De Taoudenit à Diago: le long calvaire de l’homme malien

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En avril 1980, à son retour du camp de  Boureïssa  (197 kms de Kidal), où il avait été interné, le grand résistant à la dictature militaire qui a consacré toute sa vie à la promotion des langues nationales, Karamogo Mamadu Dukuré dit Vzéro a composé un beau poème en bamanankan “Jo ni Nyangata”. Dans ce bel  hymne à la résistance et à l’espoir, Karamogo évoque plusieurs lieux de détention maliens: “Tawdeni, Buresa, Inakunder, “Janèmè” (l’enfer) !

Pour Karamogo-Vzéro, même l’enfer n’aurait pas pu briser le moral des patriotes des années noires.  De tous ces lieux, le camp de la mort de Taoudenit (750 kms au nord de Tombouctou), créé en 1969 par les lieutenants qui s’étaient emparés du pouvoir, le 19 novembre 1968, était de loin le plus horrible.

Les militaires au pouvoir à Bamako envoyaient leurs adversaires mourir à Taoudenit dans des conditions infra-humaines : atteints de maladies, ils ne recevaient aucun soin. Sous-alimentés, ne buvant que l’eau salée, ils n’avaient qu’un seul repas par jour consistant en une  bouillie de mil mal cuite à… l’eau salée. Obligés de travailler dix heures par jour quel que soit leur état physique, les forçats étaient en outre battus jusqu’au sang par des geôliers qui n’avaient rien à envier aux SS nazis.

Haut lieu du crime d’État au Mali, documenté par les récits de rescapés comme Guédiouma Samaké, Samba Sangaré ou Belco Nidiaye, Taoudenit symbolisera pour toujours l’horreur, le calvaire et la déshumanisation de l’homme malienOutre Taoudenit, il faudra désormais ajouter un autre haut lieu de la barbarie: Diago. Dans ce petit village près de Kati, des militaires maliens ont extrait de leurs cellules, dans la nuit du 2 au 3 mai 2012, d’autres militaires maliens. Certains d’entre eux, blessés, avaient été tirés de leurs lits dans les hôpitaux. Soumis à la diète (sans eau, ni nourriture), torturés, ils ont été ligotés, jetés dans une fosse préalablement creusée, mitraillés et ensevelis. Les cris de douleur des suppliciés, les gémissements de ceux qui agonisaient avaient été entendus dans le village.
A cette époque, régnait à Bamako, Kati et alentours une terreur exercée par les nouveaux maîtres de Bamako.

Ces derniers avaient pris le pouvoir dans la nuit du 21 au 22 mars 2012 à la suite d’une mutinerie de soldats du rang et de sous-officiers de la garnison de Kati. Le Mali était en guerre depuis deux mois. Les soldats de Kati s’étaient rebellés contre les mauvaises nouvelles du front, conséquences de la mauvaise gestion de la guerre et d’une gouvernance défectueuse de la question du Nord.

Dès l’après-midi du 21 mars, alors que les combats s’approchaient de Koulouba (le palais présidentiel), pressentant ce qui allait en résulter, j’ai personnellement pris contact avec tous les principaux responsables politiques et syndicaux du pays aux fins de concertations pour conjurer la catastrophe qui s’annonçait.

Malheureusement, la rencontre projetée à la Bourse du Travail n’aura pas lieu…Si elle avait pu se tenir, cette réunion n’aurait peut-être pas arrêté le coup de force en marche, mais l’histoire aurait enregistré que les forces vives du pays n’ont pas assisté en spectateurs au putsch le plus stupide de l’Histoire.

Le coup d’État du 22 mars a entraîné le Mali dans le précipice en provoquant l’effondrement de l’armée, de l’État et l’occupation des
2/3 du pays.Les informations recueillies sur les auteurs du coup de force étaient loin d’être rassurantes. Certains d’entre eux étaient bien connus des habitants de Koulikoro et de Kati. Ils n’étaient pas tous des exemples.
Leurs pratiques de prédation et de rapine des biens et deniers publics et privés dans les jours, semaines et mois qui ont suivi le putsch, les graves violations des droits de l’homme, la  chasse aux hommes politiques et aux journalistes donnaient raison à ceux qui avaient fait les prévisions les plus sombres.

