Gouvernance :Il faut savoir quitter le pouvoir à temps

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Rien ne va plus au Burkina Faso depuis le début de sa crise en février dernier. En effet, après les vols, les pillages de biens et de matériels, les mutineries des militaires (dont la Garde présidentielle), les manifestations des élèves et des syndicats, le Président Blaise Compaoré a du non seulement nommer un nouveau Chef d’Etat Major des Armées (le Colonel Honoré Traoré), mais aussi démettre (le vendredi 15 avril) tout le gouvernement du Premier ministre Tertius Zongo qui a ainsi été remplacé par Luc Adolph Tiao, un ancien journaliste et diplomate.

Reste à savoir si ce nouveau Premier ministre parviendra à restaurer la confiance entre son gouvernement et les populations, ou si cette initiative du Président du Faso pourra contribuer à calmer la situation, d’autant plus que la majorité des Burkinabé pensent qu’un simple changement de gouvernement ne sert à rien : selon eux, Blaise Compaoré a exercé des années de pouvoir sans que les citoyens sentent une quelconque amélioration de leurs conditions de vie. Tandis que les optimistes espèrent que « ça va changer », mais sans trop y croire vraiment, les pessimistes maintiennent qu’au contraire, « rien ne va changer ».

C’est dire que les uns et les autres sont aujourd’hui habités par un sentiment de malaise, voire de mal-être empreint de mécontentement et d’insatisfaction. Et quand on sait que depuis 24 ans, le système de gestion de Blase Compaoré n’a jamais tenu compte de l’alternance, on ne s’étonne plus que le Président du Faso envisage de « toucher » à la Constitution en vue de briguer un autre mandat.

Des raisons d’un malaise social
Et comme pour ne rien arranger, le nouveau gouvernement est non seulement composé de fidèles du Président, mais Blaise Compaoré (au pouvoir depuis 24 ans) s’est approprié le ministère de la Défense : ce qui prouve qu’il n’a plus confiance en l’Armée. En plus, le nouveau gouvernement (de 29 membres) ne comprend aucun membre de la société civile ou de l’opposition : on aurait juré qu’en foulant ainsi au pied la notion de gouvernement d’union nationale, Blaise Compaoré met plutôt tout en œuvre pour exacerber davantage la tension sociale et le ras-le-bol des opposants. Autant dire qu’à propos de changement, c’est plutôt un retour en arrière. Et la montagne a plutôt accouché d’une souris d’autant plus que face à la grogne de 14 millions des Burkinabés, Blaise n’a fait que reculer pour…mal sauter.

Face à la recrudescence du marasme social, les Burkinabés ne tiennent peut-être pas forcément au départ du Chef de l’Etat, mais certainement à l’amélioration de leurs conditions de vie, surtout que contrairement aux années précédentes, la corruption, la dilapidation des biens publics et la militarisation du régime sont aujourd’hui plus visibles, voire plus flagrantes au « pays des hommes intègres ». Et ce qui paraît paradoxal, c’est que depuis 1991, Blaise Compaoré s’est érigé (ou a été fait, c’est selon) en médiateur dans les crises des pays voisins comme la Côte d’Ivoire et la Guinée Conakry, et que pendant ce temps, ses compatriotes vivent dans un marasme social qui persiste à ne pas finir.

L’exemple de ces Généraux démocrates
Par ailleurs, que ce soit au « pays des hommes intègres » ou dans les autres pays africains, la psychose des différentes crises en Afrique (Côte d’Ivoire, Tunisie, Egypte, Algérie, Maroc, Libye…), aux Emirats arabes et au Moyen Orient (Yémen, Syrie…) a fortement marqué les esprits. Or dans de tels cas, l’être humain en quête de changement et de bien-être a toujours tendance à imiter l’autre. Que les peuples africains se mettent un jour à imiter le cas de ces pays cités en se soulevant contre leurs dirigeants « éternels » ne doit donc pas surprendre.

Il semble que de nos jours, l’Afrique entame un tournant décisif dans le sens de l’aspiration des Africains à plus de performances dans la gestion et la gouvernance de leurs dirigeants respectifs. Il semble également que désormais, les Chefs d’Etat qui, malgré des décennies de gouvernance, tiennent encore mordicus à s’enraciner au pouvoir au point de vouloir en faire une « dynastie » risquent tôt ou tard de tomber dans des déboires qui pourraient leur être fatals. C’est sans doute ce qu’ont tôt fait de comprendre des Chefs d’Etat sages d’Afrique tels que les Généraux guinéen, Sékouba Konaté, nigérien, Djibo Salou et surtout, le Général Président Amadou Toumani Touré. Le cas de ce dernier est aussi rare et inédit qu’exemplaire et instructif.

Le plus surprenant, c’est que de nos jours, plus que les politiques qui ont pourtant « blanchi sous le harnais » de leurs partis respectifs, ce sont les militaires qui donnent aujourd’hui de belles leçons de démocratie en Afrique : les cas du Malien d’ATT, du Guinéen Sékouba Konaté et du Nigérien Djibo Salou se passent de tout commentaire, eux qui resteront désormais comme des exemples, des références, voire des icônes en matière de gouvernance démocratique. Pourtant, dans un passé encore récent, des militaires avaient mis presque tous les pays africains en « coupe réglée », sinon à « pas cadencés », dans un climat empreint de dictature, de despotisme, d’autocratie et de cruauté.
Ces belles leçons de démocratie infligées comme une gifle aux politiciens africains par des militaires doivent être saluées tout bas par toute l’Afrique. Et les Chefs d’Etat encore au pouvoir en Afrique doivent s’inspirer de ces leçons pour se remettre en question, car le pouvoir, c’est comme l’amour qui ne dure que le temps des roses : il faut donc savoir le quitter avant que ces roses ne se fanent. Pour n’avoir pas compris à temps cette grande sagesse de l’histoire, voyez ce qu’il est advenu de l’Ivoirien Laurent Gbagbo (parmi tant d’autres), de sa femme, de sa famille, de ses complices et de tous ses partisans !

Le cas spécifique d’ATT
Quoi qu’on en dise, ATT aura été le premier au monde à mettre fin à plus de deux décennies de dictature dans son pays, à organiser des élections transparentes et démocratiques, à transmettre le pouvoir au gagnant de l’élection présidentielle, à se retirer du pouvoir pendant dix ans, à revenir pour briguer pour la première fois sa candidature à ladite élection, à être élu sans coup férir, à exercer le pouvoir durant deux mandats successifs et à décider finalement de prendre sa retraite au bout de son deuxième mandat, en dépit des multiples exhortations venant de politiques et autres esprits plus ou moins intentionnés ou opportunistes.

La ferme décision d’ATT de quitter le pouvoir après l’élection présidentielle d’avril 2012 est une façon de signifier que la « vogue des Chefs d’Etats éternels » est désormais révolue en Afrique, et que comme le conseillait l’autre, « il faut savoir quitter la table lorsque l’amour est desservi », même si le cas du départ d’ATT n’est aucunement lié à un quelconque désamour avec le peuple malien, n’en déplaise à ses détracteurs.
Par Oumar Diawara « Le Viator »

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