Décentralisation, communalisation, régionalisation : “Le Mali doit s’appuyer sur sa diversité pour sortir de la crise “

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Ousmane Sy
Ousmane Sy

Dans notre continent, les constructions étatiques post coloniales ont presque toutes été faites sur le modèle administratif et politique centralisé, héritage du jacobinisme français. A l’indépendance, dans l’ignorance des patrimoines institutionnels précoloniaux de leur peuple, les pays ont été organisés en état-nation fortement centralisé, seul capable, pensait-on à l’époque, de construire et de maintenir l’unité des nouvelles nations en construction.

 

 

 

Par crainte des tendances séparatistes, les nouvelles autorités ont répugné à reconnaître aux autorités coutumières de l’époque le moindre pouvoir propre dans la gestion des affaires locales. Ce modèle centralisateur est entré en conflit avec les traditions administratives décentralisées de la majorité des communautés en Afrique, mettant ainsi en difficulté et de façon durable “le pays réel” et “le pays légal”.

 

 

La gestion centralisée des affaires publiques n’a pas favorisé la participation des populations aux choix politiques, institutionnels et économiques. Cette situation a fini par engendrer des frustrations dont les manifestations les plus courantes sont : l’incivisme, l’hostilité voire l’indifférence des populations et souvent des rébellions armées ou passives.

Les processus de démocratisation engagés dans la décennie 1990 ne sont pas le seul facteur qui fonde l’émergence des expériences actuelles de décentralisation dans le continent. Il est de plus en plus admis aujourd’hui que l’efficacité de la gestion publique peut s’accroître avec la mise en place et l’implication des pouvoirs locaux. Les institutions de proximité peuvent constituer un puissant relais pour promouvoir les initiatives locales et mobiliser les ressources humaines et financières disponibles à ce niveau. Cependant, la reforme de décentralisation ne doit pas être réduite à une simple opération d’addition d’entités administratives locales aux entités administratives existantes, c’est coûteux et inefficace. La reforme implique donc un profond réaménagement du dispositif de gestion publique d’où la redéfinition des missions, de l’organisation, du fonctionnement et de la répartition des moyens financiers et humains.

 

 

La mise en œuvre de la décentralisation doit être pensée comme un processus de longue durée. Les principes directeurs qui la guident doivent nécessairement émerger d’un dialogue national qui mobilise l’ensemble des acteurs sociaux et territoriaux. Pour avoir une chance d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés, la reforme doit être mue par deux éléments que sont : a) une volonté politique lisible au plus haut niveau de l’appareil de l’Etat; pour éviter qu’elle ne s’embourbe dans les “marécages” des préalables à satisfaire et b) une approche inclusive dans le choix des orientations, des objectifs, et de la modalité de mise en œuvre. Aucune catégorie d’acteurs de la société ne doit être laissée en marge.

 

 

 

Les enjeux au plan institutionnel, posent la question du repositionnement de l’Etat central dans ses prérogatives face aux collectivités décentralisées dorénavant responsables en toute autonomie, sous réserve du respect des lois et règlements, des questions relevant de leurs compétences. Cette légitimation de l’Etat se traduit par : a) un élargissement de la base démocratique de l’exercice du pouvoir politique à travers la mise en place des autorités locales élues l, et b) une restructuration de la gestion publique en vue de l’amélioration de la qualité de la dépense publique et aussi des prestations des services publics. La décentralisation va être ainsi l’occasion d’une restauration de la confiance entre les communautés et l’Etat, elle-même source de reconnaissance de son autorité.

 

 

 

Au plan économique, la décentralisation à travers la responsabilisation des acteurs locaux qu’elle implique, est une condition à la mobilisation des acteurs pour la dynamisation des économies locales. Elle permet aux populations d’avoir leurs “mots à dire” sur la conception des programmes locaux de développement dont les termes seront dès lors mieux adaptés à leurs besoins réels et aux ressources disponibles. Cette réappropriation devrait permettre une productivité largement accrue dans la gestion des ressources du milieu ainsi qu’une meilleure mise en valeur. Les institutions locales et les opérateurs économiques concernés deviennent de ce fait directement responsables de leurs initiatives avec l’assistance des administrations centrales..

 

 

Au plan socioculturel, les nouvelles collectivités décentralisées sont autant d’espaces favorables à l’émergence de nouvelles initiatives et progressivement de nouvelles ressources humaines profondément ancrées dans la réalité du pays. Ce processus peut être à la base du développement d’une nouvelle citoyenneté dont l’éclosion sera facilitée par la cohérence qui naîtra du lien fait au niveau local entre les institutions démocratiques modernes et les institutions coutumières encore vivaces. Enfin, la reforme est l’occasion d’une répartition progressive des capacités nationales avec “un retour à la base” de compétences précédemment happées par le centre.

