Confiscation des Libertés publiques au Mali : rnL''insulte et l’outrage

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En décidant de confisquer  leur liberté à des citoyens maliens, pour un délit non constitué, la justice malienne, déjà indexée lourdement dans plusieurs contentieux, vient de descendre dans une arène qui ne lui sied pas : elle veut indiquer aux hommes de presse, aux créateurs et à tous les esprits libres de ce pays, la notion du "politiquement correct". A partir du moment, où cette justice peut se mettre en branle sur toute sa dorsale, pour une œuvre fictive, que ne fera-t-elle quand la réalité sera décrite toute crue ? Assurément, il ne faut surtout pas que sous le manteau de la justice, se règlent des comptes.

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Victor Hugo dans les années 1850 a pu écrire, Napoléon Le Petit, stigmatisant le coup d”Etat perpétré par Bonaparte. "Les châtiments ", son œuvre emblématique rend compte de ce que peut être la révolte d”un citoyen meurtri devant l”imposture d”un politique usurpateur. Dans "Sonnez, sonnez toujours clairons de la pensée", Victor Hugo tire cette conclusion claquante : même ceux qui se croient invulnérables finissent par chuter. La pensée politique africaine, singulièrement malienne a elle aussi codifié cette théorie quand elle dit qu”aucun pouvoir n”est éternel. Taara Boaure, le rossignol de Molodo Bamana a déjà si bien chanté cette gnose. Et de quelle manière !

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Un siècle après, des citoyens maliens vont en prison pour avoir seulement mis en scène des travers de leur société. Et l”affaire est tellement prise au sérieux qu”elle a été examinée, toutes portes closes en plein jour! Huis clos ! Oui, de cette pièce de théâtre célèbre de Jean Paul Sartre en pleine philosophie existentialiste. "L”enfer c”est les autres", avait osé mettre Sartre dans la bouche d”un de ses personnages. Comment peut-on se percevoir véritablement sans le regard, le jugement des autres ?

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Pour avoir eu l”audace de proposer à ses élèves un exercice littéraire d”une telle hardiesse spéculative, le Professeur Kassim Minta, en plus d”une peine d”emprisonnement ferme de deux mois, est tout simplement interdit d”exercer sa fonction. Une peine inédite dans les annales de la justice malienne. Le juge voudrait-il décréter l”abolition de la dissertation et de l”initiation à la spéculation ? Il est vrai que cet exercice forge l”outil intellectuel et ceux qui ne l”ont pas appris et maîtrisé en souffrent dans leur parcours professionnel. Est-ce possible de disserter quand au sommet de l”Etat on pense que les intellectuels sont inutiles ?

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Pour avoir fait écho de cette épreuve dans un article professionnellement inattaquable, le journaliste Seydina Oumar Diarra a été envoyé en prison comme un vulgaire escroc par le Procureur Sombé Thera.

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Pour avoir par solidarité, et pour surtout défendre la liberté de la presse, publié l”article en question, quatre Directeurs de Publication ont également été envoyés en prison par le même Procureur.

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Tels sont les faits qui aujourd”hui constituent un danger rampant et tentaculaire contre la liberté de presse et plus fondamentalement la liberté d”expression que des juges veulent mettre sous le boisseau, sous le prétexte fallacieux d”outrage au chef de l”Etat. C”est en s”agrippant à cette notion que la justice malienne vient d”ignorer superbement la loi sur la presse et les délits de presse, le fondement de toutes les poursuites contre les journalistes au Mali. Et alors même qu”on s”attendait à ce que  le Procureur Sombé Thera fut désavoué, le juge Moussa Sara Diallo a décidé de lui donner raison sur toute la ligne. Car pour lui aussi, l”article de presse en question n”est ni plus ni moins qu”une affaire de mœurs, donc un sujet tabou ; un sujet d”autant plus tabou qu”il parle de la sexualité du chef suprême, du Président de la République. D”où l”interdiction faite au Professeur MINTA d”exercer sa profession pour toujours, à moins que l”appel lancé par les avocats n”en décide autrement.

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Le Procureur ou  L’Inquisiteur ?

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Tirons donc les conclusions de ce verdit, à tout le moins, inique, bancal et controversé.

