"Comment dans les choses humaines la fortune a du pouvoir, et comment on peut y résister ?" Machiavel s’oppose au fatalisme. En effet, s’il admet la fortune, il ne peut toutefois, par la suite, admettre que "notre liberté soit réduite à rien". Ainsi, dit-il que la fortune et la liberté se partagent la moitié de nos actions.
Par l’analogie avec les fleuves déchaînés et les digues, il veut dire que la fortune "montre surtout son pouvoir là où aucune résistance n’était préparée". Elle n’est donc en fait que le nom que nous donnons à notre démission. La fortune sans vertu est à l’image de la nature non maîtrisée. Le rôle de la vertu est donc de prévoir les catastrophes, de les prévenir. Les "digues" seront, au sein du monde humain, des institutions fermes et efficaces, qui donneront à un pays sa sécurité.
Or, dans l’espace politique malien actuel, tout indique qu’une élite de pilleurs gravite autour d’un axe de pouvoir manipulable à souhait, dont la raison de gouverner, consiste à être vu et honoré comme un vrai souverain du 12e siècle. La communion politique se construit dans le tunnel de piètres gestionnaires des affaires de l’Etat. L’amateurisme et l’approximation constituent les rails sur lesquels, roule allégrement la locomotive des chenapans, en tirant l’avenir de la malheureuse jeunesse vers l’horizon du désespoir.
Plus de vertu, point de dignité, tous convergent désormais vers la tirelire nationale. Sans vergogne, le vol est devenu systématique au milieu de flots misérables mourants qui voient leur destin briser, chaque jour que Dieu fait, entre les mâchoires impitoyables des batraciens d’eau douce, tous aussi criminels que leurs apôtres inféodés.
Hystérie collective
Tous souffrent de cette névrose caractérisée de séduire Koulouba. Les incantations charlatanes du grand sultan ayant fini de ligoter l’ensemble de la classe politique malienne dans une sorte de thaumaturgie pécuniaire. Des hommes, qui aspirent gouverner la République, badinent avec l’avenir du peuple et, sur l’esplanade de la duperie, le thaumaturge nourri de vœux pieux ses disciples domestiqués comme bête de somme ou trait.
La dignité humaine est reléguée au second plan. La prostitution physique et intellectuelle devient le sport national. Le pillage du denier public demeure la seule boussole qui indique le chemin retrouvé de ce qui les unis : s’accaparer de tous les biens de la nation.
Si l’honnêteté nous commande de reconnaître l’existence d’une "large vision" de construire le Mali, force est d’admettre que cela ne se repose sur aucune stratégie dans le temps et dans la durée. L’échec annoncé de l’Apej en est la malheureuse illustration.
L’impunité des pillards des fonds publics, les avenants systématiques sur tous les marchés de l’Etat, le détournement des excédants budgétaires et les dépenses extrabudgétaires, la réhabilitation des hommes au ban de la société constituent autant d’insultes muettes à l’endroit de notre brave peuple, dont le seul tort est d’avoir cru à un utopique changement en accordant son suffrage un candidat auquel il croyait s’identifier.
Le retour à l’ordre ancien matérialisé par l’exclusion systématique de tout ce qui n’est pas PCR (Parti citoyen pour le renouveau) ou Mouvement citoyen, les sorties intempestives à la télévision de la belle-sœur nationale, les pressions de Madame sur les juges en faveur des siens, sont aux antipodes de "la vision" d’un candidat, dont la modestie a été certainement déterminante dans son élection. Lequel candidat croyait fermement d’ailleurs, que par leur comportement, certaines femmes de président dans notre pays, ont rendu impopulaire leur mari. Ô pouvoir, quand tu nous tiens !
Aux politicards vendus
Nos propos ne sont pas pour vexer délibérément les politicards pillards vivant aux crochets du pouvoir. Nous partons d’un constat qui tranche d’avec les principes d’homme d’Etat édictés dans le livre que l’on considère comme étant le document de référence de la science politique : le Prince de Machiavel.
L’auteur du "Machiavélisme ou le réalisme en politique" nous explique que dans le chapitre VI, où il s’agit des grands fondateurs d’Etat, Machiavel montre bien que la vertu est la capacité d’imposer sa loi à la fortune. En effet, il y montre bien que "ce que les grands fondateurs d’Etat durent à la fortune, ce fut l’occasion qui leur fournit une matière à laquelle ils purent donner la forme qu’ils jugèrent convenable". Elle est donc l’occasion de faire preuve de ses talents politiques. Sans elle, l’occasion eût pu disparaître.
La fortune vole au secours de qui sait ne pas s’illusionner et être habile. Là où la vertu est à son maximum, la fortune n’a qu’un rôle d’appoint. Affrontée grâce à la lucidité, la fortune apparaît comme l’aiguillon de la nécessité. Cela signifie qu’elle montre la nécessité d’agir et d’analyser les rapports de force en présence.
La vertu est donc effort de lucidité en des circonstances particulières, effort intellectuel à l’œuvre dans le concret de l’histoire. Le concept de "nécessité" indique donc la place des circonstances incontournables, mais jamais totalement claires, sauf pour une pensée politique avisée. Machiavel ne vise jamais à leur totale maîtrise. Tout ce à quoi appelle ce concept, c’est à la nécessité d’une attention aux circonstances.
Le vrai Prince est donc celui qui ne baisse pas les bras dans un contexte écrasant et qui sait donc prévoir. Un Prince doit savoir trouver la répartie juste devant les circonstances toujours changeantes de son action, et donc, surmonter les pièges tendus par la fortune.La conséquence de cette théorie (métaphysique) sur l’action du Prince a souvent été interprétée comme une thèse opportuniste.
Nous posons la question de savoir, aux vendus politicards qui s’invitent à la table "consensuelle" du butin partagé volé de la nation, pardon, gestion concertée : aspirent-ils vraiment un jour, devenir président du Mali, donc Prince ? Même si, les résultats des scrutins de la présidentielle 2007 sont devinés d’office, les formations politiques telles que le Cnid, l’Adéma, le MPR, voire l’URD peuvent-elles demeurer sans présenter un candidat et mouiller le maillot comme il se doit ?
Egalement, nous demandons au président de la République s’il n’a pas mal à la conscience, en abandonnant le pays dans les mains des pillards à Kidal et dans le reste du pays. Au nom de quelle paix et de quel consensus peut-il se rendre coupable de telle forfaiture ?
Abdoul Karim Dramé
(journaliste indépendant)
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