fait démocratique à travers une minorité active et respectée . L’absence d’une sélection claire et nette d’une équipe exécutive et législative est nuisible à l’action politique. Elle est source d’une démocratie en trompe l’ oeil, ouverte à toutes les tentations démagogiques. Le foisonnement actuel des partis politiques , véritable miroir aux alouettes, n’ a pas démontré plus de vitalité, plus de dynamisme ou d’ efficacité dans le débat politique. De ce point de vue, la pertinence du pluralisme sans limite se pose avec acuité. Il nous paraît, d’ores et déjà, justifié et raisonnable de plaider pour une réglementation claire permettant de réduire la mobilité des élus dans le cadre du respect légitime du vote des citoyens. La nouvelle Loi régissant les prochaines échéances électorales est muette sur cette question décisive .

 Dans un pays pauvre comme le nôtre, il est regrettable de constater l’absence de disposition de nature légale ou réglementaire visant à moraliser, à maîtriser et à contrôler, de façon spécifique, les dépenses effectuées par les candidats ou les forces politiques en compétition électorale. Cette lacune est nuisible à l’équité et dommageable à la sincérité du vote. La solidité d’une démocratie est assurée à travers ses Institutions mais aussi et surtout dans sa capacité à respecter les exigences liées à l’ Etat de droit et plus encore à travers des responsables vertueux et des citoyens décidés à se constituer en une société civile consistante, capable de concilier ses intérêts et déterminés à s’opposer aux abus d’un Etat omnipotent régissant, dans toute sa plénitude et sans contre pouvoir réel, toute la vie collective. Une société assoupie, asservie, avec des citoyens qui se conduisent en spectateurs de plus en plus angoissés face aux incertitudes du lendemain, est paralysée. Rallumer la flamme de la foi et de l’espérance est une tâche qui appelle la contribution de tout un chacun.

Le Mali actuel, un pays exsangue

Les citoyens attendaient de la démocratisation le salut, le respect de leur droit le plus élémentaire : "manger à leur faim", ressentir les effets d’une augmentation de leur pouvoir d’ achat. Cette attente n’était pas un espoir, mais une certitude. Hélas ! Le compte n’ y est pas. L’autosatisfaction démocratique a paradoxalement dilaté toutes les poitrines allant des plus humbles aux plus nantis.

Le pays est ruiné et exsangue: 174e sur 177 (Indice du développement humain PNUD 2005). Nos moyens sont insignifiants au regard de nos besoins immédiats et futurs , c’ est pourquoi le gaspillage qui s’étale au grand jour est injustifié et choquant. La réalité est bien là, physique et palpable. Les citoyens sont réduits à étouffer leur cri et à contempler les nababs de l’ère démocratique. Aucun groupe humain n’ est condamné irrémédiablement et de façon irrévocable à la pauvreté galopante et à l’exclusion. Briser la spirale de la misère, n’ a jamais été obtenue par la charité aussi généreuse qu’elle puisse être.

Les règles sont connues et établies depuis belle lurette : respecter rigoureusement en tout premier lieu son identité, ses propres valeurs, ses traditions, le travail , l’éducation, s’adapter aux valeurs et aux règles du jeu démocratique, non pas du bout des lèvres mais avec sincérité et clairvoyance, se préoccuper de la gestion correcte des ressources disponibles. Notre démocratie est balbutiante. Elle a du chemin à accomplir et des obstacles à surmonter. Tout n’est certes pas gris fort heureusement la parole est libre, les libertés ne sont pas confisquées.

La démocratie, une chance…

Dans cette lutte pour une démocratie vivante et efficace , notre pays a des atouts véritables. Nos concitoyens, hommes , femmes, jeunes sont courageux, généreux et entreprenants.

Ce potentiel d’énergie disponible ne demande rien d’autre que d’être mobilisé, encadré et canalisé. Pour galvaniser la troupe, la force des mots peut s’avérer utile , mais la puissance des actes est décisive.

La démocratie pourrait être une chance à condition qu’ elle soit véritable et effective dans les actes. Lorsque les citoyens la ressentiront comme telle , notre système éducatif sortira du naufrage, l’Etat de droit deviendra uneréalité vivante. Alors, c’est seulement, alors à ce moment-là que les citoyens seront disponibles et en ordre de mouvement pour soutenir l’idéal démocratique.

La marche vers le développement économique et le progrès social seront à l’ordre du jour avec des citoyens motivés enfin déterminés à garantir les libertés et à revendiquer un régime décent dont ils seront les authentiques et légitimes artisans.

Pr Moussa TRAORE Président de L’Association, Action Solidarité, Responsabilité, Intégrité. ASRI

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