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D”abord de l”interdiction faite à l”enseignant d”exercer sa profession. Le juge a pris sur lui de caractériser un fait imaginaire et de mettre un visage sur ce président imaginaire, dans un pays imaginaire. Désormais, on peut donc dire, et sans crainte d”être poursuivi par le Persécuteur de la République Sombé Thera, que l”acteur allusif de cette allégorie est Amadou Toumani Touré dans le pays qui s”appelle le Mali. Il en est ainsi parce que, sans doute, c”est au nom du Président de la République que la plainte a été introduite.

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Les juristes nous diront  comment l”action publique peut être déclenchée, en pareils cas. Si tant est que Sombé Thera s”érige en chien de garde de la morale publique, il faut que désormais il s”apprête à ester contre toutes les dérives supposées attentatoires aux "bonnes mœurs". En la matière, le Ministre Marimantia Diarra, toujours en activité, doit lui demander des comptes, car lui aussi a vu son honneur bafoué par la presse, pour une affaire de mœurs. L”honneur d”un ministre ne vaut-il plus si rien pour ne susciter aucun clin d”œil de notre nouveau brigadier de la mondaine ?

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Le Mali n”est certainement pas les USA, et Dily, la demoiselle imaginaire de l”exercice littéraire, n”est pas Monika Lewinsky, mais l”un dans l”autre le constat est que pour le Procureur Sombé Thera et le juge Moussa Sara Diallo, il s”agit-là d”un sujet "hautement pornographique". Vous vous souvenez sans doute que suite à la bourrasque de l”Affaire Lewinsky qui a éclaboussé le Président Bill Clinton les pouvoirs publics américains ont décidé d”une enquête dont le rapport final a été mis en ligne sur internet. Mais, dans cette société puritaine, il s”est vite trouvé des consciences pour exiger le retrait en ligne de ce document jugé "highly pornographic".

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L”enseignant Kassim Minta appartient à une corporation qui a son code de conduite. Il relève d”une hiérarchie. C”est à ce premier niveau qu”il aurait dû être évalué au cours d”un conseil de discipline. Et c”est seulement un tel conseil de discipline qui peut décider de la possibilité d”exercer le métier.  

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Mais, apparemment une telle disposition n”était pas opportune pour nos "bons juges" qui ont décidé de sanctionner la faute professionnelle sans autre forme de procès. Aujourd”hui, il s”agit d”un enseignant, mais il aurait pu être question d”un médecin, d”un pharmacien ou même d”un juge. Le jugement des pairs est le meilleur des jugements. En plus d”inculper ce pauvre professeur, le Procureur aurait dû asseoir son accusation, toujours sur le plan des principes, en interpellant les autorités en charge de l”instruction publique dans notre pays. Le lycée où l”épreuve a été donnée est un établissement privé. Que fait l”académie locale pour veiller sur la qualité de l”enseignement qui y est dispensé? Le Directeur de l”académie dont relève ce lycée, a-t-il une seule fois visité les établissements privés de sa compétence ? Le Ministre de l”Education, lui-même sait-il seulement comment ses écoles travaillent ?

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Ces questionnements auraient pu convaincre les Maliens que le Procureur veille sur la morale dans nos écoles.

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Ensuite, le fondement même de la poursuite. Tant qu”il y a en vigueur une loi spécifique au Mali sur la presse, il faut se battre pour que ce ne soit pas un vil torchon. Cette loi a été obtenue en 2000 après des batailles épiques qui ont opposé les journalistes, les associations de journalistes à plusieurs autres corporations qui voyaient là un boulevard pour l”impunité des journalistes. La loi a été quand même votée et promulguée. Mais l”information circulant mal, donc les connaissances n”étant pas forcément à jour, il faut communiquer cette loi au Procureur Sombé et au juge Diallo. Après tout, il peuvent n”avoir jamais lu ce texte.

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Enfin, la caractérisation de l”infraction. Ni le Procureur, ni le juge n”ont pu démontrer en quoi, l”exercice littéraire et l”article indiquaient le Président Touré. La scène est surréaliste, et à l”évidence il s”agit d”une condamnation de citoyen pour un délit non constitué, donc tout aussi imaginaire que l”exercice littéraire.