La brutalité et la cruauté quasi bestiales avec lesquelles les chefs de la junte de 2012 ont traité leurs adversaires civils et militaires, en disaient long sur leur projet pour le Mali.

C’est bien au Mali, sur notre terre de vieilles civilisations qu’il y a eu Diago.  Depuis la découverte du charnier de Diago, d’autres fosses communes ont été découvertes à Bamako et dans les environs de Kati.

Le voile s’est, peu à peu, levé sur les horreurs du régime de terreur instauré au Mali à partir du putsch du  22 mars 2012.

Et pourtant, c’est bien ce coup d’État et ses auteurs que des hommes et des femmes politiques, des parlementaires, des juristes de ce pays ont soutenus.

Croyant que leur heure était enfin arrivée, des hommes politiques, des ” sociétés civiles”, des avocats et autres pseudos experts ont accouru à Kati dès les premières heures du putsch pour offrir leurs services aux nouveaux maîtres du pays, pour les aider à  asseoir les bases du nouveau régime, pour les mettre en relation avec des chefs d’État de la sous-région, pour les conseiller ou préparer les textes qui devraient servir de base à la constitution putschiste.
Même quand, fait sans précédent dans notre histoire millénaire,  le Chef de l’État par intérim a été frappé  et laissé pour mort au Palais par des manifestants manipulés , ces hommes politiques, ces juristes n’ont pas cru bon de prendre leurs distances avec les apprentis SS de Kati. Ils ont continué à fréquenter la ville-garnison.  Certains y allaient, entre autres, pour “moucharder” les opposants au coup d’État en incitant les militaires à les arrêter, à les torturer voire à les liquider physiquement.
Le régime renversé n’était pas exempt de reproches et de critiques. De là à soutenir un coup de force qui a précipité le pays dans l’abîme, il n’y avait qu’un pas que beaucoup ont franchi allègrement en piétinant la morale, les valeurs et les principes de la République.

Maintenant que sont apparues au grand jour les méthodes dignes de la Gestapo, et qu’ un premier procès va s’ouvrir, il serait intéressant de savoir si les soutiens politiques, juridiques et civils  de la junte ont entamé leur examen de conscience et s’ils vont faire leur autocritique et présenter des excuses au peuple.
Pour notre part, mes camarades et moi, chaque fois qu’une fosse commune a été découverte, chaque fois que des corps ont été repêchés du fond d’un puits, chaque fois qu’un corps sans tête a été retrouvé quelque que part entre Kati et Kambila,  nous avons rendu grâce à Allah SW de noud avoir faitd opposants au coup d’ État, de nous avoir tenus loin de Kati, de nous voir éloignés de toute forme d’ambiguïtés et de compromissions avec ceux qui ont commis ces crimes.

Nous continuons de remercier le Seigneur de nius avoir préservés de la tentation de chercher à accéder au pouvoir à partir des épaules du capitaine Sanogo.

Outre le jugement des auteurs et complices de ces crimes imprescriptibles, la République s’honorerait d’engager le procès d’un autre crime imprescriptible: celui du putsch du 22 mars 2012. Car la Constitution de 1992 est claire et sans ambiguïtés : ” Tout coup d’État ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien” (article 121, dernier alinéa).

C’est un procès du coup d’État qui permettra au Mali de tourner les pages sombres de “l’Annus Horribilis” 2012 qui a vu notre Nation sombrer. Le procès du coup d’État aura à la fois valeur d’exorcisme et de pédagogie pour prévenir d’autres crimes de ce genre afin que plus jamais, nul ne s’amuse ou ne s’autorise à jouer avec la Constitution et avec les valeurs de la République.

À défaut d’un procès en bonne et due forme du coup d’État, la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) pourrait se pencher sur ce triste épisode de notre Histoire et organiser des audiences publiques sur la question.

