Lors de son sommet extraordinaire tenu le dimanche dernier dans la capitale ghanéenne, la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a annoncé des mesures contre notre pays. Les commentaires de quelques acteurs politiques
Jeamille Bittar, M5-RFP : «Nous devons maintenir le cap»
La position de la Cedeao était connue avant le sommet. En réalité, cette organisation ne se soucie pas du bien-être des Maliens. Elle veut que notre pays se retrouve dans le chaos. Envisager le chaos, c’est dire d’aller forcément aux élections pour qu’il y ait des contestations qui vont déboucher sur une crise postélectorale qui ne dira pas son nom. La décision de sanctionner est vraiment du non-sens.
Ce n’est pas une décision réfléchie. C’est pourquoi à un moment, j’avais demandé de surseoir à notre participation au niveau de la Cedeao où il y a des menaces, des pressions pour déstabiliser les autorités de la Transition. Mais je pense que ce sont des hommes avertis qui vont maintenir le cap. Le peuple malien, debout, est derrière eux. Penser qu’on ne peut pas vivre sans cette Cedeao, c’est une fuite en avant. Parce que le Mali a existé avant la Cedeao et il existera après la Cedeao.
Nous sommes un pays souverain. On n’a pas à se plier au diktat de qui que ce soit. Les autorités doivent tenir le cap qui sera fixé par le peuple malien, ce serait la voie royale à suivre. Les États de la Cedeao ont plus à perdre que nous. On nous fait incriminer par des ennemis à l’intérieur même de notre pays et dire que sans la Cedeao, il y aura ceci ou cela.
Mais la communauté internationale ne se résume pas à la Cedeao. Nous avons d’autres débouchés. Il y a des pays européens et américains qui ne vont certainement pas suivre la Cedeao. Mieux, la Guinée, c’est le port naturel du Mali. Nous sommes à 600 km de Conakry. Nous allons trouver les moyens pour peut-être passer par la Guinée. Nous allons nous organiser pour dire que nous sommes avec nos autorités et que nous allons continuer à être avec elles. Et cela, nous le ferons avec intelligence. Que les Maliens comprennent que c’est dans la douleur qu’on reconnaît ses amis et que c’est dans cette même douleur que nous allons pouvoir avancer…
Dr Abdoulaye Amadou Sy, COFOP : «Ces sanctions sont injustes»
Le Mali est l’un des membres fondateurs et nous sommes partie prenante de la Cedeao. La situation au Mali est qu’en réalité, nous avons besoin de paix avant d’aller aux élections. Et pour aller aux élections, le problème n’est pas tout simplement de mettre un bulletin dans l’urne. Il faut faire la campagne et à la suite voir que les populations optent pour le meilleur parmi ses enfants.
Mais elles ne peuvent pas opter si elles ne les ont pas vus à l’œuvre. C’est ce qui manque au Mali. Les trois quarts du pays sont occupés et se précipiter pour dire que tel est devenu président et tel autre député ne correspond pratiquement à rien. Cela conduira encore à des contestations qui finiront aussi par des coups d’état.
Les chefs d’État de la Cedeao demandent aux Nations unies de donner un mandat fort à la Minusma qui ne se défend pas. La Minusma elle-même est attaquée. Cela veut dire que la Cedeao est consciente de la situation. Si elle est consciente de la situation, elle devrait continuer à se dire qu’il ne peut pas y avoir d’élections dans un pays ravagé par la guerre et où les populations sont assiégées chez elles. C’est pour cela que j’estime que les sanctions tant au niveau de l’état du Mali qu’au niveau des responsabilités sont injustes. Ces sanctions n’ont pas été clairement réfléchies au regard de la situation d’un pays en guerre.Un tel pays ne peut pas organiser des élections qui seront injustes. On a déjà vu le cas des élections de 2020.
C’est parce qu’il y avait cette situation que le peuple s’est révolté et a fini par chasser le pouvoir qui était là. Donc, la même chose nous guette aujourd’hui. Qu’est-ce qui empêche le régime actuel de demander aux préfets et autres de bourrer les urnes et choisir un président ?
Ils peuvent le faire, mais c’est sûr que les populations vont se soulever et contester ceux qui seront présentés comme étant les gagnants. C’est ce qu’il faut éviter.Ces sanctions sont injustes et sont faites uniquement pour essayer de protéger les autres pays. C’est une manière également de donner des leçons aux militaires des autres pays de la Cedeao pour dire que s’ils font des coups d’état, c’est ce qui leur arrivera. Les Maliens doivent resserrer les rangs et montrer à la Cedeao que c’est le peuple malien qui soutient le régime actuel. Onl’a déjà montré à travers des manifestations.
Adama Tièmoko Diarra, ancien ministre et militant de l’Adema-PASJ : «Il revient aux autorités de fédérer toutes les forces vives de la nation»L’Adema est résolument engagée aux côtés d’autres forces politiques pour accompagner la Transition. Ce qui nous aurait beaucoup plus inquiétés c’est que la Cedeao soit amenée à prendre des sanctions économiques contre le Mali.
C’est regrettable que des mesures soient prises vis-à-vis de nos autorités mais aujourd’hui il leur revient de fédérer toutes les forces vives de la nation et se doter d’un agenda réaliste et réalisable en se disant que la Transition est un pouvoir d’exception. Et un pouvoir d’exception n’est pas fait pour durer, pour résoudre les problèmes structurels. Mais, il a pour mandat essentiel de créer les conditions de sécurité et mettre en place un pouvoir légitime pour le retour à l’ordre constitutionnel normal.
La communauté internationale veut s’assurer que la Transition ne va pas perdurer, car plus elle va durer dans le temps, plus ce sont les populations qui vont en souffrir. Tous les gros investissements sont tributaires des financements extérieurs. Mais ces financements ne seront jamais actifs tant que nous serons dans une situation de Transition. Aucun pays, aujourd’hui, ne peut vivre en autarcie.
Dans ce contexte, faisons en sorte que nous retournions rapidement à un pouvoir constitutionnel normal et que les financements qui sont tributaires de l’extérieur puissent être disponibles pour le développement de notre pays et pour le bien vivre des populations maliennes.
Les autorités doivent rapidement créer les conditions pour la levée de ces sanctions. Pour ce faire, elles doivent, avec toutes les forces vives de la nation, se doter d’un nouvel agenda, d’un chronogramme réaliste et réalisable. Si cela est fait, c’est le Mali dans un cadre de sursaut national qui va s’adresser à la Cedeao pour demander la levée des sanctions prises contre les autorités.
Propos recueillis par
Issa DEMBéLé Dieudonné DIAMA