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Il est fort à parier que Sombé Thera et le juge Moussa Sara Diallo se soient adossé sur le vieil adage bambara qui dit que "l”on peut se tromper sur tout et de tout sauf de la parole qui t”est adressée". En ce moment, il ne s”agit plus du droit positif, mais d”un raisonnement dangereux qui situe la faute dans l”intention, dans l”imagination. Donc, si l”enseignant et le journaliste ont eu cette inspiration, c”est bien parce qu”ils veulent parler du Président de la République du Mali !

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Il en est de même des peines infligées. Ici, la justice a fini de s”offrir en pâture, car apparemment dans le lot des prévenus il y avait des clients qui n”avaient pas le même intérêt. Nous avons parlé du cas de l”enseignant. Il y a le cas de Seydina Oumar qui écope d”une peine de treize jours, soit le temps qu”il a passé en prison. Dans le lot des directeurs de publication, seul Sambi Touré écope d”une peine de sursis de huit mois, alors même que lui et les autres ont été embastillés pour les mêmes motifs. Que veut on faire payer à Sambi Touré?

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Le roi borgne

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On peut évidemment tirer des conclusions, car il faut prendre cette parodie de justice  pour suffisamment grave , et comme telle la dénoncer vigoureusement pour qu”elle ne serve pas de jurisprudence. Il ne s”agit que d”un recul flagrant, dédaigneux et infâme pour le Mali. Il faut feuilleter plusieurs pages de notre histoire commune pour se rendre compte que dans le prestigieux royaume bambara de Ségou a régné un roi tout aussi prestigieux. Ce roi-soleil avait eu le malheur d”avoir une infirmité de naissance, car il était borgne. Et les sujets, dans un élan de respect absolu, ont toujours ménagé ce roi en s”imposant de ne pas commencer à compter à partir de la première unité. Ainsi, sous le joug de ce roi de Ségou, il fallait pour compter commencer par parler de la "convention connue". Et de suite….

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Le verdict de la justice nous confine dans cette option, car personne ne pourra plus parler d”une quelconque anomalie du pouvoir. Et quand on sait que la dérision est l”une des valeurs de nos sociétés, il faut tout simplement avoir peur. Et quel est l”homme d”Etat qui n”a pas ses frasques? Les frasques ne sont elles même pas consubstantielles avec l”exercice du pouvoir ? Nous avons parlé de Monika Lewinsky dans la vie du Président Clinton. Mitterand n”avait-il pas Mazarine ? Que n”a-on glosé sur les aventures extraordinairement campées du Président Bongo ? Et tant d”autres encore dont personne ne parle pas mais que tout le monde connaît. 

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Un Président ne va-il pas chez des prostituées? Un Président ne peut-il pas avoir un enfant qui ne soit pas de sa femme légale ? En quoi est-ce que parler des mœurs de ceux qui nous dirigent constituent un péché ? Dans la lutte contre le Sida, n”a-t-on pas vu des Présidents aller au devant de la campagne en se faisant dépister publiquement ? Ronald Reagan et Mathieu Kerekou l”ont fait. Keneth Kaunda, alors Président de la Zambie n”a-t-il pas publiquement reconnu que deux de ses fils sont morts du sida ? Au Mali, n”a-t-on pas vu le Président Konaré braver les tabous et exhiber un préservatif dans la salle pleine du Palais des Congrès de Bamako ? N”a-t-on pas vu dans le Burkina Faso de la Révolution, le Camarade Président du Faso, Thomas Sankara s”entretenir publiquement avec toutes les prostituées de Ouagadougou, conscient du fait que ces travailleuses méritaient la reconnaissance et le respect ?

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Le maire de la ville de Paris, n”est-il pas un homosexuel assumé ?

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Il y a eu un mémoire de fin de cycle célèbre à l”Ecole Normale Supérieure de Bamako, dans les années 90 sur la prostitution au sommet de l”Etat malien. L”étudiant a décrit avec brio comment la haute société encourage la prostitution sous diverses formes : dames de compagnies, hôtesses, pour des officiels de passage dans le pays. Ce mémoire a été soutenu publiquement devant un jury scientifique et personne n”a été inquiété. C”était sous le Président Moussa Traoré. Alors, … ? A ce rythme où vont les parquets, il sera plus question de libération que de liberté de la presse.

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Hambodédio BARRY*

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