Le gouvernement du Mali a organisé du 21 au 23 octobre 2013 les états généraux de la décentralisation pour, dit-on, corriger les failles et les insuffisances de ce processus de partage du pouvoir. Après des années de pratique de la décentralisation, le temps était venu de faire le bilan. Les assises de Bamako vont-elles poser les vrais problèmes et y apporter les réponses idoines ?
Les textes de la décentralisation sont au premier chef le point de blocage. En effet, les autorités maliennes de l’époque avaient plutôt mis en avant les avantages accordés aux élus, oubliant qu’il y avait une nouvelle administration à mettre d’abord en place. Il y avait toute une zone d’ombre sur les avantages que devraient percevoir les agents des collectivités. Quand ceux-ci en réclamaient, les autorités de tutelle des communes (les préfets) renvoyaient les maires à gérer les situations par des lois et règlements datant souvent de 1960. Alors que la pratique de la décentralisation dans ces localités a seulement commencé en 1999. Ce qui explique en partie pour quoi les diplômés de nos grandes écoles, qui avaient placé beaucoup d’espoirs dans ce processus, ont très vite déchanté en abandonnant leurs postes année après année. Les conditions de travail ne sont pas remplies. Le traitement était une misère pour des jeunes qui ont abandonné le confort de la ville pour s’installer dans des localités où presque tout manque.
Au-delà de l’insuffisance dans les textes, les avantages censés motiver les travailleurs sont quasi inexistants pour les agents communaux et même pour des élus qui abandonnent leurs activités pour se consacrer exclusivement au développement de la commune.
Le manque de ressources propres est certes un handicap majeur dans l’évolution de la décentralisation, mais même si ces ressources existent, rien n’a été fait pour qu’elles profitent à la population. La gestion de la collectivité est devenue une affaire exclusive du seul maire.
Au début de cette décentralisation à outrance, les collectivités ont été suffisamment accompagnées par des partenaires au développement qui croyaient au projet, mais très vite, ils (les partenaires) ont revu à la baisse leurs appuis. Car ayant constaté que ces appuis ne profitent pas à la population. La plupart des maires ne pensaient qu’à se faire les poches en élaborant des projets de réalisation d’infrastructures. Voyez-vous les fonds ANICT (Agence nationale d’investissement des collectivités territoriales) ont été toujours consommés à plus de 90%. Mais allez-y voir de quel type de réalisation, s’agit-il. Souvent ces réalisations ne servent que pour les présentations parce que les collectivités ne subissent pratiquement pas de contrôle. Combien de maires ont fait des gestions calamiteuses, depuis le début du processus. Ils n’ont jamais été inquiétés. En 15 ans, combien de collectivités sur les 703 ont fait l’objet de contrôle. Il n’y en a pas beaucoup. C’est pourquoi, certains élus ne font plus de différence entre les ressources des collectivités et les leurs.
Des laissés pour compte
Aussi, la décentralisation a créé une rivalité exacerbée entre les élus et les sous-préfets qui pensent que les maires sont un obstacle à leur « gagne-pain ». De ce point de vue, les coups bas sont quasi quotidiens. Chacun cherche à mettre les bâtons dans les roues de l’autre. Et les populations assistent malgré elles à cette rivalité absurde qui n’a d’autres buts que de protéger des intérêts personnels.
Ajoutez-y l’incompétence de certains élus à diriger une collectivité. Ceux-ci sont incapables de proposer un programme de développement pour leur commune. Parce qu’ils n’ont souvent pas le niveau requis pour ce travail. La plupart des maires sont des illettrés ou ayant reçu une formation académique très insuffisante (des pseudo-analphabètes). Ces derniers confondent souvent les rôles du maire et du secrétaire général ou avec celui du régisseur. Pour eux, le maire est forcement la seule tête pensante de la commune. Et même les conseillers communaux n’ont parfois pas leur mot à dire dans certaines décisions importantes de la collectivité.
Enfin, les collectivités territoriales ont été laissées pour compte par les services de contrôle. Elles bénéficient du financement public et par conséquent doivent rendre des comptes. Si l’on veut améliorer la décentralisation, il faut imposer un contrôle strict aux collectivités pour stopper la dilapidation des maigres ressources.
Les assises de Bamako ont-elles été organisées pour prendre en compte cette face cachée de l’iceberg ou pour faire plaisir aux groupes armés de Kidal ? Même si ce n’est pas le cas, ça y ressemble dans la mesure où il est très difficile de faire un diagnostic des insuffisances de notre décentralisation en trois petits jours.
Le transfert des ressources
Aujourd’hui, les élus et la nouvelle administration focalisent le débat sur le transfert des ressources en occultant l’essentiel des problèmes des collectivités. Entre autres, les fonctionnaires des collectivités doivent avoir les mêmes traitements que ceux de la fonction publique. A diplôme égal, les traitements doivent être les mêmes, s’ils sont tous des Maliens. Il n’y a pas de raison que les agents communaux des collectivités moins loties soient traités différemment que leurs collègues des communes nanties. La fonction publique des collectivités territoriales a suscité des grincements de dents. Il y a une sorte de deux poids, deux mesures entre les enfants d’un même pays. Proposez les deux statuts à un jeune diplômé, et vous constaterez que le choix est vite fait.
Il faut revoir la qualité des élus dans le processus de décentralisation. Les élus doivent avoir un certain niveau et une certaine expérience pour prétendre diriger une commune rurale. L’Etat doit veiller à la mise en place d’une véritable administration dans chaque collectivité. Et enfin, il faut faire l’état des lieux des collectivités. Les 703 communes ne sont pas viables. Il faut penser nécessairement à aller faire la fusion de certaines collectivités pour réduire la taille des collectivités et le risque de dilapidation de nos maigres ressources.
Idrissa Maïga