Bamako, le 28 novembre 2016

 Tiébilé Dramé, Ancien prisonnier politique

 

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9 COMMENTAIRES

  1. Merci Camarade! Pour cette tribune que très peu d’hommes politiques malien peuvent en animer autant.

    Vous parlez de Principes, de République! ils n’en savent rien Ils n’en ont qu’un seul “La logique des Assiettes”. Ils pensaient que leur salut passerait par cette bande sans loi et sans foi. Vous leur demandez de se repentir ! Cher Camarade je vous rappelle que si nous sommes dans l’abime aujourd’hui c’est tout simplement dù au fait que beaucoup de prétendus politiques ont le sommeil facile… Alors ils ne se repentiront pas! Qui sait s’ils ne sont pas entrain de murmurer concernant Sanogo ” C’est bien fait pour lui, il n’a pas réussi à nous mettre à Koulouba”

  2. “Outre le jugement des auteurs et complices de ces crimes imprescriptibles, la République s’honorerait d’engager le procès d’un autre crime imprescriptible: celui du putsch du 22 mars 2012. Car la Constitution de 1992 est claire et sans ambiguïtés : ” Tout coup d’État ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien” (article 121, dernier alinéa).”
    Merci Tieble. “hali ni te sonsan fe, a fo ko a tlo ka djan”. QU’on t’aime ou pas, l’homme honnete doit reconnaitre que tu es de PRINCIPE.

  3. La stupidite,l’ignorance et l’idiotie ne sont pas les solutions aux problemes du Mali.Nous devrons avoir un Etat Intelligent soucieux de la securite,la construction et le developpement.

  4. Vous aviez vraiment lutté et meme risqué votre vie pour apres venir vous comporter apres en voleur politique des villas par si et par là, vos enfants favorisées au détriment des enfants des pauvres, vous aviez souffert mais apres vous aviez affaiblit la démocratie malienne par les gens que que vous aviez accompagné pour gouverner le pays dans les conditions de corruption inégalées, vous vous aviez fait tout cela pour apres vendre votre ame au diable,et que quand vous etiez dans la clandestinité nous jeunes de L AEEM AVIONS AFFRONTé Moussa traoré et ses chars , les seuls légitimes au Mali sont les jeunes qui en 1991 avaient affronté moussa et sa bande et se sont les memes jeunes que vous méprisez et dont toute la classe politique de vous à IBK en passant par alpha et le soldat fuyard , vous n aimez pas Aya sanogo et vous negocié avec le plus grand dictatateur blaise Compaouré n est ce pas c est malheureux.
    CHEICK

  5. c’est ne pas les putshistes qui ont divisés l’armée, c’est les politiques. je ne cherche le pouvoir je dis la vérités. vous dites la vérité avec tous les respects, mais vous parlez comme s’il n’y a pas d’autres virités.

  6. Merci M. Tiébilé pour cette réflexion extraordinaire. Si j’ai décidé de ne plus voter dans ma vie, c’est à cause du comportement désastreux, malhonnête de certains hommes politiques au lendemain du coup d’Etat. Ils sont allés faire le salamalec auprès des putschistes sans scrupule, dépourvu de tout bon sens pour diriger un pays. Des gens come Mountaga Tall, Choguel, IBK , pour le pouvoir ont vendu leur dignité. Et IBK a fini par trahire le petit Sanogo. Pourtant ……
    Sans le savoir , M .Tiébilé vous avez rendu un service au procureur général qui pourra exploiter cette réflexion pour ses réquisitions qui seront sans pitié pour ses assassins de Kati .

  7. Nous qui t’avons suivi quand nous étions encore à l’école fondamentale, nous connaissons ta valeur, ta vraie valeur, c’est pourquoi, j’ai écrit ceci quand la bouche folle du pseudo-Bourgeois Négrier ” t’a qualifié de ” petit Monsieur”:
    ” Que Pan..Pan ne saurait effrayer l’oiseau qui a pondu ses œufs au marché, éclos ces œufs et élever ses oisillons dans ce même marché”…autrement dit,” vous ne pourriez pas faire peur aux autres en exhibant la tête du lion que vous aviez abattu ensemble”.

    • Rejoindre la discussion
      Oui Mr Dramé j’ai été déporté avec vous en 1980 au Nord ,arrivée à Gao , Victor Sy VO, Mamadou Lamine Traoré, et vous même ont été détachés de nous les élèves et étudiants votre destination a été Boureissa, merci encore une fois de cet éclairage.

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