CONSENSUS Malien : Démocratie représentative ou démagogie représentative

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Pour nous, le Mali est au bord du gouffre, et il est plus que jamais urgent de prendre conscience des erreurs commises et d’en tirer les leçons. Le consensus ambiant est très mauvais pour la démocratie, et il est mortel pour les Maliens.

En 1991, des Maliens ont payé de leur sang pour que s’établisse dans notre pays un gouvernement des Maliens par les Maliens et pour les Maliens. Le coup d’Etat était encouragé pour deux raisons : le refus du régime de s’ouvrir à la pluralité politique et la misère qui prévalait sur la population, affichée, entre autres, par un décalage entre le niveau de vie des dirigeants et celui des citoyens ordinaires.

Plus de 15 ans après le renversement du général Moussa Traoré, le Mali est dans l’impasse. Les Maliens attendaient de leurs leaders politiques une démocratie représentative et une avancée dans l’amélioration des conditions de vie des uns et des autres. Sur ces deux objectifs, malheureusement, le bilan reste mitigé.

La principale avancée reste la création des partis politiques. Ils sont une centaine aujourd’hui. En revanche, aucun lien social n’existe entre les partis politiques et l’idée politique. Un parti politique est créé pour défendre un programme ou une vision. En France, vous avez la droite, qui est représentée par l’UMP, et la gauche, représentée par le PS. Au-delà, le Front national de Le Pen et les Verts sont les partis de ceux qui ne s’identifient ni à la droite ni à la gauche. En aucun moment donné, l’UMP ne fera un cadeau au PS ou le contraire, car dans le monde des idées, un parti politique se nourrit de la faiblesse d’un autre.

Il en est de même aux Etats-Unis. Vous avez les démocrates, les républicains, les verts et les indépendants. Les républicains veulent un rôle limité du gouvernement dans la vie des populations et les démocrates insistent sur le rôle positif du gouvernement dans le redressement des déséquilibres du marché. Mais que dire d’un parti politique si son rôle est réduit à accompagner un autre ? Dans ce cas, le parti perd toute légitimité et existence.
Les partis politiques au Mali n’ont ni le courage ni la méthode pour proposer des réformes qui devraient imposer l’intérêt général, car ils sont trop soumis aux groupes de pression les mieux organisés et ne sont concernés que par le court terme : le comité exécutif des partis respectifs et leurs alliés. Les décisions d’intérêt général sont prises sans la moindre participation des militants, or sans le support de ceux qui sont concernés, toute action d’un parti est menée pour la promotion du décideur et non pour la cause que défend le parti.

Quand l’intérêt particulier prime sur le collectif, les populations subissent la confusion totale. Elles ne savent plus qui défend quoi. En conséquence, elles se résignent au mécontentement et reconnaissent leurs incapacités à participer au changement. Pire que la pauvreté, c’est la pauvreté d’espoir qui s’installe dans les cœurs. Puisqu’elles ne peuvent en aucun cas changer l’indéfendable, les populations cherchent par tous les moyens possibles à résoudre leurs problèmes quotidiens. C’est là où une personne devient une marchandise : la personne qui paye le plus ou promet le plus devient le propriétaire de la marchandise, qu’il peut manipuler à sa guise.

Une équipe de football sans adversaire est-elle efficace ?

Un système de consensus tel que le nôtre peut paraître raisonnable. Après tout, quand toutes les sensibilités politiques sont représentées dans un gouvernement, ainsi va l’argument, tout le monde joue pour une équipe et marque pour la victoire de l’équipe. Mais pour bien jouer, il faut tout de même un adversaire. Sans adversaire, point de match. Il en est de même en politique. Pour qu’un gouvernement puisse agir avec plus d’efficacité et plus d’écoute, une opposition est nécessaire pour tenir ce gouvernement responsable. Et comme les politiciens veulent toujours aller plus loin dans leurs quêtes de pouvoir, ils seront obligés d’être à l’écoute des citoyens pour parvenir à leur fin.

En revanche, une décision prioritaire n’est jamais consensuelle et agir de façon consensuelle garantit qu’aucune réforme nécessaire ne sera mise en œuvre car ce sont les maillons les plus faibles, plus concernés par des postes politiques que par l’avenir de la nation, qui se regroupent pour orienter les choix publics.

Quel politicien malien a eu le courage de dire "je supporte le programme social du président" ou "sa lutte contre la corruption" ? Tous disent : "nous sommes derrière le président, quoi qu’il en soit". Le but d’une démocratie n’est pas de transformer le président en un "roitelet". En bref, le consensus est un accord pour que rien ne change. Cette tendance qui se dessine, si rien n’est fait, correspondrait à laisser aux générations futures le fardeau de l’irresponsabilité collective des leaders politiques.

Trois (3) branches de pouvoir égales sont au centre de la démocratie. L’exécutif ou le président, le législatif ou les députés, et le judiciaire. Chacune de ses branches joue un rôle de contre-pouvoir et d’équilibre aux autres branches. L’exécutif, qui à tout moment n’est détenu que par une personne, a une marge de manœuvre bien élargie du fait de l’unicité du poste. Il a le rôle de respecter et de faire respecter la loi, grâce au monopole qu’il exerce sur les forces armées en tant que chef suprême des armées.