 

 

Le Mali, un pays dont la diversité est une des caractéristiques les plus visibles, doit s’appuyer sur cet atout pour sortir de la crise. Les acquis de plus d’une décennie de mise en œuvre sont aujourd’hui plus que suffisants pour sortir des interrogations et s’engager résolument dans la régionalisation qui est la 2ème étape après la communalisation. La paix, la stabilité et le développement du pays sont à ce prix. Il reste à ouvrir le débat à l’ensemble des acteurs pour que toutes les maliennes et tous les maliens participent à la conception et à la mise en œuvre. Pour guider la conduite de cette seconde étape du réveil du pays profond, le Premier Ministre est le meilleur ministre de la décentralisation et l’implication personnelle et le leadership du Président de la République sont indispensables.

 

 

Ousmane Sy,  Ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation

 

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4 COMMENTAIRES

  1. Cette contribution de Ousmane Sy est à saluer et à méditer. Il est d’ailleurs préoccupant que son article n’ait soulevé que si peu de réactions, alors qu’il aborde un problème fondamental dont on peut dire qu’il conditionne le futur du Mali tant sur le plan de l’unité nationale que sur celui d’une société démocratique. A côté d’un très grand nombre d’observations pertinentes, je retiens le manque de volonté politique forte quant à la décentralisation : celle ci est invoquée par les plus hautes autorités de l’Etat non parce qu’elles y croient vraiment, mais parce qu’elle offre un argument face aux rebellions du nord. D’autres indices : les élus locaux qui se plaignent du peu de ressources transférées n’appartiennent ils pas aux mêmes partis politiques qui votent le budget de l’Etat? Combien parmi les élus eux mêmes paient leurs impôts locaux, qu’ils réclament pourtant aux populations ? Un ministère de la décentralisation, est ce vraiment la bonne formule pour la décentralisation qui est une politique transversale, la politique publique “centrale”, pourrait on dire ? Et surtout, observez comment les problèmes de la décentralisation sont toujours posés comme des problèmes de gestion administrative, pas comme partie d’un processus politique. Il y a vraiment là un grand chantier qui devrait mobiliser l’énergie, l’inventivité des jeunes générations : pour vraiment changer la vie de nos populations, l’améliorer (et c’est cela la politique dans le sens noble du terme), c’est dans les collectivités décentralisées et au niveau des communautés qu’il faut agir.

  2. Un autre blablateur, un autre nostalgique. Le pouvoir centralisateur des premiers regimes politiques en Afrique et surtout au Mali c’etait pour consolider notre unite nationale et notre patriotisme, c’etait pour nous souder car nous sommes des micro-ethnies qui se reconnaissent entre elles et pas avec les autres. Demandes a un Khasonka c’est quoi un Bobo? ou a un Peulh c’est quoi un Bozo? ou a un Soninko c’est quoi un Minianka? Ou a un koroboro c’est quoi un Senoufo, etc….. Il ne faut pas simplifier les choses. Il faut batir la nationalite et le patriotisme au lieu et place de la decentralisation barbare et aveugle au nom de la diversite.

  3. Une contribution interessante de mr Ousmane Sy qui est d’actualite dont le titre est”Décentralisation, communalisation, régionalisation : « Le Mali doit s’appuyer sur sa diversité pour sortir de la crise”.Mr ousmane Sy militant bon teint du parti Adema,quand il a ete nomme pour conduire la decentralisation au mali,s’est investi dans cette mission en tant que citoyen malien et non comme militant adema qui l’aurait amene a agir en acteur partisan!Bienqu’acteur principal de la conception et a la mise en oeuvre de la decentralisation, mr Sy, par honnetete intellectuelle a toujours reconnu que les autorites devraient aller plus loin dans la responsabilisation des populations dans la gestion de leur terroir!Mais par esprit partisan, son parti enferme dans ses interers partisans, a refuse de le suivre.Ainsi malgre la mise en oeuvre de la decentralisation la contradiction entre le”pays reel’ et le”pays legal” n’a pas pu etre corrigee!Les autorites actuelles en affirmant vouloir aborder la phase”regionalisation” demandee depuis par mr Sy,faciliteront une sortie rapide de la crise multidimensionnelle que vit leMali!Il est donc inutile de tenir des “seminaires budgetivores” pour chercher comment faire!!La riche contribution de mr Sy constitue les materiaux majeurs pour le faire et surtout pour aller vite!Felicitations a mr Ousmane Sy qui a toujours voulu faire la politique autrement:preferer la citoyennete a la demagogie partisanne politique!

  4. Comment le Mali compte s’en sortir de la crise avec l’arrestation et la séquestration de ses militaires

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