Le législatif a le devoir de passer des lois en les faisant voter par les représentants du peuple et de financer le programme du gouvernement. Parce que les députés ne sont pas nommés par le président, ils jouissent d’une indépendance particulière. Le rôle particulier des députés est de défendre les intérêts de ceux qui les ont élus. Naturellement, les intérêts des députés et de l’exécutif sont contradictoires. Ils devront aussi jouer le rôle de l’opposition et proposer des plans d’action au gouvernement. Ils sont censés être un contre-pouvoir au gouvernement et défendre l’intérêt de leur électorat respectif à travers des projets d’industrialisation, d’emplois pour les jeunes, etc.

Quant au pouvoir judiciaire, il joue à travers la Cour constitutionnelle le rôle de gardien du temple de Thémis en jugeant de la constitutionalité des lois votées par l’Assemblée nationale. Savez-vous pourquoi tous ces pouvoirs ne sont pas confiés à un seul individu ? Comme l’a si bien dit l’historien britannique Lord Acton, "le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument". Quand tout le pouvoir est confié à l’exécutif, un déséquilibre anti-démocratique est de mise.

Les députés maliens ont failli à leurs obligations

Au lieu de s’acquitter de leur rôle, les élus de la nation, y compris les indépendants, sont eux aussi en campagne pour le président de la République. On en voit entre deux avions, dans les trains ou voitures, etc. qui se font de la peine pour faire campagne, non pour leurs propres réélections mais pour celle du président de la République. Ils ne font rien pour leur électorat et rien pour la République. A part passer des heures inutiles à se plonger dans les lectures vides sur l’histoire, ils ne s’intéressent ni aux priorités du Mali et son incapables de dire non au gouvernement. Tout cela prouve une chose : au Mali, chacun a un prix, et transformer des élus de la nation en des griots est un abus de pouvoir et du président et des députés.

Quand les partis politiques ont des programmes bien éclairés et défendus par leurs leaders, au moment des élections, c’est l’électorat qui choisi le programme le plus réaliste pour lui. Mais quand tous les partis politiques soutiennent une personne et non un programme politique, quelle est la raison de vie de ses partis politiques ? Pourquoi ne pas combiner ces alliés en un parti politique (pas une alliance) ? La réponse est connue : le raccourci vers une vie de rêve, au Mali, passe par la politique.

Le Mali a assez fait pour les politiciens. De l’indépendance à nos jours, des militaires ont été promus présidents, des professeurs ont monté l’ascenseur social pour avoir le poste suprême, des simples citoyens se réveillent riches, des personnes avec un passé douteux se sont retrouvées maires de nos villes. Malgré tout, certains continuent à manipuler ce pays à leurs fins, des fins ni nobles ni justes. Comme le disait, John F. Kennedy, ancien président américain "ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi. Demande ce que tu peux faire pour ton pays". Face à ce test, le résultat du Mali est médiocre. Il est temps d’inverser la tendance, qui, si rien n’est fait, fera payer cher aux générations futures.

Quelles leçons pour le prochain locataire de Koulouba ?

Il nous faut certes l’esprit partisan pour faire face aux nombreuses difficultés qui se dressent sur le chemin de notre développement. Mais un gouvernement de consensus est rarement une solution démocratique. Le consensus mérite une réflexion de fond. La démocratie participative, avec comme méthode le consensus, peut facilement dégénérer en ce qu’on peut légitimement appeler une "démocratie démagogique", avec comme conséquence ce que nous vivons tous aujourd’hui : le changement dans la continuité.

Pour nous, le Mali est au bord du gouffre, et il est plus que jamais urgent de prendre conscience des erreurs commises et d’en tirer les leçons. Le consensus ambiant est très mauvais pour la démocratie, et il est mortel pour les Maliens.

Un nouveau gouvernement ne dispose de l’assise populaire pour passer des reformes difficiles que pour 2 ans maximum. Donc pour obtenir plus de support populaire, le président doit agir très vite et très tôt dans son mandat. Un président ne doit ni essayer d’embarquer tout le monde à bord, ni plaire à tout le monde. François Mitterrand disait qu’avec « 70 hommes (ou femmes), on peut tenir un pays ». Le nombre n’est pas important. C’est la qualité des hommes qui fait toute la différence.

Gouverner, ce n’est pas un partage de gâteau (le gâteau malien n’est pas assez grand), ni une action destinée à combler les besoins personnels, mais représente une opportunité exceptionnelle : celle de transformer directement des millions de vies et laisser une trace parmi les empreints des grands hommes. La force d’action d’un président est avant tout le désir profond de laisser une trace, et pour cela, l’horizon ou le long terme va au-delà du mandat présidentiel. Les présidents viennent et partent. Mais c’est toujours la génération future (jeunes d’aujourd’hui) qui a la responsabilité de juger les dirigeants et d’écrire l’histoire de nos leaders.

Le consensus, croyez-nous, ne sera pas jugé favorablement. Pour la survie de la génération future, inversez cette tendance, car la démocratie, on le sait tous, a un rôle particulier pour tous, y compris l’opposition.

Soya Djigué
(économiste à Washington DC)

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